article précédent: let's dance
“La tâche à laquelle nous devons nous atteler, ce n’est pas de parvenir à la sécurité, c’est d’arriver à tolérer l’insécurité.”
J'ai trouvé cette belle citation de Erich Fromm sur le site du ... Figaro!
Incroyable, qu'ils aient laissé passer ça: respect!
M'est avis qu'un rédacteur ou relecteur du Figaro sera bientôt mis à pied, pour faute grave et insubordination.
Ou alors, le site du Figaro aurait été hacké par des gauchistes??
Erich Fromm, Francfort 1900 - Locarno 1980, psychanalyste humaniste américain d'origine juive allemande. |
Notez, je pense avoir une explication: non, Le Figaro n'a évidemment pas changé sa ligne éditoriale ultra-sécuritaire.
Mais non! C'était une blague.
Je pense qu'ici, Erich Fromm ne traite que de la psyché, personnelle, intime, et pas de la manipulation des foules par des politiciens démagogues et populistes.
(Ah, je sens que je vais encore me faire quelques amis, en ce beau dimanche)
Bonjour à toutes et tous!
Comme promis, un mot dont on a attribué la paternité - ou pas - à notre *ten- bien aimée
(pour celles et ceux qui prennent le train en marche, je parle de la racine proto-indo-européenne *ten-, “étendre, étirer”).
Ce mot, c’est atteler (d’où aussi attelage, ou dételer, tant qu’à faire)
Alors, qu’en est-il?
Je vous présente les quelques versions les plus courantes de l’étymologie du mot.
Et puis, vous en ferez ce que vous voulez, soyons clair.
Tout d’abord, ce sur quoi le monde de la linguistique semble se réunir:
Nous avons emprunté atteler …
- le Grand Robert nous en donne cette définition: “Attacher (une ou plusieurs bêtes de trait) à une voiture, à une charrue, etc.” -… au cours de la deuxième moitié du XIIème siècle, au bas latin *attelare.
attelage |
Cette forme non-attestée était vraisemblablement issue, par substitution de préfixe, du latin prōtēlō, prōtēlāre: “prolonger, pousser au loin”, d’où aussi, dans la langue militaire, “repousser, chasser, éloigner”.
Ernout et Meillet nous racontent que le neutre prōtēlum (prō-, “pour” & tēlum) était usité dans la langue rurale, et qu’il s’employait pour désigner le “fait de tirer en avant”, ou encore “le trait”, le “tirage continu”.
D’où, dans la langue commune, l’acception de “suite ininterrompue”.
À l’ablatif, il donnait prōtēlō: “tout d’un trait”.
Eh! C’est de là que proviendrait prōtēlō, prōtēlāre, le verbe qui nous intéresse ici, dont dériverait plus tard le bas latin - allez, on suit! Voilààà: - *attelare.
- Mais?
Oui, je réponds à la question que vous n’allez pas tarder à poser:
Oui vous avez bien lu. À l’origine, prōtēlō ne reprend nullement cette notion d’atteler.
De tirer vers l'avant, certes. Mais pas vraiment d'atteler.
Curieux, non?
Une pièce importante, voire essentielle, de l’attelage, c’est le timon.
Timon d'Athènes, William Shakespeare, adaptation: Jean-Claude Carrière, Mise en scène: Peter Brook, Théâtre des Bouffes du Nord, 1975 (Je ne veux pas être méchant, mais ça fait très 1975) (source) |
Dont le Grand Robert, toujours lui, nous dit qu’il s’agit d’une “longue pièce de bois disposée à l'avant d'une voiture ou d'une charrue, selon son axe longitudinal, et de chaque côté de laquelle on attelle une bête de trait.”
timon de chevaux de trait pour calèche |
Pour atteler, eh ben, i’ fallait - et il faut toujours - impérativement un ... timon.
On pense …
(sans aucune certitude, mais enfin, l’hypothèse est plus que vraisemblable)… que le latin prōtēlō reprenait implicitement la notion d'“atteler”, cachée dans sa deuxième partie:
-tēlō.
Ce timon devait furieusement ressembler, pour ces glorieux guerriers qu’étaient les Romains, à une lance, à un javelot, à une arme de jet.
Car, voyez-vous, -tēlō provenait du substantif latin tēlum, qui désignait ... une arme.
Précisément une arme offensive: une arme de jet, un trait. (Et plus tard, par exemple une épée, une hache…)
Ou carrément, d'une façon imagée, le dard. Je veux dire Jean-Paul. Popol, quoi: le gourdin, la béquille, le thermomètre à moustaches.
Tant qu'ils se cantonneront à Los Angeles et au marché US, pas de souci. À l'exportation vers les pays francophones, là, ça risque de moins bien marcher. |
Par opposition, entre parenthèses, avec arma, qui, lui, désignait une arme plutôt … défensive. Entendez une arme de poing.
(C’est vraiment ridicule d’écrire “entre parenthèses”, plutôt que les placer, ces foutues parenthèses, non?)
Bon, maintenant, ce tēlum, ...
- qui, accolé à pro-, se retrouvera dans le verbe prōtēlō, dont dérivera le bas latin *attelare, on suit toujours? -... d’où venait-il? Car c'est bien la question.
Hélas, on n’en sait trop rien. On suppute. On suppose.
On pense que peut-être, éventuellement, tēlum aurait pu avoir été apparenté au grec ancien τίκτω, tikto, “engendrer, produire”, lui-même apparenté à τυγχάνω, tugkhánô, “se produire, atteindre (un but, une cible), d'où frapper”.
Ça en ferait le descendant de *dheugh-, brave et gentille racine proto-indo-européenne dont le champ sémantique, bien difficile à cerner, à réduire, aurait couvert la notion de “produire (quelque chose d'utile)”.
- l'arbre préféré de Rudyard Kipling (ça c'est hilarant!) -,ou encore une pique faite de son bois -,
l'if de Llangernyw (au Pays de Galles, forcément), qui serait l'un des arbres les plus vieux du monde |
qui serait, comme le grec τόξον, toxon, “arc”,
- ou bien un emprunt à une des langues scythes (donc on reste en famille indo-européenne),
- ou bien - et on reste toujours en famille - un emprunt au persan تخش, taχš, “arbalète”).
Bof.
- Bof? Mais alors: quoi?
Une autre piste?
Selon Alain Rey, qui semble incroyablement sûr de son coup, tēlum serait de la famille de tendere, tenēre, tendō pouvant - c’est un fait - signifier “je vise, je tends à/vers”.
Si c’est le cas, aucun doute possible, il descend de notre *ten- bien-aimée!
Malheureusement, Alain Rey n’explique absolument pas le lien qu’il tisse entre tendre / tenēre et tēlum. Mais c'est vrai qu'on pourrait rapprocher tēlō de *ten- par une forme *ten(d)slo-, que l'on pourrait traduire par “ce avec quoi l'on vise”.
Vous l’aurez compris: si je parle du français “atteler” dans un de ces articles portant précisément sur les dérivés douteux de *ten-, c’est que moi-même, je ne suis pas aussi catégorique sur son étymologie.
Une dernière hypothèse?
Tēlum n'aurait pas fait référence au timon de l'attelage, mais serait plutôt apparenté au latin texō, texere, “tresser, tisser”, dans le sens original d’assembler, composer.
Il faudrait comprendre alors tēlum comme l’“assemblage des différentes pièces nécessaires à l'attelage”…
Dans ce cas, il découlerait de la racine proto-indo-européenne *teks-, “tisser, fabriquer”.
Je me rends compte avec effroi qu'elle n'a jamais traitée en ce lieu???
Mais enfin? Comment est-ce possible? Bon, ça je corrigerai bientôt.
Voilà.
Je n’ai pas de préférence ; je ne sais vraiment pas quoi choisir.
Ou plutôt, aucune des hypothèses en présence n’est vraiment convaincante.
Ah oui!
Ne confondez pas attelle et atteler!
Attelle (ou attèle),…
notamment “planchette plus ou moins rigide (bois, métal, carton), destinée à maintenir immobile, en bonne position, un membre blessé, fracturé”… n’a AUCUN rapport avec atteler!
Notre français attelle provient, lui, du bas latin astella, “copeau, éclat de bois”, basé lui-même sur le latin classique assula.
- Mais enfin?? Déjà que tu es incapable de nous donner l’étymologie de tēlum, mais en plus tu racontes des bobards! L’attelle, c’est bien aussi une pièce adaptée au collier du cheval de trait, et où sont attachés les traits! N’importe quoi.
- Oh bonjour! Je ne vous ai pas réveillé trop tôt j’espère? Je pense que oui... Désolé.
En fait, à l’origine, le mot signifiait bien “copeau, morceau de bois”, mais on soupçonne que pour ce qui est de son acception technique de “partie du collier des chevaux où les traits sont attachés”, son sens a tout simplement été influencé (entendez “contaminé”) par … “atteler”!
attelle |
et ici, autour du collier de travail |
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine!
Frédéric
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Et pour nous quitter, Palestrina et son Sicut serves,
merveilleux, aérien, intemporel motet à quatre voix, publié en 1584.
Il est basé sur le psaume 42 de la Vulgate.
merveilleux, aérien, intemporel motet à quatre voix, publié en 1584.
Il est basé sur le psaume 42 de la Vulgate.
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