article précédent: elle attendait, debout sur la berge
J'ai déjà dit, en racontant ma rencontre avec lui,
que le crâne de Freud ressemblait à un escargot de Bourgogne.
La conséquence est évidente:
si on veut manger sa pensée il faut la sortir avec une aiguille.
Alors elle sort tout entière.
Les moustaches radar (1955-1960)
Salvador Dali
Bonjour à toutes et tous!
Dimanche dernier, nous avions découvert cette très jolie racine *bhergh-2, à qui nous devons bourg, beffroi, iceberg, ou les anglais burglar ou barrow…
Vous vous souvenez? Elle désignait un lieu élevé.
Nous n’en avions pas fini avec elle, oh que non!
Car je ne vous ai pas encore parlé de cette forme particulière de *bhergh-2 au timbre zéro et suffixée: *bhr̥gh-n̥t-, qui devait également signifier haut, élevé, mais aussi dans un sens figuré, marquant la déférence: "le très haut", "le très élevé".
Nous pourrions ainsi, dans cette acception, la traduire par éminent…
Eh bien, *bhr̥gh-n̥t-, est passée au germanique *burgund-.
Ca commence à faire tilt?
OUI, il s’agissait du nom d’une tribu - germanique, évidemment -, ceux des hautes terres.
Les Highlanders de l’époque, les … Burgondes.
Repris en latin classique, *burgund- devint Burgundiōnēs.
En latin médiéval, le mot se dérivera en Burgundī.
Et la terre des Burgundī, on l’appelait comment??
Mmmh?
Ben oui: Burgundia.
Oui, alors, un petit mot sur l’histoire de cette glorieuse tribu:
Ces Burgondes étaient vraisemblablement originaires de Scandinavie continentale.
Disons que là, on ne peut pas leur en vouloir.
De là ils émigrèrent sur l’île de Bornholm, au beau milieu de la Baltique.
La borgmester actuelle de l'île, c'est elle, Mme Winni Grosbøll. Je n'invente rien. |
Après avoir réalisé leur erreur (rendez-vous compte, quitter la Scandinavie continentale, OK, mais pour émigrer sur l’île de Bornholm!?)...
(en fait, c'est très beau, Bornholm, 'faut juste aimer les églises rondes et blanches, et les rangées de maisons en couleurs pétantes.)
... ils décidèrent de descendre cette fois du côté du bassin de la Vistule, en plein milieu - ou presque - de ce qui deviendra la Pologne actuelle.
C'est par là, la Vistule (source) |
C’était déjà un peu mieux.
Mais pas plus marrant que ça.
La Vistule c’est bien un jour,
c’est bien pour une pause-pipi en descendant vers le sud,
mais bon, se réveiller tous les matins en voyant la Vistule…
Vous voyez ce que je veux dire |
Alors, pour tuer le temps, certains d’entre eux décidèrent de participer aux invasions de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge.
Bah, pourquoi pas? C’est toujours mieux que de contempler le bassin de la Vistule à longueur d’années.
A l’issue de ces invasions, ils s'établiront dans le sud-est de la Gaule, comme peuple fédéré de l'Empire romain.
“Là z’est pon, on z’v’ra blus ch*er” se disaient ces rudes Germains, pas méchants mais… Bon.
Sauf qu’à la fin du Vème siècle, bardaf, l’Empire romain d'Occident s’effondre.
Jamais à court d’idées, ces truculents Germains se mettent alors en tête de fonder un royaume, qu'ils étendent - tant qu’à faire - vers la Suisse romande actuelle et le quart sud-est de la Gaule.
Evidemment, ces gros malins se font intégrer dès 534 au royaume des Francs mérovingiens, au sein duquel, à la fin du VIème siècle, leur royaume prendra le subtil nom de regnum Burgundiæ (« royaume de Burgondie » ou « royaume de Bourgogne »).
2 Francs mérovingiens |
500 francs CFA (source) |
C’est de ce regnum Burgundiæ qu’est issu le nom actuel de la Bourgogne, fallait-il vous le dire?
Et donc, oui, Bourgogne nous vient de *bhergh-2 par l’entremise de sa forme *bhr̥gh-n̥t-.
“La très haute”, “La plus élevée”, “la plus grande”, c’était ainsi qu’en proto-celtique on l’appelait, cette déesse éminemment importante dans le panthéon celtique, incarnation du principe féminin: *Briganti.
*Briganti |
Oui, *Briganti, toujours basé sur la forme *bhr̥gh-n̥t- de notre racine proto-indo-européenne *bhergh-2.
Oh, cette grande déesse est connue sous plein de noms, tous variantes de *Briganti: en Bretagne armoricaine elle sera Brigantis, en Ecosse Brid ou Bride, en Gaule Berecyntia, Brig, Brigandu ou encore Brigantia, en Irlande Brig, Brigid, Brigh ou bien Brighit, au Pays de Galles Brigid ou encore, en Suisse Brigindo.
L’anglais Bridget, ou le français Brigitte, oui, ne sont que des lointains dérivés de l’éminente *Briganti.
Notez qu’on retrouve toujours *Briganti dans le nom Brigantes, désignant une tribu celte installée dans le nord de ce que nous appelons à présent l’Angleterre, avant la période romaine.
On trouvait également un peuple de Brigantii près du lac de Constance, dont la capitale était Brigantion (Bregenz).
Il en va de même pour Briançon.
Bridget Jones (Bridget Jones's Diary), Renée Zellweger |
Mais c’est pas fini!
Car on soupçonne une AUTRE forme au timbre zéro de notre racine, *bhr̥gh-to-, de s’être dérivée dans le latin fortis: fort, robuste, solide…!
(Oui, on le soupçonne, on n’en est pas sûr sûr, car il se pourrait fort bien que fortis provienne d’une autre racine: *dher-2 “tenir fermement, supporter”… Tiens, ça fera peut-être l’objet d’un dimanche, ça…)
Mais bon! Partons du principe que le fortis latin vient bien de *bhr̥gh-to-, sinon je ne sais plus quoi trop vous dire.
Si c’est bien le cas, alors nous devons encore à *bhergh-2 les français fort, force, effort, fortifier, fortification, forteresse...
Réconforter, au XVIIème, signifiait littéralement redonner des forces, tant sur un plan moral que strictement physique.
Le verbe a fini par pratiquement évincer son collègue conforter, emprunté vers la fin du Xème siècle au latin chrétien confortare: renforcer et consoler.
Son déverbal, à conforter, c’était l’ancien français confort.
Mais ne confondons surtout pas!
Notre moderne confort, lui, n’est plus le même mot!
Oui, c’est dingue!
Car notre confort moderne n’est qu’un emprunt bien récent (1815) à l’anglais ... comfort.
Lui-même précédemment emprunté à l’ancien français confort.
confort moderne |
Le mot anglais, tout en conservant le sens moral, désignait aussi un état de bien-être physique et matériel.
Et par métonymie, les conditions objectives nécessaires à cet état…
Et moi qui vous écris, très confortablement installé dans mon antre sous les toits - je me suis même servi un verre de Single Malt, c’est tout vous dire (oh, un Dalwhinnie de 15 ans, très rond, très doux) -, je vous souhaite, à toutes et tous, un trrrrèèèès bon dimanche, et une fantastique semaine!
On se retrouve, voyons… dimanche prochain?
Je vous proposerai alors de nous intéresser à la racine *bhergh-1. Oui, 1.
Qui signifiait…. Oh, vous le verrez bien!
Frédéric
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