article précédent: Be My Valentine
(...)
Hélas, le cours préparatoire, lui, était obligatoire.
En août, comme son mari s'apprêtait à y inscrire Plectrude, la maman protesta:
– Elle n'a que cinq ans !
– Elle aura six ans en octobre.
Cette fois, il tint bon. Et le 1er septembre, ce ne fut plus deux mais trois enfants qu'ils conduisirent à l'école.
La petite dernière n'y était d'ailleurs pas opposée. Elle était plutôt faraude à l'idée d'essayer son cartable. On assista donc à une rentrée étrange: c'était la mère qui pleurait en voyant s'éloigner l'enfant.
Plectrude déchanta vite. C'était très différent des leçons de ballet. Il fallut rester assise pendant des heures sans bouger. Il fallut écouter une femme dont les propos n'étaient pas intéressants.
(...)
Amélie Nothomb,
Robert des noms propres
Bonjour à toutes et tous!
La Saint-Valentin, c’était dimanche dernier.
Nous savons déjà que Valentinus, le nom latin du fameux Saint, provenait de la racine proto-indo-européenne *wal-, “être fort”.
Et que de *wal-, par le latin valeō, valēre, nous avions vraisemblablement reçu valoir, vaillant, convalescence, ou encore l’anglais available, ou même le va- de vadrouille !
Nous continuons en ce dimanche, avec d’autres dérivés de *wal-, mais cette fois, dans le groupe germanique…
Une forme allongée de *wal- au timbre o
(où donc la voyelle-pivot e se transforme en o),*wold(h)-, se retrouve dans le proto-germanique *waldan-, “gouverner, régner, exercer de l’autorité sur”.
Ce qui ne semble pas particulièrement surprenant en germanique, il faut bien le reconnaître.
De ce *waldan- germanique sont issus les vieux anglais wealdan, régner, et wieldan, gouverner.
De ces mots, une seule forme a subsisté en anglais moderne :
wield : (notamment) exercer de l’autorité, commander, contrôler…
Notez aussi que wield peut également signifier manier, brandir.
Le rapport avec l’autorité exercée ?
Eh bien... brandir l’épée qui représentait le pouvoir, l’autorité.
Ce brandissement de l’épée pour affirmer son pouvoir est particulièrement bien rendu dans Excalibur, de John Boorman, dont je n’arrête pas de vous parler…
Amusant - comme tout se tient ! -, vous verrez dans cet extrait le grand Patrick Stewart, celui-là même qui incarnera le capitaine Picard, aux commandes de l'Enterprise, à la suite de James Kirk.
Oui, Star Trek est aussi un des univers que je fréquente…
Toujours en vieil anglais, *waldan- se retrouve aussi sous la forme “weald” dans des noms propres, désignant toujours le pouvoir.
Ainsi, Osweald, qui deviendra Oswald, et qui se traduirait littéralement par “pouvoir de Dieu”,
Os étant basé sur une racine proto-indo-européenne *ansu- désignant le Grand Esprit, le Créateur, la Divinité.
Faudra d’ailleurs qu’on en parle un de ces quatre…
Frédéric, celui du 23 avril 2017, vous le dit : chose faite ! Avec Oscar Wilde ne manquait certes pas d'esprit
Lee Harvey Oswald |
De même sens, en vieux haut-allemand, on trouvait encore Answald, et en … (mais ouiiii!) vieux norois, Ásvaldr.
Restons dans les noms propres.
Et en vieux haut-allemand, tant qu’à faire.
Car le germanique *waldan- est devenu, en vieux haut-allemand, -walt, -wald. “Pouvoir”.
D’où Walter, celui qui commande à l’armée.
(le er de la fin du mot provenant du vieux haut-allemand hari, heri, l’armée, issu lui-même de la racine proto-indo-européenne *koro-. Décidément, ‘faudra aussi qu’on en reparle un jour…)
Walter Matthau, 1er octobre 1920 - 1er juillet 2000 |
Quant à notre Gérald, il provient d’une forme Gērald / Gērwald, où le vieux haut-allemand gēr, découlant du proto-germanique *gaizaz-, désignait la pointe, la pique, la lance.
Gérald : le pouvoir de la lance.
Non non, rien de guerrier derrière tout ça…
Mais notons que le germanique *gaizaz- provenait bien d’une racine proto-indo-européenne: *ghaiso- (“lance, bâton”).PS : Gérard, lui, basé sur le vieux haut-allemand Gērhart, se comprendrait plutôt comme "fort avec la lance" - donc il ne descend nullement de *wal-)
Ronald, lui, provient du vieux norois Rögnvaldr
(je vous le demande : fallait-il vraiment préciser qu’il s’agissait de vieux norois??),“qui a la puissance de ceux qui décrètent”, entendez “les dieux”.
Rien que ça.
Rögn, pluriel de regin, peut en fait se traduire de différentes façons: avis, décision, puissance, décret…
À droite, Ronald Reagan |
Allez, encore un prénom dérivé, mais cette fois dans le groupe slave.
Ce prénom nous arrive du … vieux slavon d’église (aaaaaaah) Владимѣръ, "Vladimir"
On l’avait déjà entre-aperçu auparavant, il y a bien longtemps: des Bantous aux Teutons"мир" ("mir") c'est la paix.
C’est la racine *mei-4, “relier”, qui se cache derrière мир.
Oui, elle aussi, on en parlera un jour!
la station spatiale Mir |
Et Влад, “Vlad”,
qui descend de notre *wal- par le proto-slave où l’on retrouvera par exemple *volsti- (“pouvoir, règne, souveraineté…”) ou *volstь (“régner”),c'est tout simplement le pouvoir.
On pourrait ainsi traduire Vladimir par la paix régnante, celui qui règne dans la paix…
C’est du moins ce que j’ai toujours cru, et que Watkins confirme.
En vous disant que мир se traduit également par "le monde"!
D’où une autre interprétation possible: “le pouvoir sur le monde”, le pouvoir absolu, en quelque sorte.
Cependant, Max Vasmer, dans son Russisches Etymologisches Wörterbuch, présente une toute autre théorie, ma foi bien intéressante…
Max Vasmer |
Pour lui, Vladimir évoque tout simplement la notion de royauté, de pouvoir régalien.
Avant la réforme de l’orthographe russe, en 1918
(tiens, ça ne vous évoque rien / sa ne vou évok rien?),les deux mots russes pour paix et monde s’écrivaient respectivement ...
- миръ (paix) et
- мiръ (monde).
Ce мѣръ, selon Vasmer, n’était que la transposition slave du gotique -mērs, “grand” (< *meg(h)-, “grand”, dont provient le sanskrit maha, ou le latin magnus…).
(Relisez à ce sujet Ceci n'est pas une pomme)Владимѣръ pouvait alors se comprendre comme “grand en son pouvoir”, “dont le pouvoir est grand”…
Quoi qu’il en soit, c’est le même Vlad que l’on retrouve dans Владивосток, "Vladivostok": "le pouvoir sur Восток, l’Orient", "qui domine l'Est"...).
Vladivostok, le terminus du Transsibérien |
Ou dans Vlad Țepeș, mieux connu en tant que Vlad l’empaleur.
Oui oui, lui ! À l’origine de la légende de Dracula.
Vlad l'empaleur |
C’est toujours *wal- qui se cache derrière le russe о́бласть (óblastʹ), “région, province”, dont on vient de parler tout dernièrement:
Un apéritif pareil, ça réchauffe. Plus besoin de couvertures...
Le russe о́бласть est un emprunt au vieux slavon d’église область (oblast’), basé sur le proto-slave *obolstь, évolution d’une forme antérieure *obvolstь, *obvoldtь, composé de *o(b)- (“sur”) et de *volstь (“règne, pouvoir, autorité…”), désignant donc originellement “une région sur laquelle s’exerce une autorité”.
l'oblast de la ville de Vladimir |
On trouvera encore pas mal d’autres dérivés de *wal- dans les langues slaves et baltes ; j’en veux pour preuve le lituanien valdýti ou le letton (mais l’est-on vraiment ?) vàldît (régner, gouverner…).
Mais, mais… il se pourrait que toutes ces formes balto-slaves ne soient en réalité que des emprunts au germanique…
Des calques, si vous voulez, des copies, ne descendant donc pas, en ligne droite du moins, de notre gentille *wal- proto-indo-européenne.
Notez, pour faire bonne figure, on peut retrouver notre *wal- dans d’autres groupes linguistiques.
Je pense aux langues celtiques, avec…:
- le gallois gallu (“être capable”),
- le vieil irlandais flaith (“domination, empire (sur)”), ou
- le gaulois walos (“souverain”).
Allez, un dernier petit dérivé avant de nous quitter.
En français !
Mais je dois quand même vous le dire, on en a déjà parlé…
le 14 décembre 2014:
Emprunter pour ouvrir une auberge à Pearl Harbour?? Bof bof...
Enfin... le mot avec lequel j’aimerais que nous clôturions ce dimanche, c’est un composé.
Et nous avions parlé de la première partie de ce composé il y a maintenant deux ans…
ce mot, c’est… héraut.
Basé, comme Walter, sur le proto-indo-européen *koro-, “guerre, armée…”.
Notre héraut français provient, comme souvent, et surtout quand il s’agit de vocabulaire militaire, du… francique : *heriwald: *heri - wald, chef d’armée.
Le mot se compose donc de *heri, mais aussi de *wald : “qui règne”.
Le Grand Robert nous enseigne qu’au moyen âge, le héraut était un officier de l'office d'armes, grade intermédiaire entre le “poursuivant d'armes” et le “roi d'armes”.
Les fonctions du héraut d'armes ou fonctions héraldiques étaient la transmission des messages (déclarations de guerre, de paix, défis, sommations…), les proclamations solennelles, l'ordonnance des cérémonies (fêtes publiques, réunions, tournois…), le recensement de la noblesse, la surveillance de l'usage des armoiries et la composition des nouveaux blasons.
héraut |
Au XVème, au sens figuré, héraut s’entendra comme “ayant pour charge d’annoncer la venue de quelqu’un”.
Sur le vieux français heraut, hiraut, et par l’anglo-normand heraud, le mot est passé en anglais, sous la forme herald.
Mon conseil: si vous voulez créer un nouveau journal de langue anglaise et que vous voulez manifester votre absence totale d’imagination et de créativité, appelez-le Herald.
Le terme est devenu pratiquement un synonyme de newspaper: Daily Herald Tribune, New York Herald, The Miami Herald, Calgary Herald, Herald Sun…
La une du New York Herald du 12 novembre 1918 |
De héraut, héraut d’armes, nous avons bien entendu tiré héraldique, ou le très récent héraldiste.
héraldique: comment créer son blason |
Connaissez-vous le familier faraud ? “Qui porte ses beaux habits et en est fier”, “qui est fier de son allure”.
Curieusement, le mot nous vient de l’espagnol faraute, “messager de guerre, interprète” (fin du XVème).
Le rapport, me direz-vous?
Eh bien, de “messager de guerre”, le mot en viendra à désigner, dans un tout autre registre, celui qui récite le prologue d’une comédie (début du XVIIème).
Vous pouvez facilement imaginer que ce rôle ingrat était considéré comme particulièrement barbant par le public.
Imaginez ces pauvres farautes qui essayaient tant bien que mal de captiver le public, alors que tout le monde ne souhaitait qu'une seule chose: la fin du prologue.
Qu'enfin la comédie commence!
Ce faraute qui parle, qui parle, alors qu'il n'intéresse personne...
Voilà d’où naîtra ce sens ultérieur de “personne qui cherche à se faire valoir”.
Faraud prendra plus tard, au XVIIème, le sens de... fanfaron.
Pourquoi je vous dis ça?
Mais parce que l’espagnol faraude était un emprunt au français… héraut !
Allez, on récapitule ?
La racine *wal-, dont est issu Valentin, nous a donné les anglais available ou wield, les français valoir, convalescence, mais aussi une ch.ée de prénoms, comme Walter, Harald, ou Vladimir.
On la retrouve encore dans héraut, ou dans le vieilli faraud.
Pas mal, non ?
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très belle semaine !
Frédéric
Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon,avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Spem in alium, motet à quarante voix (40!!!)
Thomas Tallis (c.1505 - 1585)
Tudieu, si ça ce n'est pas de la polyphonie...
article suivant: "crever un pneu, c'est mourir un peu" - J.P. Beltoise
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire