- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 3 novembre 2013

Une bonne pâte, ce satrape.




"Avec les copains,
on partage son pain."

Vulgarité, humour et rimes riches, tome IV
F. Blondieau


Bonjour à toutes et tous!


Protéger quelqu’un”, dans un sens très large, peut se faire de bien des façons: en défendant cette personne contre les éléments ou des assaillants, en l’abritant, en la recueillant, ou encore en lui donnant à manger, en la nourrissant, pourquoi pas!

Il y a en tout cas une racine proto-indo-européenne pour tout ça:

*pā-


*pā-, en deux mots, ce serait "protéger, nourrir".


Via le germanique *fōdram, la racine *pā- nous a ainsi donné, par le vieux bas francique *fodar et enfin le vieux français feurre...  fourrage!


Vieux bas


Le fourrage, d’une manière générale, est une plante, ou un mélange de plantes destiné à l’alimentation des animaux.

Fourrage

Et selon Wikipedia, c’est bien le terme fourrage qui est à l’origine de fourragère, la fourragère n’étant encore, vers la fin du XVIème siècle, qu’une simple corde à fourrage portée autour de l’épaule par les dragons autrichiens.

Fourragère

Dragon autrichien

C’est Napoléon Ier qui lui donnera l’appellation de fourragère, en distinguant les hussards en jaune des artilleurs en rouge.


Artilleurs

Hussards


L’anglais fodder (fourrage), vient lui aussi de *pā- par le même germanique *fōdram.


Mais dans *fōdram se retrouvait encore la notion de protéger.

C’est un autre dérivé de *fōdram, le vieux bas francique, *fodr, qui est à l’origine, en passant par l’ancien français forrëure, de ce mot qui désigne la protection naturelle de certains animaux: leur… fourrure!

(Tiens, j'ai entendu une anecdote cruelle: un Ecolo qui avait abattu un ours parce qu'il portait de la fourrure...)

Et c’est aussi sur le vieux bas francique *fodr que nous avons créé, via l’ancien français fuerre, cet autre mot désignant un étui servant à protéger une épée par exemple: le ... fourreau.

Fourreau

Notre verbe "fourrer" signifie donc bien, étymologiquement parlant, "introduire dans un fourreau".


Une forme allongée de la racine proto-indo-européenne *pā-: *pāt- nous a quant a elle légué l’anglais food, nourriture!
Ainsi que le verbe to feed: donner à manger, alimenter.

Food est issu du germanique *fōd: aliment, et to feed du germanique *fōdjan: donner à manger.

Funny food art, ou jouons avec la nourriture


Encourager, favoriser, accueillir dans une maison euh.. d’accueil…
Il y a un mot en anglais qui correspond à tout cela: to foster.

Hé oui, l’anglais foster nous vient de *pā-, et plus précisément d’une forme suffixée de la variante *pāt-: *pāt-tro, dérivée dans le germanique *fōstra: nourriture.

Les foster parents, ce sont les parents d’accueil, les parents adoptifs, les parents… nourriciers!

Jodie Foster
C'est malin


*pā-, par une autre forme suffixée *pās-sko-, nous a donné…
paître, pâture, pâturage, tous provenant du latin pāscō: faire paître, nourrir.

Pâturages


Tout comme pâte! avec tous ses dérivés comme pâtissier, pâtisserie, évidemment!
Pâte, du latin pasta, de même sens ; pastum étant le supin de pāscō.

Notez, on pense aussi que le mot, tardif, aurait pu être repris du grec ancien πάστα, pasta ("gruau d’orge").

Aaaah des pâtes!!!


Un cas intéressant:
Sur le latin populaire *pascua, altération, par influence de pascua "nourriture" - pascua venant du verbe pāscō - nous avons créé … Pâques.

Alors qu’en fait, le mot en latin ecclésiastique est Pascha, qui n’a rien à voir avec la nourriture - mais alors que dalle - car repris du grec Πάσχα, páskha ("Pâques"), calqué sur l’hébreu פסח pesaḥ, nom de la pâque juive.

Et sur Pâques nous avons joliment créé … pâquerette (en 1553 quand même)!
Ainsi nommée parce qu'elle fleurit à l'époque de Pâques.

Vous vous attendiez à du lilas?


Et c’est toujours une forme suffixée de *pā-, cette fois *pās-tor-, qui nous a donné, sans surprise… pasteur, ou pastoral.

Le pasteur, avant d’être un ministre du culte, est un berger, un pâtre, celui qui mène aux pâturages.

Ah, elle est marrante aussi, celle-là

Scène pastorale, Abraham Bloemaert
(version non-censurée: par la suite la chèvre a disparu)


Et puis, et puis ... nous devons à une forme suffixée de notre racine, *pās-t-ni-, le latin pānis, le pain!!

La nourriture par excellence!
Du moins chez nous, ou du temps des Romains, pānis étant étroitement apparenté au latin pāscō (oui: faire paître, nourrir).

De *pās-t-ni- par le latin pānis, nous avons reçu le français pain, bien sûr!


Mais aussi …

  • pastille: à l’origine un petit pain, un gâteau, une galette.
  • ou l’italien pasto: le repas. Nous connaissons tous les antipasti, littéralement "avant le repas": les entrées, les hors-d’œuvre.
  • ou panade: de l’occitan panada: "soupe faite avec du pain".
  • ou encore panatela, de l'espagnol panatela, qui étymologiquement désigne une sorte de biscuit allongé.

Panatelas



Appâter?
Mais oui, l’appât n’est que la pâture que l’on met à des pièges ou à des hameçons.


De même le panier (1135) n’est à l’origine qu'une corbeille à pain, dérivant du latin panarium de même sens.




L’anglais pantry: l’office, le garde-manger, provient de l’anglo-normand panterie, de panetier: le boulanger, basé sur le latin tardif panarius, le vendeur de pain.

Pantry

Tiens, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi on parle d’un boulanger? On aurait dû dire panier, non?
Boulanger nous arrive du picard, figurez-vous! De boulenc: "celui qui fabrique des pains ronds": boulenc est dérivé du francique *bolla ("pain rond").


Bon, sur pain nous avons créé, vous le savez, compagnon, ou copain
(copain n’étant, en ancien français, que le cas sujet de compagnon, comme gars l’était pour garçon - voir Un gars, une fille): 
celui qui partage le même pain.


Mais  - et ça c’est nettement moins connu - nous en avons également dérivé le mot …



apanage!

Nous n’employons plus guère ce mot qu’au sens figuré, comme "ce qui est le propre de quelqu’un ou de quelque chose, soit en bien, soit en mal".

Mais à l’origine, il désigne le domaine foncier propre d'un prince (ou d'un pair), dont ce dernier bénéficie du revenu.
Ce domaine, son propriétaire l’a reçu comme part d’héritage.

Apanage dérive de l’ancien français apaner ("nourrir de pain"), d’où son sens de "doter".


Autrefois le bézoard, aussi appelé "pierre de fiel" ou "perle d'estomac" était réputé pour ses propriétés anti-poison au même titre que la corne de Licorne.

Le bézoard (du persan پادزهر, pādzahr, "qui préserve du poison") est un corps étranger que l'on trouve le plus souvent dans l'estomac des humains ou des ruminants.

Bézoards


C’est une forme composée de *pā-: *pā-tor-, qui est à l’origine de l’iranien *pātar (et de l’avestique pātar-), et qui a donné le persan pād: "protéger de".


Et c’est aussi une forme composée *pā-won- qui se cache derrière … satrape!

Satrape, le "protecteur de la province", du grec σατράπης, satrápês, lui-même adapté de l'iranien xšaθrapā, du vieux perse xšaθrapāvan, signifie littéralement "protecteur du pouvoir".

Le satrape est le gouverneur d'une, d’une??

Hein, hein??

OUI!

D’une satrapie, une division administrative de l'Empire perse.

(British Museum) Stèle dite du satrape Kuyōn:
Un satrape reçoit un visiteur, et le salue par le formel
 "Cours après moi, que je satrape"; le visiteur devait alors
répondre, solennellement: "Le poisson aussi, ça satrape"



Enfin, il y a les agapes!
Les agapes? Mais c’est un repas partagé avec un esprit de fraternité.
En grec ancien, le pluriel αγαπαι désignait un repas fraternel.

Faites l’expérience: si vous en cherchez l’étymologie sur Internet, vous allez finir par tomber sur la mention “d’origine inconnue”.

Mystère!

Personne ne sait d’où le terme αγαπαι provient…

Personne!!

Pourtant, Pokorny, et à sa suite Watkins, précisent que le grec agapān ("accueillir avec affection") provient d’une forme composée proto-indo-européenne, où nous retrouvons *pā-: *m̥g-ə-pā-


Agapes



Bon dimanche, bonnes agapes dominicales à toutes et tous, et ... à dimanche prochain!

Le sujet de ce dimanche m’avait été soufflé par une ardente lectrice du blog qui se reconnaîtra…
Sujet encore loin d’être épuisé, car nous plancherons bientôt sur …

Oh, et puis, vous le verrez bien!!




Frédéric

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