article précédent: - J'ai connu une ballerine bélonéphobe. - Et alors? - Ben elle n'osait pas faire de pointes
Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope
Les dons qu'à ses amants cette Muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d'Ésope:
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
(...)
Jean de La Fontaine,
Fables, Livre second, Fable 1 "Contre Ceux Qui On Le Goût Difficile"
Bonjour à toutes et tous!
Vous avez dû vous en rendre compte, ça fait maintenant quelques semaines que nous avons commencé un grand thème, centré sur la langue, la parole.
Je l’appelerai Langue / mot / Parole
Nous l’avions commencé le 4 janvier dernier avec Zorro, Dingo et Fredo vous souhaitent une très bonne année!
Nous avons ainsi déjà traité des racines…
- *dn̥ghū-: langue (Zorro, Dingo et Fredo vous souhaitent une très bonne année!),
- *del-2: raconter, compter, à l’origine notamment de l’anglais tell - dire, raconter (talk talk talk - Qui c'est? - C'est Guillaume! - Guillaume qui? - Guillaume Tell!),
- *pau-2: couper, battre, frapper, lointaine parente de nos français conte et compte (A compter de ce jour, je te répudie),
- *werə-3: parler, ancêtre de notre verbe, de l’anglais word, ou encore de rhétorique ou ironie (Un verbalisateur en verve, quelle ironie!),
- *gʷelə-1: lancer, jeter, qui nous a donné parole, mais aussi bolide, diable, symbole ou emblème (Diable! Avec un bolide pareil, c'est pas le code de la route, mais la balistique que tu devrais apprendre, ma parole), mais aussi ...
accabler , bal , baliverne, brinquebaler, ou l’anglais kill (- J'ai connu une ballerine bélonéphobe. - Et alors? - Ben elle n'osait pas faire de pointes)
Et donc, la racine proto-indo-européenne *werə-3 signifiait “parler”.
Bon, je dois vous l'avouer … je vous ai menti.
Mais bon, juste par omission…
Car même si *werə-3 véhiculait bien la notion de "parler", elle n’était pas la seule à le faire!
Eh non!
Car il y avait aussi…
*wekʷ-
Oui: sémantiquement, *wekʷ- correspondait également à parler, même si on pourrait lui trouver aussi le sens plus précis, plus restreint, de prononcer, émettre…
Vous la connaissez bien!
Ou en tout cas, vous connaissez fort bien ses dérivés français.
Voyons, si je vous disais que pas mal de ses dérivés proviennent d’une forme au timbre o …
Entendez donc que la voyelle pivot *e devient un *o.
Quels pourraient bien être les mots français qui en seraient issus???
Hein?
La forme au timbre o dont je parle, la voici: *wokʷ-
Alors, dites-moi?
Pour tout vous dire - ou presque -, *wokʷ-, ses premiers dérivés, nous en avons hérité par le latin.
Par un mot latin très court, d’une syllabe…
Trouvé?
Allez! Sa définition: ensemble de sons produits par les cordes vocales.
Mais oui! Vōx!
La voix!
Nipper, servant de modèle pour His Master's Voice |
Nous devons à *wokʷ-, par le latin vōx, nos français voix, vocal, ou encore voyelle.
En phonétique, on parle encore de voisement, de son voisé, quand la prononciation implique la vibration des cordes vocales.
Tiens, vous connaissez la différence fondamentale entre une voyelle et une consonne?
Une voyelle est un son produit par le libre passage de l’air dans la cavité buccale (et/ou les fosses nasales, surtout si vous habitez près de Liège).
Alors qu’une consonne, elle, correspond à une obstruction au passage de l’air…
C’est pour cela qu’aux voyelles correspondent de beaux sons “clairs”, alors que les consonnes se manifestent par des euh... bruits: des chuintements, des sifflements, des claquements…
Si en latin, *wekʷ- sous sa forme *wokʷ- a donné vōx, en grec, elle a donné… *ὂψ, ops, la voix.
Dans la mythologie grecque, Calliope (en grec ancien Καλλιόπη, Kalliópê, « belle voix ») était la Muse de la Poésie épique, et de l’Eloquence.
Calliope (source) |
Et le calliope, c’est aussi un instrument de musique, … à vapeur!
et sur iPad:
Une forme suffixée de *wokʷ-, *wokʷ-ā-, est à l’origine du latin vocāre: appeler.
Et sur vocāre, mes amis, mais nous avons créé une flopée de mots!…
Vocable, vocation (l’appel!), avocat, convoquer, provoquer, révoquer, univoque, invoquer, vocal, vociférer, avouer, aveu…
Avocat est un emprunt au latin advocatus, et a donné par évolution phonétique avoué.
Advocāre, basé sur vocāre, signifiait littéralement appeler auprès de soi, convoquer.
Quand quelqu’un était cité en justice, il appelait auprès de lui un … advocatus, personne qui l’assisterait devant le tribunal, advocatio pouvant se traduire ainsi par “assistance en justice”.
Ah, la classique scène finale des épisodes de Boston Legal, avec les excellents James Spader et William Shatner, avocats à Boston. Enfin, non, eux ce sont des acteurs. Mais bon, vous m'avez compris. |
Avouer, toujours basé sur advocāre, est un cas plus qu’intéressant…
De la notion de “appeler comme défenseur”, le mot est passé, en droit féodal - et sous la forme avoer - à signifier reconnaître quelqu’un pour seigneur.
De là, s’avouer à quelqu’un: se reconnaître son vassal.
Le mot va encore évoluer, pour signifier approuver, ratifier, considérer comme valable.
Le sens moderne du verbe n’est qu’une spécialisation du sens “reconnaître pour vrai”.
Avouez! |
Retenons également, toujours basé sur le latin vocāre, et transmis par le vieux français vocher, voucher (appeler, convoquer), l’anglais vouch: garantir, se porter garant, répondre de.
L’anglais voucher peut toujours désigner la convocation d’une personne devant une Cour pour garantir un titre de propriété, ou la personne même qui atteste de l’exactitude d’un fait, ou de la respectabilité de quelqu’un.
Mais vous connaissez aussi le voucher comme le bon qui vous garantit l’entrée (ou la sortie) lors d’un évènement par exemple, ou qui vous permet une remise sur un achat… ... ...
Spécial St Valentin |
Enfin, nous retrouvons encore *wekʷ-, par une forme suffixée *wekʷ-es, dans le grec ἔπω, épô, poétique ancien pour « dire », « parler », qui donnera à son tour ἔπος, epos, « parole », chez Homère, puis « chant poétique »).
Epopée, épique, sont de beaux descendants de ce grec epos, le grec ancien ἐποποιία, epopoiía étant à l’origine un récit en vers…
La plus ancienne épopée retrouvée à ce jour: l'Epopée de Gilgamesh |
Bon, d’accord, *wekʷ- n’a pas donné que du vocabulaire grec ou latin, si ça peut vous rassurer.
On la retrouve encore dans le sanskrit वच्, vāc (parler, dire), ou même l’avestique vač.
D’où आवाज़, āvāz en hindi, pour son, bruit, appel…
En tocharien A, *wekʷ- a donné wak.
En tocharien B? wek.
(oui, comme je l'ai déjà expliqué, les Tochariens B devaient toujours se distinguer des Tochariens A, c'était plus fort qu'eux)
Allez, encore un dérivé, et qui s'apparente par le sens au voucher anglais:
En germanique, notre racine est devenue *wahtaz, pour se transformer, en vieux norois, en váttr (“témoin”), pour finalement donner, en patois des îles Féroé (oui, je sais, c'est pointu)... váttur!
- Mais donc, c'est la même racine qui est derrière voix, aveu, avocat, Calliope, épopée, ou l'anglais voucher??
- Eh oui! c'est bien ça! Epatant non, le proto-indo-européen...!
Et moi là-dessus, je vous laisse!
Passez un excellent dimanche, et d’ici dimanche prochain… portez-vous bien!
Frédéric
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