- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 5 octobre 2014

c'est pour se faire un torticolis, une accolade en hauberc


article précédent: La confiture, ça dégouline.




« Ésope reste élu par cette crapule et se repose »

Cédric Villani



« (...) C´est pourtant pour les filles
Qu´au moindre matin
Qu´au moindre chagrin
On renie ses chiens. »

Les Filles et les chiens

Stromae Jacques Brel



Bonjour à toutes et tous!


Nous en avons terminé avec ces trois articles autour de *dhē-, à l’origine de fétiche.
Mais nous n’en avons pas encore fini avec notre grand thème Magie et magiciens!


Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter sur un mot sémantiquement relativement proche de fétiche: talisman.

Un talisman est un objet marqué de signes, auquel on attribue des pouvoirs magiques.

Le Larousse nous dit encore qu’il s’agit d’un “objet, image, préparé rituellement pour lui conférer une action magique ou protectrice.


talisman



- Mais enfin, c’est du n’importe quoi! Talisman, ça vient de l’arabe!
- Eh bien … OUI!! Enfin, non. Mais oui. Aussi

C’est un peu compliqué.


L’hypothèse la plus plausible, je vous la livre:

Talisman (1630) nous vient, par une source, de l’arabe طلسم, 'tʼalsam,talisman”.

Quant à ce 'tʼalsam arabe, il est en réalité un emprunt au …  grec ancien τέλεσμα Télesma (rite religieux, paiement”).

Mais l’on suppose que notre français talisman provient aussi d'une autre source!
En ligne directe cette fois, du grec médiéval - ce qu’on appelle le grec byzantin - τέλεσμα, télesmatalisman, rite religieux, paiement”, dérivé du grec ancien τελέω, teléō, “accompliraccomplir des rites religieux, compléter”), basé sur τέλος, télos: “fin, accomplissement …”).

-Euh, mais comment un mot peut-il provenir de deux sources à la fois??
- Mais que voilà une excellente question!

Il est difficile de savoir précisément ce qui s'est passé, mais en tout cas, nous pensons qu'il y a eu contagion entre les sources...

Les fleuves ont parfois plusieurs sources!
Et là où le fleuve se jette dans la mer ou dans un lac, il n’est plus vraiment possible de distinguer l’eau qui provenait de telle ou telle source...


Mais revenons à notre grec byzantin τέλεσμα, télesma:talisman, rite religieux, paiement”.

Paiement???

Oui, c’est curieux n’est-ce pas.
Il n’y a pas vraiment de rapport entre un rite religieux et un paiement!

Euh, quoique… l’obole fait partie de nombreux rites, et peut s’expliquer au moins de trois façons:

  • elle permet indiscutablement d’assurer une rentrée d’argent à l’officiant ou à la communauté, en rétribution pour l'office
  • elle peut être redistribuée sous forme d’aumône, et puis,
  • sur un plan plus métaphysique ou psychanalytique, elle permet au fidèle de “dire merci”, de “rendre la pareille”.


l'obole, le produit de la quête


Mais ici, n’allons pas trop loin pour expliquer ce sens de paiement lié à τέλος, télos.
Car le mot, qui désignait l’accomplissement, la fin (voire la mort), le résultat, le produit, la complétion, pouvait également signifier le règlement complet d’une dette!
L’accomplissement du devoir d’impôt

Il est coutume de traduire ce passage de la Bible (Jean 19:30) du grec Ὅτε οὖν ἔλαβεν τὸ ὄξος ὁ Ἰησοῦς, εἶπεν, Τετέλεσται au français “Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit: Tout est accompli.

Pourtant, Τετέλεσται, tetélestai, 3ème personne du singulier de l’indicatif à la voie moyenne ou passive de τελέω, teléō pourrait parfaitement signifier “c’est payé complètement” ou “la dette est payée”, “tout est payé”.

C’est moins glamour, évidemment.


Bon, et le grec τέλος, télos, il vient d’où, finalement? Hein?

Ben oui, d’une racine proto-indo-européenne!!

*kʷel-1


Qui véhiculait la notion de “tourner, à l'intérieur d'un cercle.

- Euh, et le rapport avec l'accomplissement, la fin, la complétion???
- Mais il suffit de penser que quand vous tournez en cercle, vous bouclez la boucle, vous faites, ou encore mieux: vous accomplissez un tour complet!


*kʷel-1?
Mais, mais … On l’a déjà vue, non?

Eh oui, absolument!

Nous l’avions entrevue dans de la quenouille à la Lune, où nous avions découvert qu’elle était à l’origine de quenouille.

Et puis, nous l’avions traitée comme il se doit dans des colons en calèche, comme c'est bucolique...

Je vous propose donc de relire ces deux articles, surtout le deuxième!

Vous y verrez que de *kʷel-1 nous avons aussi tiré…
bucolique, calèche, Cologne, colonie, culte, culture, cycle, cylindre, polaire, poulie, ou même l’anglais wheel...

Au moment de cet article, j’avais délibérément omis de traiter certains des dérivés de la racine, pour ne pas me disperser…
Voilà l’occasion pour moi de les sortir du placard!


Notre τέλος, télos grec provenait de *kʷel-1 par une forme suffixée de la racine: *kʷel-es-.
Et de τέλος, télos, pas ingrat pour un sous, nous avons en retour hérité de…

téléologie, désignant l’étude des causes finales, de la finalité, en philosophie analytique.


L’entéléchie, dans la tradition aristotélicienne, représente la réalisation de ce qui était en puissance, par laquelle l’être trouve sa perfection.

Entéléchie provient, par le bas latin entelechia, du grec ancien ἐντελέχεια, « énergie agissante et efficace », que l’on décomposerait en: ἐν - τελ - έχε - ια.
ἐν « dans », τελ « limite, terme », έχε « avoir, tenir, garder » et le suffixe -ια

Littéralement, entéléchie signifierait donc: « fait de se tenir dans ses limites » ou « action de conserver ce qu’on possède ».


Une forme au timbre o de *kʷel-1: *kʷol-, suffixée en *-so-: *kʷol-so- , signifiait “ce sur quoi la tête tourne”.

Entendez… le cou!

En proto-germanique, *kʷol-so- se retrouve dans le composé *h(w)als-berg-, littéralement: protection de cou.
Nous en avons gardé le vieux français hauberc, une longue cotte de maille, munie d’une partie mobile que l’on rabattait sur le menton pour le protéger.


hauberc


Mais bien plus simplement, par le latin collum le cou, cette variante *kʷol-so- nous a donné cou, col, collet, collier, collerette, accolade, le pas très gai décollation ou le nettement plus sympa décolleté


La décollation de Jean le Baptiste


Jamel et le décolleté d'Adriana Karembeu



Allez, une petite devinette: trouvez le mot dont voici la définition:

Ce mot désigne un système de défense active qui se répand à la fin du Moyen Age et se compose d’une structure de pierre faisant encorbellement, dotée d'ouvertures, et placée au sommet d'une tour ou d'une courtine. Il permettait de jeter divers matériaux pour défendre le pied des fortifications.


Ca commence par


En quatre syllabes…











Oui?

mâchicoulis!

Le mot se compose de mâcher: écraser, et de col (cou), le mâchicoulis permettant de lancer des projectiles en tir plongeant de manière à écraser le cou des assaillants.


mâchicoulis



Allez, encore un mot à trouver, plus simple.
Ce composé nous vient du latin tortum collum, littéralement « cou tordu »….

...


...


...


OUI! Torticolis!



Vous connaissez le mot ancillaire? Qui a rapport aux servantes.

Ancillaire nous arrive du latin ancillaris, de ancillapetite servante »), diminutif de ancula, féminin de anculus (domestique, serviteur).

- Et tout ça sans jeu de mots ou bêtes allusions -

En latin archaïque, le préfixe ambi (autour) donnait an-.
Quant au radical colo, - relisez des colons en calèche, comme c'est bucolique..., je ne blague pas!! - il signifiait habiter, cultiver, ou encore veiller sur.

Le serviteur, l'anculus était donc, en quelque sorte, « celui qui tourne autour ».



Encore une dernière petite salve?

Sur une variante suffixée au timbre zéro de *kʷel-1: *kʷl̥ə-i-, s’est créé le grec πάλιν, pálin: à nouveau, en arrière (oui, comprenez: ce qui tourne sur soi-même, se renverse au point de revenir au point de départ.)

Nous en avons tiré …

palindrome!

Figure de style désignant un texte ou un mot dont l'ordre des lettres reste le même qu'on le lise de gauche à droite ou de droite à gauche.

Oui, c'est par un bien joli palindrome que vous avez été reçus en haut de cette page…


palimpseste! Du grec ancien παλίμψηστος, palímpsêstos, « gratté de nouveau ».

Manuscrit écrit sur un parchemin préalablement utilisé, et dont on a fait disparaître les inscriptions pour y écrire de nouveau.

palimpseste



Palinodie?

Oui! Une palinodie - πάλιν, palin, de nouveau, et ὠδή, ôdê, chant - est la partie d'un texte — en général la conclusion — dans laquelle l'auteur révoque volontairement tout ce qu'il s'est efforcé de démontrer dans le développement.

C’est par une palinodie que Brel terminait sa chanson “Les Filles et les chiens”…



Michael Palin


Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche,
une très bonne semaine, et vous donne rendez-vous ...

à dimanche prochain!


Et en attendant, un remarquable, incroyable
palindrome musical, signé J. S. Bach:




Frédéric


Aucun commentaire: