article précédent: de la mousse dans ma moutarde? Mais quel monde!
vous ne regardez plus jamais une mèche de la même façon
Frédéric Blondieau, in le dimanche indo-européen
Bonjour à toutes et tous!
Après vous avoir proposé un jeu sur la racine *meug- (jouons un peu), puis avoir exploré la racine *meus-, étroitement apparentée à *meug- (de la mousse dans ma moutarde? Mais quel monde!), je vous avais promis de revenir sur *meug- pour en sortir encore quelques surprises…
Eh bien, allons-y!
La racine proto-indo-européenne *meug-, vous le savez déjà, évoquait ce qui était glissant, humide, visqueux, gluant… C'est d'ailleurs en cela qu'elle était proche de *meus- ("humide, mouillé"), qui faisait référence à des terrains marécageux ou à la végétation que l'on pouvait y trouver.
Un exemple clair qui appuie cette relation *meug- / *meus- pourrait être le champignon!
Ou du moins l'étymologie du mot le désignant en grec d'une part, et en anglais de l'autre…
Car *meug- nous a donné le grec μύκης múkês: champignon.
Certes.
Mais de son côté, *meus-, par la voie germanique cette fois, nous a apporté le vieux français meisseron (attesté plus tard, au XIème siècle sous la forme mousseron), ancien mot pour champignon.
Deux hypothèses sur la construction de meisseron ; à vous de choisir:
- Le mot est basé probablement sur le latin médiéval mussiriōnem, musariōnem, accusatif de mussiriō, musariō ("champignon") provenant du français "mousse".
- Il s'est basé directement sur "mousse".
Bah, dans les deux cas, comme nous l'avions déjà vu, "mousse" provient lui du francique ou vieux néerlandais *mosa - la mousse, lui-même basé sur le proto-germanique *musą (mousse, tourbière, marécage).
Et ainsi, par l'anglo-normand musherun, le vieux français meisseron a colonisé l'Angleterre à sa façon, pour devenir en moyen-anglais muscheron, et déboucher sur l'anglais moderne mushroom…
Le pauvre mot en vieil anglais qui désignait originellement le champignon, et qui en a fait les frais? swamm…
Bon, là je n'en suis pas fier, mais - je vous jure que c'est vrai - Marcel Proust aimait s'adonner à la botanique. Il aurait pu donc parfaitement écrire Du côté de chez Swamm. Pardon. |
Et oui, encore une fois: quelle honte, un mot français importé en anglais pour affaiblir cette si belle langue…
Mushroom haircut: la coupe de cheveux "champignon". Ca peut être ça... |
... ou ça. |
Notons enfin que mousseron a été conservé en français moderne, mais pour ne plus désigner qu'un champignon comestible, le tricholome de la Saint-Georges.
Mousseron, ou tricholome de la Saint-Georges |
Et pour mes amis Montois, voici le combat du Tricholome de la Saint-Georges et du Dragon |
Alors, *meug-…
Oui bon, on lui doit "moiteur, moite", par le latin mūcidus, moisi, gâté, morveux, créé sur le latin mucus: morve.
Ou encore muqueuse, basé lui aussi sur mucus.
Quant à notre préfixe myxo-, que nous retrouvons par exemple dans myxomatose, il désigne ce qui est "relatif au mucus, à une muqueuse".
Il nous arrive du grec ancien μύξα, mýxa (mucus).
Rien de bien transcendant, j'en conviens…
Même si le terme myxine est construit dessus.
Je ne veux pas faire de mon nez, mais enfin, myxine désigne quand même une des espèces d'animaux chordés crâniates agnathes marins nécrophages.
Ce brave animal, appelé également cochon des profondeurs, ressemble à une anguille gluante, à bouche circulaire entourée de barbillons.
Un spécimen de myxine particulièrement chordé, très crâniate mais relativement peu agnathe. |
Mais bon, je vous avais laissé sous-entendre que *meug- recelait encore quelques surprises…
Le mot qui désignait en grec ancien un lumignon (le bout de la mèche d’une bougie ou d’une lampe allumée), était le même que celui qui désignait le mucus: μύξα, mýxa.
Plus tard, en latin, le mot a été repris sous sa forme originale: myxa.
Curieux, non, cette analogie entre le mucus et le bout d'une mèche?
On suppose que le mot provient d'une image assez euh... parlante, mettant en scène le mucus. Oui, la morve!
Cette image??
Etes-vous VRAIMENT certain(e) de vouloir la visualiser????
Bon, OK, si vous insistez... - mais je vous aurai prévenu(e): "la mèche pendouillant au bec d'une lampe comme de la morve au nez."
Oui, je sais.
Mais je vous l'avais dit.
Et le français mèche, cet assemblage de fils de coton, de chanvre ou autre matière qu’on utilise pour l’éclairage dans les lampes à huile, à pétrole, à essence, nous vient du latin myxa...
Lampe à huile, avec sa mèche bien visible. Beeerk |
Encore plus fort?
L'anglais match, l'allumette est calqué sur le vieux français meiche - qui deviendra donc mèche - via une ancienne forme anglaise macche…
Uh oh, 27. |
Quelque chose de glissant, humide, visqueux, gluant…
Ca aurait tendance à vous filer entre les doigts non? Comme une anguille…
Vous devez connaître l'anglais smuggler: le contrebandier.
On parlera également de drug smuggler pour un trafiquant de drogue…
Bon blend, pour un bon whisky-coca |
To smuggle nous vient d'une forme précédente smuckle, basée soit sur le néerlandais smokkelen ("faire de la contrebande, passer quelque chose en fraude"), forme fréquentative du moyen néerlandais smūken ("agir en secret, dune façon sournoise"), ou sur le néerlandais, bas saxon ou bas allemand smuggeln, au sens équivalent.
Quoi qu'il en soit, l'ascendance de chacun de ces mots est une source unique: le proto-germanique *smeuganan basé sur notre racine proto-indo-européenne *smeug-.
On retrouve la racine dans pas mal de langues germaniques, avec comme mots apparentés à smuggle (des "cognates" en franglais, de l'anglais cognate, du latin cognatus: apparenté):
- En frison oriental (le seeltersk, encore appelé saterlandais), parlé en Saterland (Basse-Saxe, Allemagne): smukkeln ("agir insidieusement, faire de la contrebande")
- En frison, mais occidental cette fois: smokkelje
- En allemand: schmuggeln
- En danois: smugle
- En suédois: smuggla
- En islandais, on trouve encore smjúga pour se glisser, pénétrer
- En suédois on a encore smyga: ramper, se glisser, voler...
- En allemand schmiegen ("se blottir") ...
Frison, très réputé pour sa viande. Remarquez la crinière frisée |
Je vous souhaite à toutes et tous un bon dimanche, une bonne semaine!
Et… à dimanche prochain!
Frédéric
article suivant: Namasté, nomade économe!
2 commentaires:
Autant le dire tout de suite : Je ne suis de mèche avec personne ! Ni avec Thierry 's Mugler (sorry) ni avec "Smeagol" (Old English : svelte, mince, provenant selon Pokorny de: 2. meug-, meuk-) qui vivait dans le Champs aux Iris, des marais, humides et gluants à souhait. Or, on le sait, Smeagol évolue en Gollum ainsi nommé pour ses bruits de gorge, probablement dûs à toute sortes de...mucosités. Quels terrains glissants nous offre donc cette racine !
Mais le Smeagol est aussi le nom d'une limace de mer, aussi répugnante que la myxine ou que la morve s'écoulant du nez en..chandelles. Ce n'est sans doute pas par hasard qu"on "mouche les bougies".
Ne vous laisserai pas à ce somptueux dimanche sans vous confier que le boletus erythropus persoon est appelé "muss' i voi" dans un sombre dialecte italien.
:-)
Oui, Smeagol!
Et assurément, on mouche les bougies...
Enregistrer un commentaire