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"Le sieur Dalliez m'assure que le fer de Bourgogne que l'on fabrique dans les martinets de Vienne, est des plus fins et aussi bon que celui de Piémont"
Jean-Baptiste Colbert dans sa Correspondance, III, 469.
Colbert. Je n'aime pas trop le personnage, surtout après ce qu'il a fait à Fouquet |
Avant d'aborder les deux racines proto-indo-européennes dont j'ai envie de vous parler en ce "dimanche", j'aimerais, d'une certaine façon, vous dresser le décor dans lequel le mot qui me servira de point d'entrée m'a été transmis...
Car il me vient de loin, de mon enfance.
J'ai passé mon enfance au pied d'un terril, le terril du Martinet, à Roux, près de Charleroi, en Belgique...
Ca c'est moi, avec Rack, du temps où je jouais sur le terril... |
Alors, voilà une petite introduction sur le lieu, avant de passer au plat de résistance:
Ce terril, particulièrement boisé, était pour moi une merveilleuse plaine de jeux, et j'y passais des journées entières de congés ou de vacances.
A présent, le lieu est classé, et visitable.
Le terril du Martinet, ou plutôt le plus grand des deux (car il y a en fait deux terrils, disposés en "L") |
Et grâce au très actif comité de quartier, les anciens bâtiments du charbonnage du Martinet sont en train d'être réhabilités et sont gages d'un heureux futur pour le site, et le quartier.
Tant qu'à faire de planter le décor, je ne résiste pas au plaisir de le dépeindre selon une perspective proto-indo-européenne (ben voyons):
Le nom Roux n'a strictement rien à voir avec la couleur des cheveux, mais bien avec le traitement que l'on fit subir il y a bien longtemps au lieu en question pour permettre à une communauté humaine de s'y installer...
En effet, le territoire était couvert de bois, et on l'a défriché, essarté.
Le mot "Roux" provient du germanique *reudijanan ("défricher"), par le bas-allemand reuten, issu du haut-allemand riuten.
A l'origine, on trouverait peut-être (je ne l'affirmerais pas) la racine proto-indo-européenne *reudh-, qui aurait porté déjà cette notion de "nettoyage de terrain".
Roux, vu depuis le terril du Martinet |
*reudh- se retrouve en abondance dans la toponymie belge, avec des noms de communes comme: Rœulx, Rœux, Rhode, Roux-Miroir, Wernigerode, Roetgen, Marienrode, Goutroux...
Et "Martinet", le nom du quartier de mon enfance, tire vraisemblablement son nom d'une ancienne forge qui a dû jadis être établie à cet endroit, dans laquelle fonctionnait un...
... martinet!
Un "marteau qui est mû ordinairement par la force de l’eau et qui sert dans les forges, dans les moulins à papier, à tan, à foulon, etc."
Selon Dicocitations ™, il s'agit d'un "marteau mû par un moulin".
Engrenages du martinet de la forge de Sheffield |
Et le mot "martinet" est un diminutif du bas-latin martellus, dérivé du latin impérial martŭlus, altération du latin classique marcŭlus - marteau.
Et - ça va de soit! - le latin marcŭs - marcŭlus vient d'une racine proto-indo-européenne, nommément: *melǝ- ("moudre, battre, broyer", d'où, par extension "fin, menu"), dont sont également issus "meule", "moulin", ou encore l'anglais "mill".
Cette racine est tellement intéressante qu'elle demanderait un "dimanche indo-européen" à elle toute seule... J'y reviendrai donc....
- Pour en savoir plus sur *melǝ-, lisez donc: Vestales, malléoles et Lofoten! -
Voilà pour le décor, avec encore un tout petit mot pour terminer de le planter:
A la nouvelle année, mes parents m'emmenaient faire le tour de la famille, pour présenter nos voeux.
Il était de coutume de nous recevoir autour d'une tasse de café, avec des galettes et une petite goutte.
Galettes et café |
Et à chacune de ces agréables haltes familiales - nous voilà au mot de départ de ce "dimanche" - je recevais une dringaille (à ne pas prononcer "dringaïe", mais bien "dringueille"; on trouve aussi l'orthographe "dringuelle"): de l'argent de poche.
Littéralement, de l'argent pour boire, un pourboire, quoi!, par le néerlandais: drink-geld.
(A l’origine, cette gratification permettait à la personne qui la recevait de se payer à boire)
Dringaille / drinkgeld est un composé de deux racines proto-indo-européennes: *dhreg- et *gheldh-.
*dhreg- transmet la notion de "tirer, aspirer, puiser", et par extension, de "puiser pour mettre en bouche", donc: boire!
L'anglais to drink (boire) en est le descendant.
Tout comme le sont les anglais drench: "tremper", et encore drown: "noyer".
J'aurais bien aimé que le français troquet en provienne, mais hélas, je n'ai rien trouvé qui permette de le corroborer...
Quant à la racine *gheldh-, elle avait comme sens: "payer".
Outre le geld néerlandais ("argent" comme moyen de paiement), nous lui devons le très romantique anglais yield ("le rapport financier, le rendement, le revenu"...).
Et aussi les mots pour désigner une "dette", en danois - gjæld, comme en suédois - gäld.
Mais *gheldh-, par un léger détour par le vieux norrois gildi, nous a également donné la ... guilde!
*geldjam, en vieil allemand, c'était le paiement, la contribution.
Le mot en est venu à désigner une association fondée sur le principe de la contribution, sur les intérêts communs.
La guilde, au Moyen-Age, représentait une assemblée de personnes pratiquant une activité commune, et dotée de règles et privilèges précis, regroupant les artisans d'un même corps de métier.
Le Syndic de la Guilde des Drapiers – Rembrandt 1662, lors d'une de ces sessions de beuverie débridée et plaisanteries paillardes dont ils avaient le secret. |
Je ne peux que vous conseiller, après votre escapade sur le Terril du Martinet, la visite de la Grand-Place de Bruxelles, bordée par les maisons des différentes corporations: boulangers, graissiers, ébénistes, merciers, tailleurs, brasseurs ... ...
La Grand-Place et quelques-unes des maisons des corporations |
Frédéric, décidément très belge aujourd'hui.
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1 commentaire:
Hé Hé oui ! Merveilleux souvenirs d'enfance où l'on dévalait les pentes herbeuses des terrils du borinage en se persuadant d'être des champions de luge.
En lisant la racine "*dhreg-" , difficile de ne pas songer à "draguer" dans tous les sens du terme correspondant à l'anglais figuré "to drag". Sur ce coup-là (si j'ose m'exprimer ainsi), l'italien parle (surtout avec les mains ;-), on le sait) de "rimorchiare" (remorquer) nettement moins poétique.
Et "troquet" ? J'aimerais croire que puisqu'il provient de mastroquet -marchand ambulant de vin- il puisse avoir un lien avec "ma strotje" (ma rue en brusseleer < straatje). Vous savez bien, allez, celle de Madame Chapeau, Amélie de son prénom. Soyons fous et tant qu'à faire dans la belgitude : Amélie Chapeau avait une soeur, aussi "rousse" qu'une bonne bière, et distinguée avec ça. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle non plus, ne sortait pas en cheveux...
Sur ce je retourne méditer sur "gheldh-" payer, en argent ou en or (gold ?). Même si les deux mots ne viennent pas de la même racine, n'était-ce pas l'Arpagon de De Funes qui disait "Et mon or, c'est mon argent" ? Dommage que l'auteur n'en soit pas Racine ;-)
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