article précédent : Vous savez quoi? Votre armistice, là, eh ben on va l' ranger au placard!
(...) Les vaisseaux anglais, beaucoup plus petits que ceux des Espagnols, ne devaient pas résister au choc de ces citadelles mouvantes, dont quelques-unes avaient leurs œuvres vives de trois pieds d'épaisseur, impénétrables au canon. Cependant, rien de cette entreprise si bien concertée ne réussit. (...)
Voltaire,
Essai sur les moeurs annales de l'empire
Euh non, pardon :
Essai sur les moeurs. Annales de l'empire
Bonjour à toutes et tous !
Un petit rappel, peut-être ?
Nous étions plongés dans l’étude de la racine *sta-, commencée (l’étude) le 25 décembre 2016, avec un fauteuil pour (*steh) deux.
Mais voilà, le dimanche 13 novembre, je ne résistais pas à vous parler du mot armistice, composé basé sur les latins arma et sistō.
résister, persister... Ces mots prennent à présent toute leur valeur.
l'Armistice |
Nous avons en un premier temps parlé de sistō,
résister, persister... Ces mots prennent à présent toute leur valeur.et avons ensuite commencé l’étude de la racine *ar-, “assembler”, “mettre ensemble”, “ajuster”…, à l’origine de arma.
Ça, c'était la semaine dernière.
Vous savez quoi ? Votre armistice, là, eh ben on va l' ranger au placard !
Nous avions ainsi découvert quelques-uns de ses dérivés, comme l’anglais arm, ou nos français arme, armoire, armoiries, ou armure.
En nous quittant dimanche dernier, dans l'émotion du moment, je vous promettais, pour aujourd’hui, quelques dérivés de *ar- qui n’ont RIEN à voir avec les armes… Mais RIEN.
Est-ce que je vous ai déjà menti ? Hein ?
Avant de les aborder, ces fameux dérivés, mentionnons encore, pour clore le chapitre “armes” (je veux dire par là “pour en terminer avec les dérivés de *ar- relatifs aux armes”), ...
... Armada.
Mais oui, difficile de ne pas en parler.
Le français armada - bien entendu emprunté à l’espagnol - désigne une flotte imposante.
Ou carrément L’Armada, l’Invincible Armada, la glorieuse flotte espagnole armée par Philippe II (d’Espagne, on suit), qui se fit lamentablement anéantir non pas par la flotte d’Élizabeth 1ère - c'est curieusement la version anglaise -, mais bien par les éléments.
l'Invincible Armada |
Elizabeth I |
Felipe II |
Armada, en espagnol : armée, n’est que la substantivation du latin médiéval armāta, la forme féminine du participe passé du verbe armō, armāre (armer, équiper, mobiliser…), basé sur … arma.
Mais restons encore un moment dans les emprunts à l’espagnol...
Avec… armadille, emprunté au début du XVIIème à l’espagnol armadillo, de armado “armé”.
L’armadille, c’est un tatou, sympathique animal caparaçonné.
On emploiera le mot pour désigner par la suite un cloporte, lui aussi caparaçonné, mais nettement moins sympathique.
Alors oui, je ne parlerai pas des évidents armée, armement, armurerie, désarmer, ou armature…
Juste un mot, très court, pour armateur, “celui qui équipe les navires” :
Il nous arrive peut-être du vénitien armatore, armadore, au XVème, ou alors directement du latin armāre (dont dérive notre verbe armer). En tout cas, on ne le fait pas dériver du latin médiéval armator, “armurier”, car très (trop) tardif (XIIIème).
Le mot désignait celui qui équipe, qui arme les navires... de guerre.
Au XVIIIème, il s'étendra à la marine de de commerce (1723).
Αριστοτέλης Σωκράτης Ωνάσης / Aristotélis Sokrátis Onásis, célèbre armateur grec, et une chanteuse populaire |
La semaine dernière, nous avions vu que le latin armus, dont découle vraisemblablement arma, désignait… l’épaule, ou la partie supérieure du bras.
On l’a oublié.
Depuis longtemps.
On ne fait plus, en français du moins, le lien entre arme et bras.
Oui, il y a bien les anglophones qui parlent toujours de arm, le bras,
et chez qui “the armed arm” correspond bien à notre “le bras armé”,mais en français…
Mais pourtant, nous aussi, nous avons eu un mot dérivé, en ancien français, qui rappelait le sens du latin armus (l'épaule, la partie supérieure du bras pour les moins vifs d'entre nous) :
armille !
Nous l’avions emprunté, fin du XIIème, au pluriel latin armillae, devenu armilla.
Les armillae ? Mais c’était un bracelet à plusieurs tours (d’où le pluriel).
armilles |
Par la suite, le mot désignera des anneaux, des colliers (de parure)…
Ce ne sont pas les éléments, cette fois, qui ont vaincu notre vieux français armille, mais bien le mot… bracelet ! Qui l'a supplanté dans le langage courant.
Le terme survivra cependant, mais dans un sens particulièrement restreint, très technique, où il désignera les anneaux d’un astrolabe.
astrolabe |
Et puis, il vit encore et toujours dans l’adjectif… armillaire, que vous connaissez peut-être si vous êtes férus d’... astronomie.
En astronomie, une sphère armillaire est un instrument qui modélise la sphère céleste, en montrant le mouvement apparent des étoiles, du soleil et de l'écliptique autour de la Terre.
Ce type de sphère est constitué d'un ensemble de cercles métalliques (ben oui, les armilles !) représentant la géométrie des éléments descriptifs de la sphère céleste.
Sphère armillaire |
Enfin, nous avons toujours bien un mot, en français, dérivé du latin armus, et qui désigne toujours l’épaule !
Mais pas celle de l’homme, celle du … cheval.
Ars (mot masculin, au singulier et pluriel identiques)
En anatomie, pli formé par la réunion des membres antérieurs et du poitrail du cheval.
Allez, encore un autre dérivé de arma, qui n’évoque plus la notion d’arme ?
Alarme !
On connaissait l’expression “aux armes” (à l'époque : aus armes, as armes).
Littéralement, ben … aux armes, au combat !
Pour faire ce alarme, on a tout simplement emprunté l’italien all’arma, de sens identique à notre “aux armes”.
C'est ainsi qu'au XVIème, on “sonnait a l’arme”.
Ce n’est que fin du XVIIIème que le mot désignera un cri, puis, au XXème, ce dispositif qui permet d’arrêter un train en cas de danger.
Pas mal, non, ces deux rapprochements avec arma que sont armillaire et alarme ?
Quoi, ça ne vous émeut pas ? Vous aviez déjà fait le rapprochement entre arme et alarme ?
OK, je ne dis plus rien…
Mais avec ce qui suit, là, je suis (presque) certain de vous épater…
Car notre racine proto-indo-européenne *ar-, sous une forme suffixée *ar-smo-, se retrouve dans un mot qui évoque TOUT SAUF les armes !!!
Que du contraire…
Aaaaah…
aaaaaaaah....
aaaaaaah...
Le grec ancien… ἁρμονία, harmonía.
Oui, celui-là même qui nous a donné notre harmonie.
ἁρμονία pouvait désigner plein de choses, mais se basait toujours sur la notion de “fixer ensemble, associer”.
C’est ainsi qu’on pourrait traduire le grec ἁρμονία par “union, jonction, unisson…”
Et ἁρμονία était encore apparenté à ἁρμόζω, harmozō, “joindre, unir”.
Harmonices Mundi (1619), où Kepler attribue à chaque planète des notes et une phrase musicale fonctions de la vitesse orbitale et de l'excentricité de l'orbite. |
Et puis, et puis…
Une forme suffixée en *-ti- de notre *ar-: *ar-ti-, s’est dérivée dans le latin… ars, proprement “composition, assemblage”.
Ou, par extension, “ce qu’il faut avoir pour bien… composer, assembler :
talent, adresse, dextérité, habileté, savoir-faire, technique…
D’où aussi profession, métier…
Sur l’accusatif de ars : artem, nous avons créé… , vous l’avez deviné… art !
Et aussi, bien sûr, artisan.
Ah oui, et *ar-ti- s’est retrouvée aussi dans le grec ancien ἄρτι, árti, “juste, exactement”.
Oui, on y retrouve l’idée d’assemblage, de pièces qui se mettent bien ensemble.
L’auriez-vous cru ? Arme, harmonie, art : de si proches cousins ?
Merci qui ?
Le proto-indo-européen, pardi !
(et ce n’est pas fini)
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très belle semaine !
Frédéric
Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom : on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine !
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Et pour nous quitter, un concentré d'harmonie...
Le Magnificat en ré Majeur BWV 243
(Et avec la partition qui défile, de surcroît !)
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