article précédent : le chant de Carmen enchantait le cantor, plus qu'un cantique
“A baby has brains, but it doesn't know much. Experience is the only thing that brings knowledge, and the longer you are on earth the more experience you are sure to get.”
L. Frank Baum, The Wonderful Wizard of Oz
Bonjour à tous.
Un temps moche, gris, pluvieux, par ici…
L’avantage, c’est que ça me donne moins envie de batifoler dans les prés.
Le dimanche ne s’en plaindra pas.
Et pour cette septième édition du dimanche indo-européen consacrée à la magie et aux magiciens, nous partirons de l’anglais wizard, le sorcier, le magicien, pour remonter jusqu’à sa racine proto-indo-européenne, pour bien évidemment nous intéresser ensuite à tous les dérivés de ladite racine…
- Wizard ? Encore de l’anglais ? Et puis, wizard, enfin, c’est quoi ce mot que personne ne connaît ?!
- Oui, d’accord. Pour l’anglais, je le reconnais, j’aurais pu partir d’un mot bien français.
En fait, pour tout vous dire, j’y avais pensé : je voulais vous parler de clairvoyant.
Mais bon, par manque d’inspiration peut-être, je me suis rabattu sur l’anglais wizard.
Mais de là à dire que personne ne le connaît !
N’avez-vous pas vu Le Magicien d’Oz ? A l’origine un livre de Frank Baum, publié en 1900 : The Wonderful Wizard of Oz.
Dorothy, une petite fille du Kansas, se retrouve emportée par une tornade dans le pays magique d’Oz, qu'elle va littéralement libérer, sauver…
On peut l’interpréter comme un joli récit initiatique, sur la recherche de son identité, sur la connaissance de soi.
Mais pourquoi diable avoir appelé ce pays imaginaire (ou pas ??) Oz ?
Frank Baum avait un jour expliqué qu’à la recherche d’inspiration pour le nom de ce pays magique, il avait posé les yeux sur trois petits casiers à courrier posés sur son bureau.
Sur le premier figuraient les lettres A-G ; le second H-N ; et le troisième O-Z.
Ben oui, "Oz", Il venait de trouver.
Judy Garland dans The Wizard of Oz, 1939 |
Bon, cette racine à l’origine de l’anglais wizard, vous la connaissez déjà, il s’agit de ...
*weid- : voir.
Oui, car nous l’avons déjà abordée dans arbres, vérité, druides et dead parrots.
Je ne vais pas ré-inventer la roue, ou faire un stupide copier/coller de cet article du 12 février 2012.
Je vous propose plutôt de le relire par vous-même avant de poursuivre…
Allez !!!
Allez-y, je vous attends ici.
- - -
[ suffisamment de temps pour vous permettre de lire ou relire arbres, vérité, druides et dead parrots ]
- - -
C’est bon ?
OK, continuons.
Vous le savez donc, nous devons à *weid- ...
- le sanskrit veda (savoir, connaissance),
- l'anglais wise (sage),
- l'allemand wissen (savoir),
- le latin vidēre (voir), oui, qui nous a donné notre voir,
- le français druide (“le très voyant”, ou “le très savant”),
- le français guise (par le francique wisa, évoquant l’apparence : la façon, la manière).
C’est également cette notion de "façon", "manière" que l’on retrouve dans le suffixe anglais -wise : "clockwise", c'est "à la façon d'une montre", donc "dans le sens des aiguilles d'une montre".
Wizard, mot du début du XVème siècle, nous arrive de la racine proto-indo-européenne *weid- par le moyen anglais wys (sage).
Wys descend lui du vieil anglais wīs, wise.
Pour être même un peu plus précis, c’est la forme proto-indo-européenne suffixée *weid-to- qui est à l’origine de ce wīs, wise, via, comme d'habitude, le proto-germanique, en l'occurrence *wīsaz : sage, qui sait.
C’est toujours cette même forme qui se cache derrière l’anglais wisdom (sagesse), ou notre “à ta guise” français.
Vous l’aurez constaté, de la notion de “voir” présente originellement dans *weid-, nous sommes passés à celle de “savoir”, voire de “sagesse”.
Parce que, en toute vraisemblance, celui qui sait est celui qui voit.
Le sage est peut-être même celui qui voit plus clair, ou plus loin...
"On ne peut savoir sans avoir vu"
La plus belle application de cette vérité, vous la retrouvez en anglais, où witness, autre beau dérivé de la même racine *weid-, désigne le témoin, celui qui sait ce qu’il s’est passé, parce qu'il l’a vu...
Celui qui voit mieux ou plus loin que vous, il pourra certainement vous servir de … guide.
Oui, guide, guidon nous viennent de *weid-, cette fois par le germanique *wītan.
Pas de plus belle application de ce concept au chien-guide, qui, parce qu'il voit, guide son maître qui ne le peut...
Guidon de course |
Au delà de “voir”, *wītan signifiait veiller sur, garder, ou même imputer quelque chose à quelqu’un, reprocher…
En d’autres termes, la notion de voir que le mot avait reprise, il la renforçait, la rendait active.
Une autre forme suffixée de *weid-, *weid-es-, allait quant à elle nous donner l’ancien grec εἶδος, eîdos : “forme”.
C’est de lui que nous vient ... idole. Par le grec εἴδωλον, eídōlon : “image, idole”.
Mais aussi … idylle.
Par le grec ancien εἰδύλλια, eidúllia, basé sur εἶδος, eĩdos, « la forme », donc), et signifiant littéralement une « forme brève ».
Eh oui, je sais, c’est dur: une idylle, ce n’est pas appelé à durer…
A présent, une petite devinette :
Nous devons encore au grec εἶδος, eĩdos un mot nettement plus récent, que nous avons emprunté à l’anglais au début du XIXème…
Je vous laisse chercher ?
…
…
…
Allez, dans ce mot, composé de trois mots grecs, il est question de beauté, de forme et d’observation.
Il s’agit d’un objet qui, littéralement, vous permet d’observer de belles formes.
…
…
…
Ca y est ?
OUI! Il s’agit de kaléidoscope, repris de l’anglais kaleidoscope, dérivé du grec ancien καλός kalós (« beau »), εἶδος eîdos (« forme », pour les mal-comprenants) et σκοπέω skopéô (« observer »).
Kaléidoscope |
Notre racine *weid- au timbre zéro: *wid-, a donné le germanique *wit-, dont dérive l’anglais wit : connaissance, intelligence…
Et puis, c’est une forme suffixée en -ē- de la forme au timbre zéro *wid-: *wid-ē- qui nous a donné le latin videō, vidēre : voir.
On en ramasse des dérivés à la pelle… On marche dessus…
Voir, vue, vision, viser, visa, visage, visuel, visibilité, vidéo, évident, interview, revue, aviser, revoir, superviser et j’en passe, encore et encore… (et encore)
Mais... si nous nous intéressions à quelques dérivés moins ... immédiats ?
Visiter.
Issu du latin visitare (« voir souvent »), fréquentatif de vidēre.
Prévoir :
du latin provideō: pro- video : prévoir, “voir devant soi”, “voir le premier”, “voir avant” …
Et … pourvoir.
Qui vient du même latin provideō, ce qui a du sens.
Improviser.
Improviser, c’est prévoir.
Du latin imprōvīsus, composé de in- et de prōvīsus, participe passé de prōvidēre (« prévoir » ; ça n'a pas changé).
L'improvisation, l'essence même du jazz |
Envie?
Oui, de in-videō : porter envie, envier, jalouser.
Prudence. Ne dit-on pas de quelqu’un de prudent qu’il est prévoyant ?
Prudent nous vient du latin prudens, altération de providens, participe présent adjectivé de provideō.
Bien entendu, il y a aussi providence.
Et forcément, aussi… clairvoyant.
Ça alors ??? Là vraiment, je suis épaté.
Jamais je n'aurais cru que wizard et clairvoyant provenaient tous deux d'une même racine ???
Bon, il y a bien encore une forme suffixée au timbre o de *weid- : *woid-o-.
C’est elle qui a donné le sanskrit veda (savoir, connaissance).
Et nous retrouvons notre racine dans les langues slaves, avec voir en tchèque, vidět, ou en russe : видеть (“viditj”), issu du vieux slavon d'église видѣти (viděti).
A noter quand même qu'à côté de viděti existait également věděti, voir, mais aussi savoir...
En avestique ?
Mais 'ya qu'à demander ma p'tite dame: vaēðe, pour savoir.
En macédonien ?
ви́ди (vídi).
Et en lituanien, mmmh ?
Vaizdas !
Euh, alors en... cachemiri ?
Vūčhūn !
Ah, je sais: en vieil irlandais !?
fis.
Pfff.. En sanskrit ?
विद् (vid).
Mais il y a aussi des descendants de *weid- bien français, que vous ne soupçonneriez jamais…
Comme ... idée.
Du grec idea, apparence, forme, idée, qui dérive de la forme suffixée *wid-es-yā-.
Ca c'est une chouette idée, pour un tatouage Et c'est tellement élégant. |
Ou histoire / Histoire, lointain ancêtre de *weid- par sa forme suffixée *wid-tor-.
Oui, histoire nous vient du latin historia, mais lui-même provenait du grec ἱστορία, historía (« enquête, compte-rendu, examination, histoire … »).
Et ce ἱστορία, historía dérive lui de ἴστωρ, hístôr : “celui qui sait”, lui-même fondé sur οἶδα, oída (« savoir que, bien savoir, s'assurer que »).
Et surtout, et surtout, le plus improbable de tous…
Pingouin.
Pingouin serait issu, selon plusieurs dictionnaires sérieux, du gallois pen gwyn(n) - pen tête, gwyn(n) blanche : “tête blanche”.
- Ouais… Et le rapport entre le verbe voir et la couleur blanche ?
- Eh bien, le blanc est une couleur clairement visible. Surtout sur du foncé.
- Mmmh... Et le fait qu’un pingouin n’a pas la tête blanche, ça ne vous gêne pas plus que ça ?
- Si, mais il semblerait que le terme était originellement employé pour désigner ce pauvre grand pingouin, Pinguinus impennis, aujourd’hui totalement éteint - bravo, l’Homme - qui possédait de larges taches blanches devant les yeux, même si sa tête était assurément bien noire…
Le grand pingouin. Il n'existe plus qu'empaillé. Lamentable. |
Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très bonne semaine, et …
A dimanche prochain.
Frédéric
article suivant : un appentis en parpaing, ça ne fera jamais un penthouse
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