article précédent : c'est pour se faire un torticolis, une accolade en hauberc
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Le Loup et l'Agneau, Jean de La Fontaine (1621-1695)
Bonjour à toutes et tous !
Difficile de parler de Magie et magiciens (je vous rappelle quand même qu’il s'agit de notre grand thème du moment, qui arrive tranquillement à sa fin) sans parler de ce qui constitue l’armature, parfois éminemment théâtrale, voire grandiloquente, de toute cérémonie magique qui se respecte :
le rituel.
le rituel.
Le rituel, cet ensemble réglé, fixé, codifié, de gestes, de symboles, d’invocations qui constituent - du moins c’est comme cela qu’on l’imagine - une cérémonie magique…
Maintenant, pour être précis, ce que je viens de décrire, c’est plutôt un rite.
Le rituel n’étant que la codification par écrit d’un rite, le document dans lequel le rite est décrit.
Mais, à ma décharge, la confusion est fréquente.
Quoi qu’il en soit, rite, comme rituel, proviennent du latin, le premier de rītus: rite sacré, usage, le second de rituālis: rituel, basé lui-même sur rītus.
Et notre rītus latin, vous l’imaginez bien, nous arrive d’une racine proto-indo-européenne:
*rē(i)-
Son champ sémantique englobait les notions de raisonner, compter, calculer, peut-être même aussi: ordonner …
Et pour tout vous dire, c’est une forme particulière au timbre zéro de *rē(i)-, suffixée en *-tu-: *ri-tu-, qui est précisément à l’origine du latin rītus.
Encore une fois, vous risquez d’être surpris devant les autres dérivés de *rē(i)- que je vais ici vous présenter, et surtout devant les liens que l’on peut tisser entre tous ces mots, du fait de leur lointaine parenté proto-indo-européenne.
C’est ainsi que, d’une forme suffixée de la racine *rē(i)- au timbre zéro : *ərəi-dhmo-, nous avons tiré le grec ἀριθμός, arithmós : (notamment) le nombre, le montant.
Bien entendu, sur ἀριθμός, arithmós nous avons créé … arithmétique !
Quant à logarithme, ce mot fut créé par le mathématicien écossais John Napier, baron de Markinston, au début du XVIIème siècle, en associant λόγος, lógos (« rapport ») et ἀριθμός, arithmós (« nombre »).
Son nom se francisa en Jean Neper, ou Néper.
Ca ne vous dit toujours rien ?
Et le logarithme népérien, alors ??
On appelle logarithme népérien, noté ln, la primitive de la fonction f(x) = 1/x (x>o) s’annulant pour x=1.
Et moi qui avais oublié pourquoi je préférais les langues aux maths…
Mais admettons malgré tout que certains mathématiciens ont de l’humour - si mes profs de math en avaient eu un peu plus, peut-être aurais-je aimé la matière qu’ils enseignaient?…
Voici un exemple d’humour de mathématicien, j’en pleure encore de rire :
C’est Logarithme et Exponentiel qui sont dans un bar. Ils commandent une bière chacun. Lequel paie? Exponentiel, parce que Logarithme népérien.
En tout cas, je ne me rappelle pas qu’un de mes profs de maths m’ait jamais raconté que les mots logarithme et népérien venaient en fait d’une seule et même personne…
Le savaient-ils eux-mêmes?
- J'ai ici une pensée émue pour une prof de math, Mme V., toujours outrageusement fardée et qui manifestement me détestait, et que je peux enfin qualifier
- maintenant que je suis plus âgé qu'elle ne l'était à l'époque, que j'ai grandi en sagesse et vieilli d'expériences multiples, et que moi-même j'exerce un métier -
de sale conne déboussolée, véritable honte à sa profession, qui devait très probablement se venger sur ses élèves masculins de son manque de discernement dans sa vie sexuelle et affective. -
Chère Mme V., j'espère sincèrement que vous vous êtes fait soigner, et que vous êtes enfin heureuse. Vraiment. Je ne vous ai pas oubliée (il ne faut pas trop demander), mais je vous ai presque pardonnée.
- Bon, OK, rite et arithmétique… Et le rapport ? Le rapport entre le fait de compter et un rite ?? N'importe quoi, ouais...
- Ah bonjour, ça faisait longtemps, non? Excellente question !
Eh bien, compter, c’est aussi dénombrer, énumérer.
Et la particularité d’un rite, c’est qu’il se répète.
C'est simple: un rite qui ne s’exécute qu’une seule fois, par définition, ce n’est pas un rite.
C’est précisément parce qu’il se reproduit, de la même façon, encore et encore, qu’on peut le qualifier de rite.
C’est précisément parce qu’il se reproduit, de la même façon, encore et encore, qu’on peut le qualifier de rite.
Comprenons donc que le rite possède en lui-même cette répétition, cette suite logique que l’on retrouve par ailleurs dans le logarithme !
Cette notion de répétition, de retour, nous la retrouvons par ailleurs dans un mot qui n’a rien à voir avec les mathématiques…
Si je vous dis que ce mot désigne…
le retour de la même syllabe dans la terminaison de deux ou plusieurs mots; et spécialement pour les mots qui se trouvent à la fin des vers.
Vous l’avez trouvé ?
Oui ! rime.
D'où ce superbe texte de La Fontaine en exergue...
Ah, pour bon nombre de linguistes francophones, l’étymologie du mot est incertaine.
Certains vont même jusqu'à le rapprocher du latin rythmus (rythme), sans trop y croire.
Et pourtant, s’ils creusaient un peu plus, s’ils ne s’arrêtaient pas à la sempiternelle rengaine du “le français vient du latin et du grec”, il pourraient réaliser qu’il y eut une forme proto-germanique *rīmą (“calcul, nombre”), dérivée de notre *rē(i)- proto-indo-européenne.
Et que ce germanique *rīmą a donné l’anglais rhyme, la rime.
C’est aussi de lui que dérivent ...
- le vieux frison rīm (“nombre, montant, compte”),
- le vieux haut-allemand rīm (“série, rangée, nombre”),
- le vieux norois rím (“calcul, calendrier”), ou
- les mots pour “rime” en néerlandais: rijm, en allemand : Reim ou encore en suédois: rim…
Pour ce qui est du français, *rīmą nous est tout simplement arrivé par le Vieux-francique.
Nous retrouvons encore *rē(i)- en vieil irlandais, avec āram: nombre, et rīm: nombre, calcul…
Allez, encore un cognat : en gallois, nombre c’est rhif.
Ah oui! J'allais oublier...
Pour ce qui est du h de l’anglais rhyme, il y a été déposé là par de braves gens qui pensaient qu’il était lié au latin rythme…
Comme quoi la confusion entre rime et rythme n’existe pas qu’en français, et n’est pas récente…
Mais revenons à notre *rē(i)- sous sa forme de base *(ə)rē-.
Nous la retrouvons quelques millénaires plus tard, enfouie sous le latin reor, rērī (et au participe passé ratus): penser, supposer, estimer.
Ben oui! Nous en avons hérité raison (de ratiō, le radical de ratus), ratio signifiant tant le calcul, le compte, que le raisonnement, la raison…
Le ratio?
Oui, ce mot pas bien élégant, très récent (XXème siècle), nous l’avons repris de l’anglais ratio (“proportion”), lui-même dérivé du latin ratiō, rationis : calcul, compte.
Nous devons également - bien évidemment - au latin ratio: ration, rationnement, rationnel, rationaliser, ou raison, raisonnement, raisonner, raisonnable …
Inscription sur un mur de l'église Saint-Martin d'Ivry-la-Bataille (source Wikipedia) |
Mais aussi prorata, race, ou ratifier !
Oui, le latin ratiō désignait avant tout un calcul, une mesure.
De là, il en est passé à désigner la faculté de compter, de raisonner.
De là, il en est passé à désigner la faculté de compter, de raisonner.
Puis il est devenu ce que l’on déduisait par son raisonnement : une explication.
Race ?
Oui, il y a à la base l’idée d’un classement obtenu par raisonnement.
La rasse (orthographe première) désignait ainsi toute espèce d’animaux et de fruits…
La rasse (orthographe première) désignait ainsi toute espèce d’animaux et de fruits…
Ratifier ?
Oui, car en ratifiant, vous validez par votre raison.
Une forme suffixée en *-dh- de notre racine : *rē-dh-, est elle à l’origine de l’anglais… read ! Lire.
A l’origine, le vieil anglais rǣdan signifiait plutôt … conseiller !
Ce rǣdan était issu du proto-germanique *rēdaną (“avis, conseil”).
Nous retrouvons d’ailleurs globalement la même signification dans le frison saterlandais - excusez du peu - räide, le néerlandais raden, l’allemand Rat / raten, le danois råde, le suédois råda…
Oui, je devine votre question : “mais comment est-on passé de conseiller à lire, si l’on parle de l’anglais ?”.
Eh bien, c’est une bonne question !
Ce qui est sûr, c’est que ce développement ne se retrouve qu’en anglais (ou en scots, où le verbe rede, red signifie encore “aviser, conseiller, déchiffrer, lire”).
On peut imaginer - et là, je pense à mes amis traducteurs et interprètes - que conseiller, c’est d’une certaine façon traduire une idée pour la rendre compréhensible par quelqu’un.
Conseiller, c’est aussi interpréter des faits, et, basé sur cette interprétation, faire des recommandations.
A un moment, cette notion de déchiffrement, d’interprétation a dû s’étendre à l’interprétation de lettres…
De discerner - ce qui était encore une acception du vieil anglais rǣdan -, le mot en est venu à signifier discerner le sens de caractères écrits…
Quelques prénoms ?
Littéralement, les prénoms d’origine germanique Conrad et Ralph se traduiraient respectivement par …
le conseil, ou le conseiller courageux (Kuonrāt en vieux haut-allemand, kuon signifiant hardi, intrépide …), et
le conseil, ou le conseiller loup (Rādhulfr en vieux norois, où rādh = conseil et ulfr = loup)
Et puis, et puis…
...sur une forme au timbre zéro de notre racine *rē(i)-, mais cette fois suffixée en *-t- : *rə-t-, s’est construit le proto-germanique *radą, qui désignait le nombre.
Nous en avons déjà parlé !!
Mais oui, dans ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A).
C’est ce *radą qui est devenu le -red de l’anglais hundred ! (cent)
Nous avions découvert dans cet article que le français cent et l’anglais hundred provenaient bien de la même racine : *ḱm̥-tom !!
Hundred provenant du vieil anglais hundred, basé sur le proto-germanique *hundaradą,
mot composé de ...
*hundą (c'est ici que vous voyez poindre le proto-indo-européen *ḱm̥-tom, le *ḱ proto-indo-européen pouvant devenir un h dans les langues germaniques), suivi de...
*radą.
Hundred, c’est, étymologiquement et littéralement, “le nombre cent”.
Joli, non ?
Partir de rite et découvrir que raison, rime, arithmétique, ou même le -red de hundred en sont des cousins très très proches…
Merci qui ??
Merci le proto-indo-européen, évidemment !
Je vous souhaite, à toutes et tous, un très bon dimanche, et une très très bonne semaine !!
A dimanche prochain !
Frédéric
article suivan t: ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite
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