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dimanche 9 juin 2019

Partir en vrille au-dessus du Viminalis ? Le fait d'un pilote linguiste.








C'est l'hélice - la Sainte-Hélice! comme me disait un jour un mathématicien illustre - qui va nous emporter dans l'air; c'est l'hélice, qui entre dans l'air comme la vrille entre dans le bois, emportant avec elles, l'une son moteur, l'autre son manche.

Félix Tournachon, dit Nadar


Nadar,
caricaturiste, écrivain, aéronaute et
photographe français,

5 (ou 6) avril 1820 - 20 mars 1910

autoportrait tournant
(source)





























Bonjour à toutes et tous !




Nous venons d'entamer, dimanche dernier, l'étude de la racine indo-européenne ...

*ueh1-i-, “tisser, tresser...”.


Nous en avons déjà examiné quelques dérivés en sanskrit, en avestique, en perse, en hittite, et même en arménien...


Aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser en premier lieu à un dérivé de *ueh1-i-, “tisser, tresser...” nettement plus proche de chez nous...

Le latin... vieō, “courber, tresser, lier, attacher...”.


Comme vous pouvez le soupçonner, pour passer de l'indo-européen au latin, il aura fallu passer par ... un étymon ... italique.
Ben oui, on va pas r'faire le monde, non plus.

Et cette forme proto-italique (non attestée, faut-il le préciser) que vous attendez tous, ce sera... *wijeje/o-, “tresser”.


Autrement dit:


racine indo-européenne *ueh1-i-“tisser, tresser
proto-italique *wijeje/o-, “tresser”
latin vieō, courber, tresser, lier, attacher...”





Et qu'est-ce qu'i' nous a donné, le latin vieō ? Hein ?
Qu'est-ce qu'i' nous a donné, le kiki ?

Eh bien, déjà le latin vīmen“osier, branche flexible (utilisée en vannerie)”.

Vīmen, d'où nous arrive le français régional vime, que le Littré de 1880 (excusez du peu) nous définit comme ...
Nom de l'osier dans l'Angoumois et ailleurs.

Mais il y a encore mieux que ça...

Connaissez-vous le nom savant du saule des vanniers ?

Salix ... viminalis





Mais on l'appelle encore osier vert, ou, tout simplement ... vime.

Et bien entendu, c'est de ses rameaux souples, souples que l'on fait l'osier, utilisé en vannerie.


(source)


- Mais... Viminalis, dites-vous ? Mais c'est une des...
- Mais OUIIII, vous avez raison !

Avec l'Aventinus, le Caelius, le Capitolium, l'Esquilinus, le Palatinus et le Quirinalis, le Viminalis était l'un des septem montes, l'une des sept collines de la Rome classique !

Et pourquoi qu'on l'appelait Viminalis (Collis), hein, hein ? 

Je vous le donne en mille: parce que sur ses pentes poussaient précisément des ..Salix viminalis, des saules des vanniers.

Eh, tout se tient... Ouaip.


Ouaip...



(source)

Et si jamais vous devez retenir le nom des sept collines de Rome, rappelez-vous ce moyen mnémotechnique vous donnant le début de chacun de leur nom latin, et qui
- très curieusement, et malheureusement -
n'est pas une contrepèterie:
“Pierre Chardin a vécu en Chine”, pour 
Pierre (Palatin) Chardin (Cælius) a (Aventin), vé (Viminal) cu (Quirinal) en (Esquilin) Chine (Capitole).


Vieō, par vīmen, nous a encore légué quelques mots occitans en vim(e) / bim(e) / vin, toujours relatifs à l'osier comme le toulousain bimos, pour treillis d’osier”, ou encore bimade, désignant  la récolte de brins d’osier.
http://www.etymologie-occitane.fr/tag/metiers-anciens/page/10/

En catalan, vous retrouverez toujours vimosier; brins d’osier.

En espagnol, pour ce même osier on parlera de mimbre, assimilation d'une ancienne forme vimbre.
(assimilation car le v initial original a été progressivement remplacé par un m, au contact du m existant.)

Et quand en portugais on désigne toujours l'osier, on parle bien de vime.



Mais ce n'est pas tout...

Car on peut encore retracer une autre forme italique dérivée de notre charmante *ueh1-i-“tisser, tresser”.

À l'origine de cet autre étymon italique, une forme suffixée au degré zéro de *ueh1-i--,


*uh1i-ti-.


Elle s'est dérivée dans l'italique *wīti-.

Et donnera le latin... vītis, toujours de la famille, donc, de vieō.


Mais que pouvait bien désigner vītis ?

Eh bien, le cep ! Oui oui, le pied de vigne.


Le rapport ? Mais la torsade, cette forme tressée, enroulée, caractéristique du pied de vigne...






Si ce rapport de tresse à vigne vous paraît curieux, voire carrément


tiré par les cheveux, 




sachez quand même que sur vītis se sont créés tant le très logique latin vīteus, “relatif à la vigne”, que le latin vītilis, ... “fait en osier” !


Pour tout vous dire, ce latin vitis désignait à l'origine toute plante à vrilles.
Ce n'est que plus tard qu'il se spécialisa
- et ce toujours en toute logique -
dans le sens de vigne, de cep. 

Par extension, même, il désignera le bâton qui représentait l'autorité du centurion. 

Tout simplement parce que ce bâton était fait d'un ... cep de vigne.
Oui, comme vous l'avez déjà compris par leurs calques du grec, les Romains n'étaient pas vraiment réputés pour leur imagination débordante.






Si enfin, sur vitis, nous avons formé, créé il y a peu (au début du XIXème, seulement) le terme viticole,
“relatif à la culture de la vigne et à la production du vin”, “qui produit de la vigne”,
C'est aussi de vitis, mes amis, que nous arrive le français... 


vis.


Vis ?
Escalier tournant en spirale autour d'un axe, dit noyau, qui soutient toutes les marches.



ou encore...
(déjà fin XIème) tige cylindrique ou tronconique de bois, de métal, présentant une partie saillante en hélice et que l'on fait pénétrer dans une pièce également filetée ou dans du bois, du métal, en la faisant tourner sur elle-même.
Oh merci merci ©Le Grand Robert de la langue française



Notre français vis est une réfection (mais ici simplement graphique) de l'ancien français viz attesté en 1049, issu lui-même du latin vitis.



racine indo-européenne *ueh1-i-“tisser, tresser

timbre zéro suffixé *uh1i-ti-
proto-italique *wīti-
latin vītisplante à vrilles, pied de vigne...”

ancien français viz, d'abord “escalier tournant”, 1049

réfection graphique, fin XIème

français vis



Si vous avez encore le moindre doute sur le rapport étroit entre le pied de vigne vrillé et notre vis, pensez à l'italien ... vite, évidemment issu de vītis.

Vite, qui vous permet de retracer, au fil de ses acceptions, toute l'histoire du mot...

Car il signifie tout autant “vrille (en aviation)que “vigne” ou que “vis”.

C’est-y pas beau, ça ?




Quant à notre vrille (1375), c'est l'improbable fruit,
  • d'une part, de l'altération de l'ancien français vedile, puis vedille  puis veïlle“pousse en hélice (de la vigne ou d'autre plantes grimpantes)”,
  • et de l'autre, du téléscopage de ce veïlle, “pousse en hélice et de cet autre veïlle, ville, “outil de fer servant à faire des trous”.
À l'origine de cette altération, l'on ... 

... soupçonne... 



l'influence de virer.

Et rassurez-vous, pour ce qui est du carambolage, de cette collision homonymique, tous les mots qui y sont impliqués sont bien issus du latin vieō, courber, tresser, lier, attacher...” par vitis ou son diminutif viticula...

La vie est belle, non ?



What a wonderful world...

Ici,
en un duo posthume,
un très bel hommage de Katie Melua à
Eva Cassidy, partie trop vite



Non mais, vous vous rendez compte ?

Vous auriez, vous, fait le lien entre le sanskrit वयति, váyati, “tresser, tisser, entrelacer...”, 
le nom de la ville de Bīdābād, dans la province iranienne d'Ispahan,
le hittite 𒌑𒂖𒆪, welku, “herbe”, 
l'arménien urī, saule”,
le latin Viminalis
et nos français vis, vrille et viticole ???

Hein, sans rire ?

Ben voilà.

Merci qui ?

Mais... l'indo-européen, pardi !

Ouaip



Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !




À dimanche prochain !







Frédéric


Le 6 juin 1944, c'était le D-day.

De grâce, n'oublions pas.






















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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)


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De la Rome classique à un compositeur italien de la période classique, 

il n'y a qu'un tout petit pas, vous en conviendrez...

Pour nous quitter,


le Carducci String Quartet nous interprète

- avec fougue et passion -

l'un des
quintettes avec guitare de Luigi Boccherini,

le quatrième, en ré majeur, Fandango


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article suivant: fi, ce ne sont là que broutilles, bagatelles, de simples détails !

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