article précédent : C'était qui, encore, le gendre d'Agamemnon ?
Peut-être aurons-nous un peu plus de chance avec l'étymologie de… bru ?
Qu’importe que le fils meure pourvu que la bru soit privée de mari.
Proverbe yiddish
Pour quand la bru prend de la bouteille |
Bonjour à toutes et tous,
Quel mot bizarre que ce "bru", ne trouvez-vous pas ?
Ca ne sonne pas français. On dirait qu'il y manque la fin…
D'ailleurs, je ne dois pas être le seul à le trouver curieux, car on est en train de l'oublier, pour le remplacer par le plus joli "belle-fille"...
- soit dit en passant et en toute honnêteté, je trouve ça dommage, car bru et belle-fille ne sont pas des synonymes. Et allons même un peu plus loin: les synonymes ça n'existe pas !
On peut certes trouver des mots avec des sens très très très proches, mais rarement - ou jamais - parfaitement identiques... C'est aussi ça, la beauté d'une langue !
(Des synonymes parfaits ? Si vous en connaissez, envoyez-les moi, on en discutera !)
En matière de synonymes :
La bru est l'épouse du fils.
Alors que la belle-fille est la fille née d’un lit antérieur de l’un ou de l’autre des deux époux, ou - oui, aussi - l'épouse du fils.
Je suppose que vu la complexité du tissu familial actuel, où il devient pratiquement impossible de savoir qui est qui dans les relations parents-enfants de nos familles décomposo-monoparentalo-recomposées (selon parfois plusieurs itérations, et pas toujours dans le même ordre), le terme bru, trop précis, trop limité, n'a plus vraiment sa place.
Mais soit !
C'est le même phénomène: être confronté à trop de complexité dans l'utilisation d'un mot dont le champ sémantique est limité - c'est du moins comme ça que je me l'explique - qui a fait choisir le terme loch aux Ecossais...
- Aparté : le ch du bout du mot est à prononcer non pas comme dans loque ou loche, mais bien avec un son guttural rappelant une jota espagnole.
Si vous êtes un journaliste français, de grâce n'essayez même pas; ici on se souvient encore de nos côtes douloureuses à force de hurler de rire, de nos maux de dos à force de nous rouler par terre, en entendant les journalistes des chaînes françaises prononcer le nom de la ville où se signait le Traité sur l'Union Européenne : Maastricht.
Ah quelle belle époque ! On se ruait sur toutes les chaînes françaises au moment des journaux du soir... Et on zappait de l'une à l'autre pour être sûrs de ne surtout pas rater LE MOT. -
Non, ça ne se prononce pas Masstrichte. Ni Masstricte. Je vous jure que non. Plutôt Mââstricht. Pour vous aider à prononcer la fin, le ch se prononce comme dans le mot écossais loch.
Maastricht c'est non, mais encore faut-il le prononcer correctement |
En plus, c'est très beau Maastricht |
Euh, je m'égare, je reprends ici ma phrase...
C'est le même phénomène - c'est du moins comme ça que je le comprends - qui a fait choisir le terme loch aux Ecossais...
On traduit souvent loch par lac, mais ce n'est qu'en partie exact: si un jour vous allez en Ecosse - ce que je vous souhaite !!!! - vous allez vous retrouver devant des étendues d'eau: la mer, des lacs, des bras de mer, des lacs qui se jettent par un fin couloir dans la mer, des rivières qui sont envahies d'eau de mer lors des marées - et remontent dans les lacs, des estuaires qui ressemblent à des lacs, et puis encore et encore de l'eau.
Et des côtes (sur la façade occidentale en tout cas) incroyablement tourmentées, déchiquetées...
Un peu comme nos côtes à nous après l'épreuve de Masstrichte.
Et à un certain moment, même en bord de mer, vous finissez par douter: est-ce de l'eau douce, ou pas? Sur ma droite, c'est la mer, mais à gauche? Ce que je vois là, c'est un fjord, ou bien, au bout, y a-t-il quand même une bande de terre qui sépare l'étendue d'eau de la mer?? C'est une île de mer, là-devant, ou c'est juste l'autre rive???
Les Ecossais, pragmatiques, ont arrêté de se faire ..ier (ici, le ch est en début du mot - et peut se prononcer comme dans Masstrichte) et ont magistralement décidé d'appeler loch tout ce qui correspondait à une étendue d'eau suffisamment euh... étendue. Et voilà.
Notons quand même que le lac français n'est pas aussi limpide que ça... (ce qu'en dit Wikipedia)
Loch |
Quoi qu'il en soit, bru est bien un mot de la langue française.
Mais - on le sent intuitivement - nous ne l'avons emprunté ni au latin, ni au grec.
Enfin, quand je dis qu'il ne provient pas du latin…
Disons que ce mot, dont nous trouvons la première trace écrite au XIIème siècle, provient bien du bas latin - comme beaucoup de nos mots finalement - mais pas de NOTRE bas latin, celui à la base du français, celui qui était parlé en nos contrées.
Non, ici il s'agit du bas latin… des Balkans.
Je sais, c'est dingue.
La péninsule des Balkans |
Et le mot en bas latin des Balkans (je vous jure que c'est pas une blague) dont "bru" provient, c'était brutis / bruta, "belle-fille".
Brutis / bruta n'était pas une altération du latin classique; cela aurait été un peu trop facile…
Non, en fait il avait été introduit dans la région (dans les Balkans, enfin !!!) par les Goths au IIIème siècle, sous la forme *bruþs : jeune mariée, jeune femme, lors de leurs avancées dans l'Empire romain…
- Bon, et les Goths, ils l'ont trouvé où, alors ?
- Dans ton … Mais enfin, qu'est-ce que vous me faites dire ??? ... En proto-germanique, bien sûr !
Sous la forme *bruthiz. Qui s'appliquait à la femme sur le point, ou en train d'être mariée.
Et le proto-germanique *bruthiz provenait … d'une racine proto-indo-européenne ?
Ben non.
Ou peut-être oui.
'Sais pas.
On pourrait supposer une ascendance proto-indo-européenne à la sémillante racine proto-germanique *bruthiz, mais non, on n'en retrouve aucune trace.
Ce qui est intéressant, cependant c'est ce chevauchement des deux notions de "jeune mariée" et de "belle-fille" que l'on retrouve diversement dans brutis, *bruthiz et *bruþs.
Dans ce cas précis, on pourrait parfaitement penser que la racine proto-indo-européenne originale signifiait bien "jeune mariée" ET "belle-fille".
En même temps.
Elle qualifiait une seule et même personne…
Car chez nos ancêtres indo-européens - je vous ai déjà suffisamment tanné les oreilles (ou plutôt les yeux) avec ça - la femme mariée venait vivre dans la famille de son mari.
Donc, la seule "jeune mariée" dont il pouvait être question dans la maison, c'était la belle-fille.
Les Tochariens B adoraient tourner en ridicule les coutumes des Tochariens A |
Point donc, à ce jour, de racine proto-indo-européenne à l'origine de *bruthiz à vous donner, mais il existe une piste - qui vaut ce qu'elle vaut - qui permettrait de rapprocher *bruthiz de la racine verbale proto-indo-européenne *bhreuə-, dont les signifiés étaient "cuire, bouillir, infuser, brasser, préparer du bouillon …" (Pensons au brouet).
Racine sympa d'ailleurs, 'faudra qu'on y revienne...!
Si cette piste est à suivre, nous pourrions alors supposer que la jeune mariée avait comme tâches définies, dans sa nouvelle maison, de faire la cuisine.
Rien n'est certain, mais bon, je trouve la piste plausible.
Mais de toute façon, et là, ça devient plus tangible, le proto-germanique *bruthiz s'est décliné dans - notamment - le vieux frison breid, le néerlandais bruit, l'allemand Braut (fiancée), ou l'anglais… bride (par le vieil anglais bryd: jeune mariée, ou fiancée).
Mais je dois bien vous l'avouer, je ne vous dis pas tout…
Certes le gothique *bruþs s'est transmis au bas latin (des Balkans).
Ce que j'ai escamoté, cependant, c'est qu'il existait bien un terme latin pré-existant pour belle-file : nurus.
Et nurus nous arrivait bien d'une racine proto-indo-européenne !!!!
Aaaaaah….
En l'occurrence:
*snusós- (littéralement: belle-fille)
Ni nurus ni le proto-indo-européen *snusós- n'ont "souché", à ma connaissance, de mot français.
Mais nurus est toujours bien présent en italien: nuora, en occitan: nòra, en portugais: nora, en roumain: noră, en sarde: nura, en espagnol : nuera…
Eh oui, les francophones ont parfois le sentiment d'être au coeur du centre du nombril des langues romanes. Ben non !
Alors, pourquoi l'ensemble des langues romanes ont conservé des mots basés sur nurus, sauf le français, je n'en sais vraiment rien... Si quelqu'un a une idée, qu'il se manifeste ! C'est d'autant plus curieux que le roumain a bien conservé nurus, alors que c'est dans la région des Balkans qu'est d'abord apparu le terme brutis...
Et qu'à l'inverse la Gaule est à l'extrémité opposée du territoire de l'Empire...
Des mouvements de troupes entre les Balkans et la Gaule, des échanges commerciaux privilégiés entre les deux régions, des populations qui ont précisément quitté les Balkans pour la Gaule ... ...??
Ceci dit, on retrouve encore la racine proto-indo-européenne *snusós- hors des langues romanes et germaniques.
Comme…
- en sanskrit: स्नुषा (snuṣā́),
- en grec ancien: νυός (nuós),
- en arménien: նու (nu)…
En vieux slavon d'église ? (Oui, je sais que vous l'aimez bien): *snъxa, sur lequel le russe moderne сноха (snoxa) s'est basé… (x à prononcer comme dans loch...)
Oui, il faut bien le dire: elle est partout cette racine, sauf en français.
Surpris par la transformation de *snusós en nurus ?
- Pour ce qui est de la transformation du s en r, nous avons ici affaire à un bel exemple de rhotacisme (voir aussi rhotacisme? Moi je n'aime pas ce garçon).
- Quant à la disparition du s initial, sachez que le s est particulièrement instable dans les racines proto-indo-européennes, et l'on remarque qu'à l'initiale, quand il précède une autre consonne, il disparaît parfois dans certaines langues indo-européennes dérivées, typiquement l'arménien, le grec et le latin...
On parle d'ailleurs de s mobile en parlant du phénomène de l'alternance des paires de mots avec ou sans s avant une consonne initiale, que l'on retrouve dans des racines au sens identique.
Un exemple? *(s)ten-, qui désignait le tonnerre, et que le latin a conservé sous la forme tonare...
Mais bon, que tout ça ne vous empêche pas de passer un excellent dimanche,
et une très bonne semaine !
- Eh oh !! Et alors quoi, finalement ? C'est quoi la racine proto-indo-européenne pour belle-fille ? Enfin, bru. Celle qu'on ne retrouve pas, mais qui serait basée sur *bhreuə-, ou bien *snusós- ?
- Mais, à vous de choisir ! Personnellement, je pense que les deux pistes sont bonnes ; nous avons déjà vu, à plusieurs reprises, des racines proto-indo-européennes différentes évoquer pourtant des notions très très proches.
Comme des synonymes, quoi...
Allez, à dimanche prochain !
Frédéric
- Eh oh !! Et alors quoi, finalement ? C'est quoi la racine proto-indo-européenne pour belle-fille ? Enfin, bru. Celle qu'on ne retrouve pas, mais qui serait basée sur *bhreuə-, ou bien *snusós- ?
- Mais, à vous de choisir ! Personnellement, je pense que les deux pistes sont bonnes ; nous avons déjà vu, à plusieurs reprises, des racines proto-indo-européennes différentes évoquer pourtant des notions très très proches.
Comme des synonymes, quoi...
Allez, à dimanche prochain !
Frédéric
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