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"Vetus autem illud Catonis admodum scitum est, qui mirari se aiebat, quod non rideret haruspex, haruspicem cum vidisset."
Cicéron, De divinatione, II, 51
"On connait bien ce bon mot, déjà ancien, de Caton: il disait s'étonner qu'un haruspice pût regarder un autre haruspice sans rire."
Buste - supposé - de Caton l'Ancien |
Avant d'entamer le sujet de ce dimanche, avez-vous lu la nouvelle?
Vous savez (voir "le pourquoi et le comment") que deux hypothèses sont toujours en concurrence quant à l'origine géographique du proto-indo-européen: certains penchent pour la plaine pontique, au nord de la mer Noire, tandis que d'autres optent pour l'Anatolie - ce qui correspond grosso modo à la Turquie d'aujourd'hui).
Il semblerait que la seconde hypothèse puisse l'emporter…
En attendant la nouvelle qui remettra tout en question, bien entendu.
La propagation depuis l'Anatolie |
Sur ce - rien à voir - j'aimerais vous parler d'une racine proto-indo-européenne qui correspond à l'idée d'entrailles…!
J'ai nommé:
*gherə-
C'est à *gherə- que nous devons le latin hira, intestin grêle au singulier, intestins au pluriel.
Le latin hernia ("chair saillante"), qui nous a donné le mot hernie, provient d'une forme suffixée en -n de la racine: *gherə-n-
Le latin haruspex (ou aruspex) serait également un composé de hira et du verbe specio ("regarder, inspecter").
Le haruspex, l'haruspice, était un devin d’origine étrusque qui faisait profession d’annoncer l’avenir par l’inspection des entrailles d'animaux sacrifiés.
Haruspice |
C'est parce qu'il fut un temps où il y en avait une telle pléthore à Rome, et qu'ils étaient pour la plupart considérés comme de solides charlatans, que Caton avait sorti son bon mot, repris en exergue par Cicéron, que l'on pourrait actualiser par:
"- Que se disent deux haruspices qui se croisent?
- Rien, ils ne peuvent s'empêcher de rire."
Notez que, sans rire cette fois, il se pourrait que "harus" ne provienne pas du latin hira, mais qu'il s'agisse plutôt d'un emprunt à l'étrusque - langue non indo-européenne, l'étrusque haru ayant également signifié "entrailles"… A suivre…
Ce qui est nettement plus certain, en revanche, c'est que *gherə- a donné Garn en allemand, ou encore garn en suédois: "fil".
L'anglais en a gardé la trace dans le mot yarn (le fil), toujours via le germanique *garnō: fil, corde.
Euh, oui, parce qu'à l'origine, on devait produire du fil, de la ficelle à partir de boyaux d'animaux.
C'est pour cela, d'ailleurs, qu'en latin, une forme particulière de la racine: *ghorə-d, s'est dérivée en chorda (ou sa variante corda), pour désigner le nerf, le tendon, le boyau, puis la corde à boyau, puis enfin la corde en général.
Les français "corde", ou "cordon", viennent de là.
Le latin chorda provenait du grec ancien: on retrouve χορδά (khorda) en dorique, ou χορδή (khordē) en ionien, avec comme signification "corde de boyau", mais aussi "corde d'une lyre".
Car vous ne l'ignorez certainement pas, les cordes d'instruments de musique sont à l'origine constituées de boyaux d'animaux.
Nous trouvons encore trace de *gherə- en sanskrit, avec हिर (hira), le collier de perles!
L'anglais chord, l'accord musical, provient du latin chorda, ce qui rappelle à nouveau l'origine intestine et animale des cordes des instruments de musique.
Musicalement parlant, *gherə-, toujours par sa forme *ghorə-d, nous a également légué le tétracorde!
Au départ, le tétracorde désigne un ancien instrument de musique grec, utilisant, vous l'aurez deviné, quatre cordes.
Un tétracorde devait ressembler à cela, mais avec quatre cordes... |
Mais le mot s'est étendu bien vite à un concept musical important, voire fondamental:
Le tétracorde est un polycorde constitué de quatre notes conjointes qui se suivent dans le sens ascendant et qui sont séparées respectivement par 1 ton, 1 ton, et 1/2 ton (par exemple: do - ré - mi - fa, ou sol - la - si - do).
Le concept de tétracorde est considéré par les théoriciens grecs comme l'unité fondamentale pour la formation des échelles mélodiques.
Dans la musique occidentale tonale, on considère qu'une gamme majeure est constituée de deux tétracordes séparés par un ton (par exemple, pour do majeur: do - ré - mi - fa // sol - la - si -do).
Ce qui est amusant, c'est que le français "accord", le pendant de l'anglais "chord", ne vient pas du tout - mais alors, pas du tout! - de chorda, mais bien du bas latin accordare, composé du préfixe ad- et de cors/cordis ("cœur").
S'accorder, en français, c'est en quelque sorte "rapprocher les coeurs".
Disons les "mettre à l'unisson", pour retrouver une image musicale.
Enfin, pour rappel, le mot "chorale" ne vient pas non plus de *gherə-/*ghorə-d, mais bien du latin chorus, lui même du grec ancien χορός, khoros: "danse en rond" (voir - ou revoir! - jardins, courtisans, choeurs et ortolans)
Bon dimanche à toutes et tous!
PS: Delenda Carthago.
Frédéric l'Ancien
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