- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 14 février 2016

Be My Valentine






Plinius Calpurnio Flacco suo s.

Accepi pulcherrimos turdos, cum quibus parem calculum ponere nec urbis copiis ex Laurentino nec maris tam turbidis tempestatibus possum. 
Recipies ergo epistulas steriles et simpliciter ingratas, ac ne illam quidem sollertiam Diomedis in permutando munere imitantes. Sed, quae facilitas tua, hoc magis dabis veniam, quod se non mereri fatentur.

Vale.

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Pline à Calpurnius Flaccus.

Les grives que vous m'avez envoyées sont si excellentes, que je ne puis, ni par terre, ni par mer, trouver au Laurentin de quoi vous le rendre. Attendez-vous donc à une lettre où la stérilité et l'ingratitude se laisseront voir à découvert : je ne veux pas seulement essayer de les cacher sous un échange, à la manière de Diomède. Mais voyez quel fond je fais sur votre générosité : je compte mon pardon d'autant plus sûr, que je m'en reconnais moins digne.

Adieu.

Pline (le Jeune)
Livre cinquième, Lettre II






Bonjour à toutes et tous !


‘me suis pas posé trop de questions, pour le sujet de ce dimanche.

Valentin.

Simple, court, bref, et de circonstance.



Avant tout, savez-vous pourquoi nous fêtons ainsi la Saint-Valentin le 14 février ?

Moi, je vous avoue que non : rien n’est vraiment clair à ce sujet, si du moins on essaie de se baser sur des faits historiques.


Le 14 février serait la date de naissance de Saint-Valentin.
Ce qui tombe finalement assez bien me direz-vous.

Oui. Notez quand même que pour d’autres, le 14 février serait plutôt la date de sa mort, de son martyre.
Si vraiment nous fêtons tous les ans la date de sa mort, à ce pauvre Valentin, franchement, c’est d’un goût…


Bon, déjà, on est pas très sûr de l’identification du supposé saint valentin.

Ce que l’on raconte (et qui ne tient absolument pas la route, historiquement parlant), c’est que Valentin aurait été un prêtre du temps de l’Empereur Claudius.

Non, pas le bon Claudius, quatrième du nom, l’empereur bègue qui régna de 41 à 54 après J.-C., et qui ressemblait si fort à Derek Jacobi.

Derek Jacobi dans "I Claudius", cultissime série de la BBC des années 70,
basée sur le roman éponyme (1934) de Robert Graves


Non non, je parle ici de Claude II, dit Claude le Gothique.


Claude II, ici en effigie


Il y a même encore un autre Claude, empereur romain, qui installa curieusement son palais sur des terres qui correspondent à l’actuelle Charleroi, et que les autochtones surnommaient affectueusement "Claude gueule timême". 
Il ne sut jamais vraiment pourquoi. (humour carolo, désolé pour les autres).


Alors. Revenons-en à Claude le Gothique.

Non, c’est pas qu’il avait des goûts de chiotte en matière de maquillage, de musique et d’habillement, et qu’il voulait se suicider à tout bout de champ.

Mais non : simplement, il remporta une victoire sur les Goths (et une victoire sur l’égo, tout le monde n’en est pas capable ; je peux citer des noms).

On raconte d’ailleurs que la colonne des Goths, toujours visible à Istanbul, commémorerait cette victoire. (bof)

la colonne des Goths (source)


Mais donc, d’après la légende, Valentin - ou plus précisément Valentinus - était un prêtre à Rome, sous Claude II (Marcus Aurelius Claudius Gothicus).

Le méchant méchant Claudius voulait faire la guerre. Bouh ouuuuh!

Et comme les hommes romains, curieusement, ne voulaient pas la faire, parce que, soi disant, ils avaient une femme et parfois même pire, des gosses, alors il décréta que les mariages seraient désormais interdits.
Raisonnement frappé au coin du bon sens, vous ne me contredirez pas.

Mais le bon Valentin, lui, continua, malgré l’interdiction impériale, à marier les couples. 

Forcément, ce qui devait arriver arriva: le méchant méchant méchant Claude l’attrapa, et, puisque Valentinus était quand même - il faut bien le reconnaître - un peu chrétien, le martyrisa.
En toute logique, encore une fois.

Comme ce bon Valentin mourut en martyr
(pour un chrétien, on parlera de martyre ; pour tout autre opposant politique non fidèle à la seule Vraie Foi, on parlera d’exécution, mais en gros c’est la même chose), 
et qu’en plus, de son vivant, il ne mariait que des couples normaux, je veux dire "de vrais couples"
- holà! pas de ces abominables couples d’inverti(es) chez Valentinus ! -, 
l’Église Catholique le canonisa fissa.


Cette histoire de Valentin, c’est gentil, c’est beau, c’est touchant, mais c’est évidemment de la pure invention.

- Mais ???

- Allons, allons… Surtout, que cela ne vous empêche pas de célébrer la Saint-Valentin comme il se doit.




Alors, “Saint-Valentin”.

Saint” nous arrive, par le latin sanciō, sancīre, d’une forme nasalisée de la racine proto-indo-européenne *sak- : *sa-n-k‑.

*sak- signifiant “rendre sacré”, donc “consacrer, sacraliser… ”.
Allez, on se bouge et on relit ; c’est ici que ça se passe :
Bon, Julian Assange, on le sanctifie, ou on le sanctionne?

Quant à Valentinus, le nom latin Valentinus, il n’est qu’une déclinaison (si je puis dire) de Valens, Valentis, avec le suffixe nominal -inus.

Valens (avec un V majuscule) n’étant - évidemment - que valens utilisé comme nom propre.

Et valens (avec un v minuscule) est tout simplement le participe présent, adjectivé, de valeō, valēre: “être fort, en bonne santé”, “être puissant, avoir de l’autorité”, “valoir” : avoir de la valeur, être efficace”…

Valens pourrait donc se traduire par “fort, énergique, efficace …”



Le croiriez-vous?
Il y a une racine proto-indo-européenne, à la base du latin valēre: 

*wal-


À qui on attribue un champ sémantique très clair : “être fort”.


Bon, on lui doit PLEIN de dérivés, à notre racine *wal-.

PLEIN.

On ne les passera pas tous en revue en un seul dimanche, c’est moi qui vous le dis.
(d’autant que j’ai plein d’autres choses à faire…)

Je vous propose, pour ce dimanche, de nous intéresser particulièrement à la progéniture de notre latin valeō, valēre.

Rien qu’en latin, on se disait vale ! en guise de bonjour, salut. 
« Porte-toi bien ! Sois en bonne santé, sois fort ! »

Et c’était LA formule de politesse pour terminer ses lettres…
« Adieu, porte-toi bien ! »


À valeō, nous devons…

valoir, réfection, au XIème siècle, de valeir, descendant du latin classique valēre.

Vaillant ?
Ancien participe présent de valoir, formé sur une vieille racine vaill-, qui, vaille que vaille, s’est conservée dans le subjonctif du verbe.

À l’origine (XIème siècle), vaillant signifie “précieux”, dans le sens de “qui vaut beaucoup”.

Tout d’abord en parlant d’une chose, puis, rapidement, d’une personne.



Ensuite, il s’emploiera pour “valant”, “ayant la valeur de”.

D’où la locution (XVIIème) “n’avoir pas un sou vaillant”.

(je veux exprimer ici le fait d'être fauché ; loin de moi l'idée d'illustrer cette
stupide blague "tu veux voir un éléphant? Tiens, regarde, voilà déjà les
oreilles")


Nous retrouvons en français des dérivés qui traduisent toujours les différentes acceptions latines de valeō, valēre :

valence (équivalence polyvalence, ambivalence), valeur, valeureux, valide ou invalide, évaluer, valable…

Ou encore ces monstrueux valorisation et plus-value.


Prévaloir, nous l’avons emprunté au latin praevalēre : prae, “avant”, et valēre.
“Valoir plus”, “l’emporter sur”.

En ancien français, il se présentait sous la forme “prévaloir”, certes, mais on le rencontrait aussi sous la forme “prevaler”.

Comm’ d’hab’, le mot, en l'occurrence prevaler, est passé à, à, à… ??
l’anglais, bien sûr, pour lui donner… prevail (“l’emporter sur, régner”, ou même “persuader, s’imposer”, ou encore “avoir cours”).

Toujours en anglais, nous trouvons avail, comme dans l’expression “to no avail”: en vain, sans résultat…




Ce avail provient de l’ancien français ... avail: “à valoir”.

D’où aussi l’anglais … available !

Dans son acception d’origine, à présent archaïque, “qui a le pouvoir, la force suffisante pour atteindre un but.”

Plus tard, le mot prendra le sens de “disponible”.
Disponible car, étymologiquement, “apte à mener à bien l’action”. 





- Tiens, et aval ? Le français aval, l’”engagement à payer” ?
- EXCELLENTE question !

Eh ! On n’en sait rien.

Oui, il pourrait s’agir de l’abréviation de “à valoir”, mais pour être franc, aucune théorie ne semble prévaloir.

On sait pas.



Allez, poursuivons.

Le composé latin classique ‎con (cum)-valēscere, “prendre des forces”, d’où guérir, donnait au participe présent convalescens.

En bas latin (fin du XIVème), convalescens débouchera sur convalescentia.

Vous l’avez compris, nous l’emprunterons sous la forme convalescence.

Sincèrement, vous l’aviez fait, vous, le rapport entre valoir, Valentin et convalescence??




Je ne m’étendrai pas sur faire-valoir et vaurien, il me semble que ces mots parlent d’eux-mêmes…




On retrouve encore le vieux sens latin de “bonne santé” dans le français valétudinaire.

- “Bonne santé” ?? Mais enfin, valétudinaire, ça veut quand même bien dire “qui est souvent malade”, “de santé fragile”, non ??
- OUI, absolument !

Mais le latin valetudinarius - dont dérive valétudinaire, pour les moins-bien comprenants - descend du latin valēre dans le sens de “être bien portant” par le substantif valētūdō, valētūdinis, qui correspondait à “bonne santé”.

Par la suite, valētūdō désignera simplement la santé, l’état de santé, qu’il soit bon ou mauvais.

Finalement, le mot désignera l’état de santé, mais quand il est mauvais

Par défaut”, comme on dirait en informatique. Dans l’absolu.

Si on voulait l’utiliser pour parler d’un bon état de santé, alors on adjoignait au nom un adjectif qui l’indiquait clairement :
“Valetudine prosperrima usus est” : “il était en excellente santé”.


Je vous aurais encore bien proposé un dernier dérivé, mais franchement, je ne sais quoi en penser.

Mais allez, puisque vous insistez, le voilà :

vadrouille !

Selon Oscar Bloch et Walther von Wartburg, dans leur Dictionnaire étymologique de la langue française, le vulgaire vadrouiller, dérivé de l’argotique vadrouille (“drôlesse”), désignait originellement un tampon de laine fixé au bout d’un bâton pour nettoyer le pont d’un bateau.

Le mot, probablement créé dans la région de Lyon, serait construit sur drouilles : "vieilles hardes",
- c’est ce qui vient qui nous intéresse - 
flanqué du préfixe va-, utilisé pour renforcer le sens d’un mot.

Ce va- proviendrait du latin valde, “beaucoup, fortement”, doublet de … valide ! 
Valide, dérivé du latin valēre, inutile de vous le rappeler.

La Grande Vadrouille, évidemment, avec une pensée pour Marie Dubois,
qui nous a quitté le 15 octobre 2014

Donc voilà…

Un bout de vadrouille proviendrait aussi de notre proto-indo-européenne *wal- !



La semaine prochaine, nous découvrirons d’autres dérivés de *wal-, dans les langues germaniques, balto-slaves ou même celtiques


Avec en prime au moins une surprise, en français.
Un mot que vous ne pouvez pas décemment rapprocher de “valoir”…



Et là-dessus, je vous souhaite, à toutes et tous, une très bonne Saint-Valentin, un excellent dimanche, et une formidable semaine!

À dimanche prochain!



Frédéric


Paul McCartney - "My Valentine"


Et pour les plus romantiques d'entre vous, 
mais aussi pour ceux qui oublient systématiquement la date:

Harry Belafonte, Try to remember



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