- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 25 août 2013

neuf






Bonjour à toutes et tous!


Aujourd'hui: NEUF.


Neuf!
(Les neuf membres fondatrices de la
Women's Tennis Association.)
Et la "même photo", 40 auparavant...



Le français neuf vient du latin pour neuf: nŏvem.

Et le latin nŏvem, d'où qu'i' descend, lui, hein hein?

Mais oui, d'une racine proto-indo-européenne:

*newn̥-

qui sans surprise, signifiait "neuf"


Maintenant, sachez que selon d'autres conventions de retranscription du proto-indo-européen, cette racine est représentée sous la forme *h₁néwn̥-.

Personnellement, j'ai pris le pli, dans ce blog, de pratiquement systématiquement utiliser la version "simple", "claire" des racines retranscrites, car nettement plus parlante, mon but n'étant pas de faire un blog "savant" et illisible.

Quand j'utilise une version complexe, c'est que je n'ai pas trouvé de sources fiables offrant une transcription simple, et ne je tiens pas non plus à m'aventurer en eaux troubles en tentant une retranscription personnelle!

En voyant ces retranscriptions "à l'ancienne", comme *newn̥-, on entend déjà le son qu'elles produisent; ces formes sont donc pour moi nettement plus évocatrices, et racontent déjà une histoire.
On visualise aussi très facilement leur air de famille avec tous leurs dérivés nettement plus récents …

Mais bon, les formes "modernes", "académiques" de retranscription des racines, franchement infâmes et imbuvables sauf à des yeux de linguistes spécialisés qui passent leurs journées plongés dans l'étude du proto-indo-européen, ont l'avantage d'être plus précises, et surtout de livrer des clés sur la façon dont les mots dérivés vont s'en inspirer.

C'est ainsi que le "h₁" au début de la racine *hnéwn̥- désigne un "h" - consonne laryngale (donc produite au niveau du larynx, de la glotte) - sourd et non aspiré (c'est le symbole qui nous permet de le savoir) ; "h₁" ayant en outre la particularité de ne pas modifier, dans les formes dérivées, une voyelle (typiquement un "e") qui y serait accolée.

Contrairement, par exemple, à un "h2", désignant un "h" voisé cette fois, mais toujours non aspiré, et qui lui modifie le *-e suivant en *-a

Un "h3serait lui voisé et aspiré, et transformera un *-e en *-o.

Et si d'aventure vous tombiez sur un "h4", sachez qu'alors il est tout aussi voisé et aspiré, mais, comme "h2", transformera tout *-e en *-a.


Alors, oui, pour ce qui est du *-final de ces deux retranscriptions de racines, vous vous en doutez - si du moins vous suivez assidûment le dimanche indo-européen! - il s'agit d'un "n" sourd (COMMENT?) , donc produit sans vibration des cordes vocales.



*newn̥- est à l'origine d'une multitude de dérivés (signifiant tous "neuf") dans une chi…, euh, une très grande quantité de langues indo-européennes.

Quoi, vous en voulez quelques exemples?

Vraiment?

Bon, vous l'aurez voulu...

  • arménien ancien: ինն (inn)
  • letton: deviņi
  • lituanien: devyni
  • vieux prussien: newīnjai
  • gaulois: *nau
  • gallois: naw
  • vieil irlandais: noí
  • gaélique irlandais: naoi
  • mannois: nuy
  • anglo-saxon: nigon
  • anglais: nine
  • frison: njoggen
  • gotique: niun
  • vieux haut allemand: niun
  • allemand: neun
  • vieux norrois: níu
  • danois: ni
  • féroïen: níggju
  • islandais: níu
  • néerlandais: negen
  • grec ancien: ἐννέα, ennéa
  • grec: εννέα (ennea)
  • assamais: ন (na)
  • bengali: নয (nay)
  • cingalais: නවය (navaya)
  • goudjarati: નવ (nav)
  • hindi: नौ (nau)
  • pendjabi: ਨ (nauṁ)
  • ourdou: نو (nau)
  • sanskrit: नवन् (návan)
  • avestique: nava
  • sogdien: naw(a)
  • baloutche: نو (no)
  • kurmanji: neh
  • zazaki: new
  • pachto: نه (nə)
  • parachi: nō
  • parthe: (nah)
  • pehlevi: (nō)
  • persan: نه (noh)
  • tadjik: нӯх (nūh)
  • shughni: но̄в̌ (nōw)
  • yaghnobi: наԝ (naw)
  • catalan: nou
  • corse: novi
  • espagnol: nueve
  • italien: nove
  • mirandais: nuôbe
  • napolitain: nòve
  • occitan: nòu
  • portugais: nove
  • romanche: nov
  • roumain: nouă
  • sarde: noe, noi
  • biélorusse дзевяць (dzeviać)
  • russe: девять (deviat’)
  • ukrainien: дев'ять (dev'iat’)
  • bulgare: девет (devet)
  • macédonien: девет (devet)
  • serbo-croate: девет (devet)
  • slovène: devet
  • tchèque: devět
  • kachoube: dzewiãc
  • polonais: dziewięć
  • slovaque: deväť
  • bas-sorabe: źewjeś(o)
  • haut-sorabe: dźewjeć
  • agnéen (tocharien A): ñu
OK?

Avez-vous remarqué que dans les langues baltes (letton, lituanien... ) et slaves (serbe, russe, slovaque ...), le "n" est devenu un "d"?
N'y voyez aucune malice!
Rien de choquant, c'est un phénomène de dissimilation du *-n en *-d, propre aux formes balto-slaves...


- Ouais admettons, même si c'est un peu facile… Mais pourquoi alors, en latin, *newn̥- est devenu nŏvem? Pourquoi le "n" final est-il devenu un "m"???
- Oui, bonne question!

On a ici affaire à un ças d'analogie. Rien de vulgaire, rassurez-vous: simplement, la forme s'est modifiée pour ressembler, par analogie, à sĕptem: sept


On a beaucoup écrit sur l'origine de *newn̥-, et parfois - voire souvent - fait le lien entre "neuf" - le numéral et "neuf" - l'adjectif signifiant nouveau.

Certains vont même jusqu'à proposer (voire affirmer) que *newn̥- est basé sur la racine signifiant "nouveau": *newo- dont nous avons parlé dans C'est Noël!.

Oh, pourquoi pas! Même si je n'y adhère pas vraiment…

L'explication en serait qu'avec 8, on arrivait à la fin du comptage sur les doigts (si on ne tient pas compte des pouces, servant, eux, à compter en désignant les autres doigts - retournez les mains, les paumes vers vous et comptez en touchant les doigts de vos pouces, vous allez comprendre!).

Ainsi, selon plusieurs sources, le proto-indo-européen pour 8: *oktō(u)- signifierait littéralement 2 X 4: "deux fois les quatre doigts - qui servaient à compter par les pouces".

Et donc, "8" serait en quelque sorte un nombre butoir.
[C'est franchement très intéressant - et tentant! - mais le débat fait rage parmi les linguistes, et je ne m'avancerais pas trop sur ce terrain ; il y a à mon sens encore trop d'incertitudes...]
Pour en revenir à notre comptage digital, au delà de 8, on commencerait une NOUVELLE série.

D'où le rapprochement entre neuf et nouveau, neuf représentant la nouvelle unité après le 8, la racine *newn̥- étant un composé basé sur *newo-. "neuf" serait "le nouveau huit"...

C'est ce que vous trouverez sur Wikipedia:
"Le radical *e-neu̯en, *neu̯n̥, *enu̯n̥, *henekʷt- est un composé du radical *neu̯os ("nouveau, neuf")".

Ouaaaiiiiiis.

Bon, d'accord, c'est Julius Pokorny lui-même qui a émis cette théorie, ce qui n'est évidemment pas rien.
Mais ni Watkins ni J.P Mallory & D.Q. Adams ne suivent ses pas...

Ben oui, l'eau a coulé sous les ponts, et les théories ont été revues...

Dans mes sources, seul Joseph T. Shipley reprend la théorie de Pokorny, mais j'avoue que ça ne me rassure pas trop...

D'autant que les "très carrés" J.P Mallory & D.Q. Adams n'y croient aucunement, et émettent plutôt, arguments linguistiques plus récents à l'appui, l'idée d'une construction proto-indo-européenne basée sur "10-1" ("dix moins un"), une formation soustractive donc, sans aucun lien avec la notion de "nouveau".

Mais bon, encore une fois, tout n'est qu'hypothèse; à vous de choisir celle qui vous plaît le plus!!


Comme dérivé remarquable (car inattendu) de *newn̥-, citons enfin ... ...

noon!

Oui, l'anglais pour midi!

Gary Cooper dans High Noon ("Le train sifflera trois fois")
Fred Zinnemann, 1952


L'anglais noon est dérivé du latin nona hora, la neuvième heure, et fait référence aux nones, l'office de la neuvième heure du jour dans la liturgie catholique.

Au Moyen-Age, en nos contrées, la journée monastique commençait à six heures, donc la neuvième heure correspondait à notre "15 heures".
En anglais cependant, la signification du mot a dérivé ; le sens du mot a glissé pour en venir à signifier la "mi-journée", et plus tard et par assimilation, 12 heures, ce qui correspond à midi

Mais pourquoi donc ce glissement de sens?
Ben on n'en est pas trop sûrs...
Le sens aurait dérivé de 3 heures de l'après-midi à midi au cours du 12ème siècle, quand, en fonction des changements dans la tradition liturgique, les prières de la neuvième heure auraient été avancées pour être prononcées à la sixième heure.
Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'en 1140, le mot en vieil anglais non, ancêtre direct de noon, avait pris le sens de "midi", et désignait même le repas de midi...


Midi?
Mais c'est l'heure de donner ses croquettes à mon chien!
Ce que je vais faire de ce pas (car oui, il est presque midi…).




Bon dimanche à toutes et tous!

Merci de suivre mon blog, je ne le vous dirai jamais assez!

Bonne semaine, et… à dimanche prochain!





Frédéric

5 commentaires:

LeScrat a dit…

On n’insistera jamais assez sur l’importance de la ponctuation et de l’ordre des mots. Sans cela les explications sur le voisement ou l’aspiration du « h » ( fumette ?) feraient de cet article dominical un manuel du petit chimiste. Exemples : h₁ ou 1H (protium) ? h2 ou 2H (deuterium) ? h3 ou 3H (tritium), -e ou e- (électron) ? Ceci étant dit, je doute fort qu’un misérable isotope comme le H2 ne parvienne à transformer des « oeufs » en « eau ».
En revanche, si je comprends bien, un « h1 » sourd n’influence pas « e »… muet.

Quant à l’importance de la « h » sur le voisement et surtout le dé-voisement… je resterai muet (Mwouais ç-à-d...sans voix).

Mais restons sérieux. Comme elle est séduisante cette hypothèse de comptage "soustractif" : "10-1" ... Tiens,tiens,tiens. Z'étaient pas si fous ces romains avec leur "IX".
...

- Messieurs Arturo Perez Reverte et LeScrat sont attendus à la Neuvième Porte de la consultation.

- Oh Docteur ! Quoi de 9 ? Quelle "Ode à la joie" de vous revoir !
- Vous savez quoi, Monsieur Le Scrat ? Allez vous faire cuire un 9 ! Et mangez-le avec un verre de jus d'Orange Mécanique !


Frédéric Blondieau a dit…

Mais enfin, où vas-tu chercher tout ça??
Excellent en tout cas! :-)

Anonyme a dit…

MMM. Cette histoire de noon, tu m'oteras pas de l'idée que c'est chercher midi à quatorze heure.Mais bon.
Reconnais quand même que sur ce coup là, les slave ont vachement dévié.

Ce qui me fait frémir, c'est le huit comme maximum de comptage sur les doigts.
Alors là je dis halte je dis stop.
Le maximum du comptage sur les doigts d'une main, c'est 12 mon petit bonhomme, Ce qui explique pourquoi tous les systèmes anciens fonctionnent en douzaines (cela et le fait que c'est divisible par 2,3 ou4, ce qui est pratique sur un marché).
Au lieu de prendre ton pouce et de compter (bêtement) tes doigts, compte un peu les phalanges, une fois. Non peut-être ?

Frédéric Blondieau a dit…

Ben oui, on est d'accord, mais faut TOUT lire!
Voir http://indoeuropeen.blogspot.be/2013/06/karaton-aksungur-contemporain.html

Anonyme a dit…

I sit corrected :-)