article précédent: Ton foulard, là, c'est pour sortir?
The drama was born of old from the union of two desires: the desire to have a dance ... The dance became a rant: the story became a situation.
George Bernard Shaw
Le drame est né de l'union de deux vieux désirs : le désir de danser, et celui d'entendre une histoire. La danse est devenue déclamation, et l'histoire, situation.
Mikhaïl Barychnikov, dansant, dans“White Nights”, 1985
Je dois bien vous l'avouer, la danse, d'une façon générale,
c'est pas trop ma tasse de thé.
Dans le meilleur des cas, je la supporte.
Mais bon, ici, c'est Barychnikov, avec la présence d'Helen Mirren.
(ce que je peux vraiment apprécier - et danser, même si remarquablement mal -,
Bonjour à toutes et tous!
Nous terminions dimanche dernier cette longue, longue série d’articles consacrés à la racine proto-indo-européenne *ten-, “étendre, étirer”.
Et je vous promettais, pour la suite, quelques mots que l’on attribuait à *ten-, mais probablement à tort.
Ah ah…
Pour ce qui est du premier de ces mots, et qui constituera le sujet de ce dimanche, j’avoue que je ne sais pas trop quoi penser.
Alors qu’il est parfaitement usité, bien connu, son étymologie, en fait, est vraiment difficile à tracer.
Une des hypothèses en présence, quant à son origine, c’est qu’il est un lointain descendant de *ten-.
Voilà pourquoi, évidemment, je vous le présente maintenant.
Mais bon, qu'en penser? Allez savoir…
Ce mot, français, est déjà en soi, étrange, si du moins vous prenez la peine d'en rechercher des formes équivalentes dans d’autres langues romanes.
Et si vous y en trouvez...
(allez! "des formes équivalentes, dans d'autres langues romanes" ; c'est dimanche matin, mais quand même, on se ressaisit),...c’est qu’elles proviennent précisément du français!
Car à ce mot, on ne connaît pas de parent latin.
Pourtant, il existait bien un mot latin de même sens, et que l’on retrouve, d’une façon que je qualifierais de “naturelle”, dans d’autres langues romanes.
Ce mot latin, c’était ballō, ballāre: “danser”.
danse latine là, je suis écroulé |
Mais voilà, le mot français dont je vous parle - je suppose que vous l'avez déjà deviné -, c’est … danser.
Et “danser”, vous l'aurez remarqué, n’a strictement aucun rapport avec le latin ballāre.
Alors, oui! On retrouve cette forme danser en italien: danzare.
Ou en espagnol: danzar.
Tant qu’à faire, même en anglais, avec dance.
Ou en allemand: tanzen.
Mais tous (TOUS) ces verbes proviennent, comme je vous le disais un peu plus haut, ... du français.
Le latin ballāre, c’est un fait, nous a légué “bal”. Et c’est déjà pas mal.
Mais voilà, pour ce qui est d'employer un mot pour désigner l'action de danser, nous avons clairement préféré à un “baler”, un “danser”.
Curieux, non?
Ce que nous savons avec certitude, c’est que ce danser provient du nord de la France.
Il est apparu en langue d’oïl, et est attesté en ancien français à la fin du XIIème siècle, sous la forme “dancier”.
Alors qu'en langue d’oc, on trouve plutôt des verbes en *bal, ceux-là bien issus du latin.
Idem dans les langues méditerranéennes: de ballāre proviennent ainsi l’espagnol et portugais bailar, le catalan ballar, ou encore l’italien ballare.
Le latin ballō - c’est ballot - provenait lui-même du grec ancien βαλλίζω, ballízô, “danser”, doublet de βάλλω, bállō: “jeter”.
Si vous vous en savoir plus, mes amis, sur ce sublime βάλλω et sa racine proto-indo-européenne, relisez ...
Diable! Avec un bolide pareil, c'est pas le code de la route, mais la balistique que tu devrais apprendre, ma parole
ainsi que
- J'ai connu une ballerine bélonéphobe. - Et alors? - Ben elle n'osait pas faire de pointes
Car tout est là!
Mais bon, là maintenant, on discute de danser.
Par déduction
(“il ne provient pas du latin”, “il apparaît dans le nord de la France, en langue d’oïl”),on en a conclu que le mot devait être d’origine… germanique.
Ce qui a du sens.
Soyons un peu plus précis ; on le fait remonter au …
(allez, s’il s’agit d’un mot français, mais qui ne provient ni du grec ni du latin, mais qu’il est au contraire d’origine germanique, il provient vraisemblablement du, du …)… francique, voilà!
Et jusque là, le petit monde de la linguistique historique semble parfaitement heureux et uni.
Tout le monde s'aime, c'est le bonheur total.
C’est seulement après qu’on s’étripe.
Car voilà, on trouve deux étymons franciques possibles pour assumer la paternité de danser.
Aïe.
Pour certains linguistes
- première hypothèse -,le parent francique en serait *dintjan, qui aurait abouti au gallo-romain *dintjare.
À *dintjan correspondrait bien une forme proto-indo-européenne, que l’on retrouverait dans le proto-germanique *þansjan, “reculer”: *tons-éie-.
Cette forme *tons-éie- est à rapprocher, par exemple, du sanskrit तंसयति, taMsayati: “secouer”.
Ou du lituanien tąsýti: “secouer”.
Pour en revenir au francique *dintjan, on le déduit, par reverse engineering (je propose “rétro-ingénierie”),
- du néerlandais deinzen “s’éloigner, reculer…”, ou même “se remuer”,
- du frison dintje “trembler légèrement”, ou
- de - soyons fou - l’islandais dynta “s’agiter”.
C’est pas mal, non, comme hypothèse?
Mais alors…
Mais alors...
Comment expliquer ce passage d’un -i- francique (*dIntjan) à ce -a- propre aux formes françaises (dAnser)?
Ça coince...
Et pas qu'un peu.
Pour moi, hypothèse invalidée.
on n'ira pas plus loin |
- Beh, et alors, c'est quoi l'autre hypothèse??
- Ah, je crois qu'il va falloir attendre dimanche prochain pour la connaître...
Oui, même si je ne suis pas vraiment en vacances, je tiens quand même à profiter de quelques moments de calme, de quiétude, à la campagne.
Les billets du dimanche seront donc un peu plus courts que d'habitude...
Aaaah...
Philippe Noiret, Alexandre le Bienheureux, Yves Robert, 1968 |
Je vous souhaite, à toutes et tous, un EXCELLENT dimanche, et une très douce semaine!
À la semaine prochaine!
Frédéric
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
... Dansons, joue contre joue...
Aznavour, Les plaisirs démodés, 1972
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