- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 13 novembre 2016

résister, persister... Ces mots prennent à présent toute leur valeur.






“Mais tout cynisme fut bientôt noyé sous les torrents d'enthousiasme de l'Armistice.”

André Maurois, 
Terre promise

Émile Salomon Wilhelm Herzog, ou André Maurois,
1885 - 1967

















Bonjour à toutes et tous!


En ce dimanche, je voulais tout naturellement continuer l’étude de la racine proto-indo-européenne *stā-, “être debout”, étude que nous avions commencée ce 25 septembre 2016, avec un fauteuil pour (*steh) deux.


Mais bon, ce dimanche est un peu spécial:  nous sommes aujourd'hui le dimanche 13 novembre.

Le 11 novembre 1918 se signait - enfin - l’armistice qui mettait fin à cette guerre effroyable, immonde,  dite “La Grande Guerre”.

Délégations alliée et allemande lors de la signature de l'Armistice
de 1918 (source)


Oh, rassurez-vous, tout progresse: l’Homme est capable de s’améliorer sans cesse.

Ce qui paraissait à l’époque une guerre immonde et humainement inconcevable n’est plus qu’une franche rigolade en comparaison de ce que nous sommes capables de faire à l’heure actuelle.

Et ayons la foi: nos enfants feront encore mieux.

Pessimiste? Peut-être…
Disons que les événements récents, qui tendent à prouver qu’une majorité d’entre nous préfèrent le confort du repli identitaire et nationaliste à la fraternité humaine ne me font pas nécessairement envisager un avenir des plus serein.

Enfin…

En hommage à tous ceux qui sont, comme on dit, morts au champ d’honneur, à tous ceux qui n’avaient en fait pas trop le choix, et qui ont surtout servi de chair à canon.
Que l’on considère maintenant comme des héros, pour se donner bonne conscience…
En hommage à tous ceux-là, donc, je vous parlerai, en ce dimanche, … d’armistice.

Armistice.

Selon le Grand Robert,
Convention conclue entre les belligérants afin de suspendre les hostilités pour une durée déterminée ou indéterminée.

Oui, l’armistice, comme vous le savez, ce n’est qu’une convention destinée à suspendre des hostilités, pas du tout un traité de paix: l’armistice ne met pas officiellement fin à la guerre.




Alain Rey nous apprend que nous avons emprunté le mot au latin médiéval armistitium (1335), composé ...

  • du neutre pluriel arma (“les armes”), et 
  • du verbe sistō, sistēre, qui devait signifier notamment “mettre en place”, “faire se tenir debout”. Ou encore “cesser, arrêter, empêcher”.

Armistitium pourrait donc s’entendre littéralement comme “arrêt des armes”.


Une fois n’est pas coutume…
- c’est du belge: en français de France, on dit simplement “n’est pas coutume” -,
…commençons à nous intéresser à ce sistō, sistēre qui a donné la deuxième partie du mot…

J’en profite: amis Français, pourriez-vous expliquer à votre beau-frère que ce stupide “Tu viens manger des moules / des frites , -  une fois?”, on ne le trouve qu’en France? 
Dans la bouche de Français, disons… - pour ne pas être méchant - peu au fait de la linguistique, et qui, dans leur grande et naïve candeur, s’imaginent ainsi parler belge.
Mais non: cette locution “une fois” est un emprunt au germanique, au flamand “eens”, “une fois, un peu…”. Cette construction s’apparente à l’allemand mal: “donc”.
L’expression est passée, par proximité - ou contamination, si vous voulez - au parler populaire bruxellois. Et non “au belge”! 
Il n’y a vraiment que quelques abrutis euh quelques Français peu férus de linguistique qui s’imaginent que tous les Belges parlent comme ça. Dont votre beau-frère.

Pour donc, à l'avenir, éviter le ridicule à votre beau-frère, expliquez-lui (lentement, et en articulant bien) que ce “une fois”, qui ne s'emploie au demeurant que dans un certain niveau de langue, et parlé par une population bien précise, n’apparaît pratiquement jamais (JAMAIS) en fin de phrase. 

Que nenni, il ne se retrouve pratiquement qu’immédiatement après le verbe conjugué.
Des expressions comme…
"Allez manneke, viens une fois écouter ça”, ou
"Tu peux venir une fois voir?" 
sont effectivement typiques, non pas du belge - ce qui, encore une fois, ne veut pas dire grand-chose, mais bon, tout le monde n’a pas pu faire de longues études -, mais du marollien, ce parler populaire d’un des plus anciens quartiers de Bruxelles, les Marolles.
marché aux puces de la place du Jeu de Balle, dans les Marolles

le quartier des Marolles, dans le centre de Bruxelles


Ce sistō “faire se tenir debout” ressemble très fort à une forme verbale causative, ne trouvez-vous pas?
Oh, rassurez-vous, il n’y a là rien de bien compliqué (je pense même que votre beau-frère pourrait presque le comprendre): une forme causative exprime que le sujet FAIT FAIRE l’action, plutôt que de la faire lui-même.
C’est la forme employée typiquement par le fainéant , ou le glandeur, si vous préférez.


Le latin sistō provenait vraisemblablement d’un proto-italique *sistō, qui lui-même dérivait d’une forme proto-indo-européenne *si-st(ə)-.

Et *si-st(ə)- n’était que le résultat d’une réduplication
(répétition)
d’un radical *st-, (ou st(ə)-, devant une voyelle).


Mais… d’où venait-il, ce radical *st-, mmmh?

Non, pas d'idée? Vraiment?

Il ne s’agissait en fait que du degré zéro (sans voyelle-pivot) de, de, de… OUIIIIIIIII! *sta-.

Eh oui.

C’est cette forme à redoublement que nous retrouvons dans le latin solstitium, celui-là même qui nous a donné, évidemment, solstice.
On en parlait brièvement ici: du passage des ans

C’est elle aussi que l’on retrouve dans exister.
exister, se redresser, transmettre

Ou dans insister, du latin īnsistō, īnsistere, proprement “se poser”, “se placer sur”, et au figuré “s’appliquer à”, “s’attacher à”.

n'insiste pas!


Persister?
Mais oui!
Lui, nous l’avons emprunté du côté de 1321 au latin impérial persistō, ‎persistere: “demeurer ferme dans sa position”, où nous retrouvons le préfixe per- à valeur intensive.




Résister? 
Yess, du latin resistō, ‎resistere, “s’arrêter, se tenir en faisant face”, “faire obstacle à”.




Euh… assister?
Mais oui! Assister est emprunté au latin assistō, ‎assistere, altération de adsistere: “être auprès de quelqu’un, être présent”, puis, par extension, “aider”. 



Et… se désister?
Oui. Du latin dēsistō, ‎dēsistere, “s’abstenir de, renoncer à”, ou encore “s’arrêter, arrêter, mettre un terme”.


Notre subsister est lui un emprunt savant plus tardif (fin du XVème) au latin classique subsistō, ‎subsistere, “s’arrêter, demeurer, résister, tenir bon”, qui a pris en latin médiéval le sens de “rester en vie, durer”…


Notre français consister, lui, nous arrive, comme emprunt, du latin cōnsistō, cōnsistere, “se tenir ensemble”. 


Et OUI, interstice nous vient encore de là! Il nous arrive du latin interstitium: “interstice, intervalle”, entendez “ce qui se trouve entre”.

Les souris, pour la plupart, peuvent se glisser dans un interstice de 6 mm



Pour la prochaine fois - j'entends par là dimanche prochain -, nous nous intéresserons à ce “arma”.
Eh oui, ne l'oublions pas!



Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très belle semaine!



Frédéric








Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom: on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).





In Flanders fields the poppies blow
Between the crosses, row on row,
That mark our place; and in the sky
The larks, still bravely singing, fly
Scarce heard amid the guns below.
We are the Dead. Short days ago
We lived, felt dawn, saw sunset glow,
Loved and were loved, and now we lie
In Flanders fields.
Take up our quarrel with the foe:
To you from failing hands we throw
The torch; be yours to hold it high.
If ye break faith with us who die
We shall not sleep, though poppies grow
In Flanders fields.


(Dans les champs de Flandre, les coquelicots fleurissent
Entre les croix qui, une rangée après l'autre,
Marquent notre place ; et dans le ciel,
Les alouettes, chantant valeureusement encore, sillonnent,
À peine audibles parmi les canons qui tonnent.

Nous, les morts, il y a quelques jours encore,
Nous vivions, goûtions l'aurore, contemplions les couchers de soleil,
Nous aimions et étions aimés ; aujourd'hui, nous voici gisant
Dans les champs de Flandre.

Reprenez notre combat contre l'ennemi :
À vous, de nos mains tremblantes, nous tendons
le flambeau ; faites-le vôtre et portez-le bien haut.
Si vous nous laissez tomber, nous qui mourons,
Nous ne trouverons jamais le repos, quand bien même les coquelicots fleuriront
Dans les champs de Flandre.)


Vivian Cummings, A Poppy Field, France, vers 1918.
(source)


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