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dimanche 10 mars 2013

Benjamin, ou d'Amérique


article précédent : Ah mes aïeux !



Bonjour à toutes, bonjour à tous !

Dimanche dernier : la racine proto-indo-européenne *awo-, qui a notamment donné le latin avus, dont nous avions tiré aïeul.

Ce dimanche: la racine proto-indo-européenne  *awo-, qui a notamment donné le latin avus, dont nous avons tiré aïeul.

- Ca y est, maintenant c'est officiel, il a pété un câble…
- Mais non! Enfin… Oui, peut-être, c'est possible… Mais bon, attendez...!

En fait, je vous propose de nous intéresser en ce dimanche - toujours dans le cadre de notre thématique "les noms qui désignent les membres de la famille",

à "oncle".




Et il se fait que notre français oncle nous vient du latin avunculus.


Nous employons toujours l'adjectif avunculaire: "qui a rapport à un oncle ou à une tante".
Nous parlerons par exemple d'une succession avunculaire.


Et il se fait que avunculus n'est que le diminutif de … avus.

Si si, le même avus que celui qui a donné aïeul.


Eh oui!

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup de linguistes, comme je vous le disais précédemment, n'aiment pas trop se prononcer sur un signifié trop limitatif de la racine proto-indo-européenne *awo- (notée *h₂ewh₂yos dans les dernières retranscriptions, ce qui fait nettement plus intello).

Car la racine est certes à l'origine de mots désignant le grand-père, l'ancêtre, mais a servi aussi à créer dans de nombreuses langues des mots désignant l'oncle.
Ou parfois même, plus strictement, l'oncle maternel: le frère de la mère.

Curieux, tout ça, non?

Il est un grand linguiste, Émile Benveniste, qui lui n'hésitait pas à se mouiller.
Il plongeait, carrément. Et il avançait des théories.

Grâce à lui, on comprend mieux ce qu'a dû être la civilisation indo-européenne.

Ses ouvrages sont clairs, limpides; ils se lisent comme des romans. Ils sont tout simplement passionnants.

J'en suis certain, Benveniste a fait naître bon nombre de vocations d'apprentis linguistes…

Emile Benveniste

Et donc, Emile Benveniste, dans le captivant "vocabulaire des institutions indo-européennes" - dont je ne peux que vous conseiller la lecture - traite des relations de parenté.
Juste un mot sur cet ouvrage en deux tomes: ne soyez pas rebutés par son titre curieux, voire rébarbatif. Les institutions auxquelles il est fait référence sont simplement "ce qui s'est institué" dans la société indo-européenne, au sens le plus général; quand nous décrivons une société, nous le faisons en racontant ses structures, son épine dorsale, la façon structurée dont ses membres interagissent…
Et c'est ce que fait la lexicologie des racines proto-indo-européennes: elle nous raconte la structure instituée d'une ancienne société humaine.
Cette société a disparu depuis longtemps, mais son squelette est toujours identifiable.

Pour Benveniste, *awo- signifiait bien le grand-père. Ou plutôt même le grand-père … maternel!
Mais aussi, par confusion des rôles, l'oncle maternel...!

Ca demande un peu d'explications, non?

Tout n'est que théorie bien sûr - comment arriver à affirmer des faits sociaux d'il y a des millénaires? - mais, si nous partons du latin par exemple, et que l'on accepte le principe qu'à l'origine le latin avus désignait bien le grand-père maternel de quelqu'un, son diminutif avunculus, en quelque sorte le "petit grand-père" servirait très logiquement à désigner le fils de ce grand-père maternel: l'oncle maternel de cette même personne.

Euh… Suis-je clair ??

Ce sous-entendu latin ne serait que la trace d'une pratique plus ancienne...
Et l'assimilation, dans l'autres langues indo-européennes du grand-père et du frère du côté maternel tendrait à prouver la même chose.

Cette prépondérance accordée au grand-père maternel et à son fils l'oncle maternel dans la société indo-européeenne (ben oui, sinon, ils n'auraient pas créé des noms expressément pour les désigner) pourrait s'expliquer par la survivance, au sein même de la société indo-européenne patriarcale, patrilinéaire et patrilocale (Mmmmh?) , de traces archaïques d'un système plus ancien, matrilinéaire !

En ce surlendemain de journée internationale des droits des femmes, ça mérite d'être mentionné !

On suppose ainsi qu'en cas de disparition du père, l'oncle maternel ou le grand-père maternel - qu'importe: "les mâles restants de la branche maternelle", devaient être capables de le remplacer au pied levé. D'autant que le père indo-européen n'était pas nécessairement le père biologique, mais bien le chef de la maison, le chef du clan, le chef de la grande famille.
Et donc en découle aussi la confusion des termes grand-père maternel et oncle maternel.
Car leur rôle au sein de la famille étendue était sensiblement le même.

Ceci, je le reconnais, va à l'encontre de l'idée que les relations entre la nouvelle épousée et sa famille de sang étaient rompues par le mariage, la jeune épouse quittant purement et simplement sa maison, sa famille.
Enfin, oui et non: on peut supposer que même si la jeune fille quittait ses parents, la nécessité faisant loi, quand le pater familias de sa nouvelle maison disparaissait, on faisait alors appel, pour le remplacer, à un homme apparenté - même s'il n'était parent que par alliance, et en âge de reprendre son rôle...

Et puis, dites-vous bien qu'en l'espèce, on peut toujours supposer que cette confusion du grand-père maternel et de l'oncle maternel que l'on constate dans le vocabulaire indo-européen n'est que la survivance d'un autre système plus ancien, que les deux systèmes de filiation n'ont peut-être jamais réellement coexisté, ou alors d'une façon très lâche ...
La société indo-européenne aurait ainsi d'abord été matrilinéaire, puis serait devenue patrilinéaire, et *awo-, racine de la première époque, aurait continué à être employée par la suite.

Quand nous observons une scène lointaine au téléobjectif, nous perdons la notion de distance relative, tous les objets nous apparaissent pratiquement sur un même plan. Idem lorsque nous regardons le ciel par une nuit étoilée...
C'est peut-être en quelque sorte par un phénomène similaire que nous retrouvons ici des racines lointaines qui nous paraissent contemporaines les unes par rapport aux autres, alors qu'il y a peut-être des millénaires qui les séparent...

Allez savoir...!!


En tout cas, plus pragmatiquement, nous retrouvons notre racine proto-indo-europénne *awo- à l'origine des mots désignant l'oncle, ou parfois, précisément l'oncle maternel dans une longue série de langues indo-européennes.
- au point que l'on pourrait dire que *awo- incarne l'oncle*awo- c'est l'oncle incarné.
En vieil arménien: հաւ (haw), en vieil irlandais: aue, en néerlandais: oom...

Vieil Arménien

Par le proto-slave *ujь, nous voyons poindre *awo- derrière le bulgare вуйчо, le serbo-croate ујак/ujak, (ou encore ујко/ujko), le slovène ujac, le slovaque ujo, le tchèque ujec, le polonais wujek...

En vieux prussien, avis était l'oncle maternel, tout comme Ohm, Oheim l'est en allemand...


Et j'en passe, et des meilleurs !!




Bon dimanche à toutes et toutes !
Passez une excellente semaine, et…
… à dimanche prochain !




Frédéric

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2 commentaires:

LeScrat a dit…

En It: avo (au fém ava) , c'est toujours le grand-père (le nonno, si, si ). Au pluriel "avi" ce sont les ancêtres en général (antenati=nés avant).
En Français il nous reste aussi "atavique".
"L'oncle incarné", t'as mis le doigt dessus !!!

Frédéric Blondieau a dit…

Merci!

et pour "atavique", voir http://indoeuropeen.blogspot.be/2013/03/ah-mes-aieux.html ...