Fabre d'Églantine (1780, faisant référence à la reine Marie-Antoinette)
Il pleut, il pleut bergère |
Bien souvent, pour retrouver la racine originale proto-indo-européenne derrière les mots que nous utilisons aujourd'hui, nous devons faire un certain effort, essayer de voir "derrière".
On n'y trouve souvent qu'une forme déformée de la racine originale.
Mais parfois, certaines racines proto-indo-européennes nous sont parvenues telles quelles.
Ainsi, le néerlandais "nu" (maintenant) provient de la racine *nu-, reprenant la même idée.
En français, nous avons le verbe "pleuvoir", sans qui, par ici en tout cas, on ne saurait tout simplement pas parler du temps. (Et en ce moment, je peux vous dire qu'il pleut sur Bruxelles)
Alors, NON, il n'y avait pas une racine proto-indo-européenne *pleuvoar-!
Mais il existait bien la racine *pleu-!
Que nous retrouvons phonétiquement intacte dans l'expression "il pleut".
"Pleuvoir" étant issu du vieux français pluveir, lui même bâti sur le latin populaire *plŏvēre (plovebat, imparfait de l'indicatif, attesté chez Pétrone), dérivé du latin classique plŭĕre.
En fait, *pleu- n'exprime pas vraiment la notion précise de "pluie, pleuvoir".
Mais plutôt celle de "couler", de "flux", d'"écoulement".
Pluie, pleuvoir, pluvieux... en sont d'évidents dérivés.
Mais il y en a d'autres, peut-être plus surprenants...
A commencer par "poumon", "pulmonaire", via le latin pulmō .
Probablement parce que nos ancêtres avaient déjà compris que nos poumons permettaient à l'air de s'écouler en nous.
On retrouve la racine, avec un sens comparable, dans le sanskrit क्लोमन् (klóman), le grec ancien πλεύμων (pleumōn), ou encore le vieux slavon d'église плюща ("plioutcha").
Pluton (Pluto), le dieu romain des enfers, lui doit également son nom, emprunté au grec Πλούτων: Ploutōn. L'explication étymologique peut en paraître un peu absconse:
Ploutōn, le dieu grec des enfers, était souvent confondu avec le plus sympathique Plutus (Πλοῦτος, Ploutos), un dieu de l'abondance, de la richesse.
Au point que plus tard, les Romains représenteront Pluton avec le sceptre - marquant son pouvoir sur les royaumes infernaux - et la corne d'abondance, représentant la richesse.
La confusion entre les deux Dieux s'expliquait d'autant plus que Pluton régnait sous terre, et que Plutus veillait sur les richesses souterraines, ces semences qui allaient donner finalement de belles moissons.
- Oui, et alors? En quoi *pleu- est-elle liée à Pluton?
- Cool, on se détend, on y arrive...
C'est en réalité à Plutus et à la notion de richesse que *pleu- est reliée.
Tout peut se résumer par le symbole de la corne d'abondance: les richesses, c'est ce qui coule à flot.
Pluto à Disneyland: une certaine idée de l'enfer |
Et la ploutocratie consiste - malheureusement toujours - en un système de gouvernement où l'argent constitue la base principale du pouvoir.
*pleu- est aussi à l'origine d'une jolie série de mots germaniques, via le proto-germanique *flōðuz, inondation, eau courante, déluge (déjà mentionné dans Tour de France et Tour de Babel).
L'anglais flood par exemple: l'inondation, mais aussi float: flotter, ou flow: le flux.
Et bien sûr, le français flotter vient de là! Par le francique flod.
Toujours via le germanique, *pleu- nous a encore laissé flottille, flottaison... Cette fois via le vieux norrois floti: "radeau, flotte, flottille".
Ligne de flottaison |
En russe, on retrouve encore, dérivé du proto-indo-européen *pleu-, le verbe плыть ("pleutje"): nager.
Le français périple, qui dans son sens premier signifie: "navigation autour", "circumnavigation", est encore un bon descendant de *pleu-, par le grec πλέω (pleô): "naviguer".
Curieusement, le mot flèche nous vient lui aussi de *peu-!
Par le francique *fliukka (littéralement: "celle qui vole"), descendant du composé proto-germanique *fleug-ika.
Flèche. Les mal-comprenants ont enfin leurs signaux routiers |
Car voler, c'est un peu "flotter dans l'air", non?
Cette association d'idée entre flotter sur l'eau et en l'air nous a donné les anglais fly: la mouche, ou encore to flight: voler...
- Ouais, tu fais ton malin, hein? Mais moi je ne vois pas comment une racine commençant par un "p" puisse produire des mots commençant par un "f". C'est encore du grand n'importe quoi.
- Oui, à première vue, ça peut paraître surprenant. Mais il s'agit là d'une dérivation classique, le son consonantique proto-indo-européen "p" ayant tendance à rester "p" dans les langues latines, et à se transformer en "f" dans les langues germaniques.
Le premier linguiste à avoir identifié ce phénomène, c'est Jacob Grimm - oui oui, l'un des frères Grimm! - dans ce qui deviendrait la loi de Grimm (ou "première mutation consonantique").
Jacob Grimm |
C'est ainsi que la racine proto-indo-européenne *perd-: laisser échapper bruyamment un gaz intestinal, a donné le français péter, et l'anglais fart...
Frédéric
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