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"Allo allo, ici la Terre, fusée lunaire, répondez…"
Tintin, On a marché sur la Lune, Hergé, 1953
La racine *ruk- ne fait peut-être pas partie du vocabulaire indo-européen commun, le proto-indo-européen, car on n'en retrouve les dérivés les plus directs que dans les langues celtes et germaniques.
On peut donc supposer qu'elle est arrivée "sur le tard", qu'elle n'est apparue qu'après la supposée séparation en différents groupes linguistiques du peuple indo-européen originel.
Quoi qu'il en soit, cette racine *ruk- évoque l'idée générale de "tissu filé, de filage, de tissage"…
L'italien l'a récupérée, par le biais du germanique *rukkōn-, et en a fait rócca: la quenouille.
Curieux mot! Celui qui ne le connaît pas pourrait lui prêter quelque sens bien graveleux, ou penser au croisement improbable entre une quenelle et une grenouille.
Quenelle, ... |
Grenouille, ... |
Quenouille. |
Il n'en est évidemment rien: Wikipedia nous enseigne que la quenouille, c'est cet ancien instrument que l'on utilisait pour le filage du lin, ou plus généralement des matières textiles, constitué d'une tige de bois ou d'osier, et qui servait à enrouler les fibres non encore filées, pour éviter qu'elles ne s'emmêlent.
La quenouille s'utilise aussi bien avec un rouet - elle est alors placée tout près de la bobine, qu'avec un fuseau.
Dans ce cas on la tient sous un bras et on maintient le fuseau de l'autre main.
Quenouille sur rouet |
(Pour tout vous dire, "quenouille" provient de la racine proto-indo-européenne *kʷel-, qui véhicule l'idée de cycle, de cercle, de roue… Oui, on y reviendra! Voir ICI!!)
Mais revenons à notre italien rócca: sur rócca s'est créé le diminutif rocchétto.
Qu'on pourrait traduire par "bobine"…
Bobine de coton |
Alors, comment est-on passé de la quenouille à la bobine: grand mystère.
Il s'agissait en tout cas de deux éléments certes distincts, mais qui se retrouvaient l'un et l'autre sur le rouet. Alors peut-être y a-t-il eu confusion des deux… Et puis, bien sûr, ils ont en commun de recevoir du fil enroulé.
En tout cas, ce qu'il faut retenir du rocchétto, c'est sa forme si particulière: cylindrique…
C'est parce que certains projectiles partageaient cette forme caractéristique que dès le 17ème siècle, on les a baptisés rocchétti…
Les Anglais ont repris et anglicisé le mot, pour en faire… rocket (la fusée, le missile)!
Et l'on parle maintenant de roquette en français, par simple francisation de l'anglais.
La fusée de Tintin sur le pas de tir |
En français toujours, nous avons hérité de "rochet", vieux mot désignant la bobine servant à dévider la soie, issu du germanique *rukka-.
Mais en vieux français, par héritage du germanique *rukkōn-, nous avions aussi le "rocquet": "l'embout mis à la lance pour qu'elle ne blessât point lors d'un tournoi".
Là encore, c'était la forme évoquée par l'objet, cylindrique, qui avait servi à le désigner.
Ce qui est amusant, c'est que le mot français "fusée" est un cousin - non pas germain, mais latin! - de "fuseau", car ils proviennent bien de la même racine! ("Fusée" étant d'ailleurs calqué sur "fuseau").
Le fuseau, c'est la petite tige de bois renflée en son milieu, pointue à un bout et arrondie à l’autre et dont on se sert pour filer à la quenouille et tordre le fil, afin de le rouler à mesure qu’il se forme.
Fuseau |
Fuseau et fusée proviennent de cette autre racine proto-indo-européenne dont nous avons parlé précédemment: *gheu- (voir en attendant *gheu-*dyeu-), via le latin fucus, de fundo: répandre, verser, épandre.
Fuseau est créé sur le sens métaphorique que fundo pouvait revêtir: "verser, tourner, retourner".
Quant à fusée, il se base sur le même fundo, reprenant l'idée de se répandre, d'où jaillir.
Allez, une petite dernière sur quenouille; on ne s'en lasse pas...
Connaissez-vous l'expression "tomber en quenouille"?
Le travail du fil était essentiellement féminin (pensez à la Belle au Bois Dormant qui se piquera à sa quenouille).
La Belle au Bois dormant (à gauche) s'apprêtant à se piquer à la quenouille |
Eh bien, la loi salique, instituée par les Francs depuis le VIe siècle, reposait sur la crainte que la couronne royale ne "tombe en quenouille", c’est-à-dire aux mains des femmes...
Frédéric
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