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Nunc est bibendum
"Maintenant, il faut boire"
Horace,
Odes, Livre premier, ode XXXVII, première ligne
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"There will be no foolish wand-waving or silly incantations in this class. As such, I don't expect many of you to appreciate the subtle science and exact art that is potion-making. However, for those select few... Who possess, the predisposition... I can teach you how to bewitch the mind and ensnare the senses. I can tell you how to bottle fame, brew glory, and even put a stopper in death."
Professor Snape, in Harry Potter, J.K. Rowling
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Here's what happened
"Voilà ce qui s'est passé"
Bonjour à toutes et tous!
Dimanche dernier, nous avions recherché - péniblement - l’étymologie du mot philtre.
Car oui, nous sommes toujours à nous intéresser à la Magie et aux magiciens.
Aujourd’hui dimanche 31 août de l’an de grâce 2014, nous en sommes - si je compte bien - à notre quatorzième article de cette grande série…
Le philtre, pardi, c’est une potion magique!
Eh bien, partons de là, et intéressons-nous au mot français… potion!
Il y aura, je le pense, quelques petites surprises à la clé…
Poum poum poum…
Une potion, selon le Larousse, c’est une “préparation aqueuse et sucrée contenant une ou plusieurs substances médicamenteuses, destinée à l'usage interne”.
Certes! Mais dans les contes, la potion est souvent … magique, et possède des pouvoirs extraordinaires.
Ainsi, dans une version de Cendrillon, ses sœurs (à Cendrillon) lui administrent une potion soporifique pour l’empêcher de se rendre au palais où le prince doit choisir une épouse.
C’est également une potion qui permettra à la Reine, dans Blanche-Neige, de se transformer en vieille marchande pour se rendre au logis des nains…
La reine déguisée en marchande (copyright) |
Bon d’accord, il y a aussi la potion magique du Druide Panoramix.
Et Potions est un cours obligatoire à la Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry.
Le Professeur Severus Snape en fut d'ailleurs le titulaire pendant plusieurs années.
Severus Snape devant sa classe |
Le français potion (originellement pocion), mot du XIIème ou du XIIIème siècle, comme souvent, nous arrive du latin.
Ici précisément, de l’accusatif potionem du latin pōtiō: boisson, breuvage.
Dans sa célèbre quadrilogie Dialogorum libri quatuor de vita et miraculis patrum italicorum et de aeternitate animorum, que, je ne sais pas pourquoi on persiste à nommer Dialogues, le pape Grégoire 1er (540 - 604) définit pōtiō comme un «médicament liquide destiné à être bu».
Grégoire Ier, dit le Grand |
Quant à notre pōtiō latin, il nous arrivait - évidemment - d’une racine proto-indo-européenne:
*pō(i)-
Qui signifiait tout simplement: boire.
Le pōtiō latin provenait précisément d’une forme suffixée *pō-ti- basée sur la forme simple, non allongée de notre racine *pō(i)-: *pō.
C’est sur cette même forme proto-indo-européenne que s’est construit, toujours via le latin pōtiō, le français… poison!
On fait remonter le mot à la deuxième moitié du XIème siècle, où il désignait une boisson, sans plus.
Ce n’est que plus tard qu’il en viendra à désigner une boisson ... euh... empoisonnée.
Savez-vous que l’on parlait de LA poison?
Eh oui, le latin pōtiō, potionem, c’était un féminin!
D’ailleurs, ne dit-on pas toujours LA boisson?
Boisson, tout comme potion et poison, provient de ce même latin pōtiō…
C’est cette fois à partir d’une forme suffixée de *pō(i)-: *pō-to- que s’est créé le latin pōtus: bu, boisson, voire “ivre” sur lequel se base le verbe pōtāre: boire.
Sur pōtus, nous avons bien entendu créé le français … potable.
Sur une autre forme suffixée de notre proto-indo-européen *pō(i)-: *pō-tlo-, qui désignait le récipient à boire, nous retrouvons encore le sanskrit पात्र, pAtra: le récipient à boire, le gobelet, la coupe, le bol…
Et puis, c’est à une forme dupliquée au timbre o de notre racine *pō(i)-: *pi-pə-o-, qui deviendra *pi-bo-, assimilée à *bi-bo-, que nous devons les français imbiber, boire, beuverie, ou le métathésique breuvage, tous provenant du latin bĭbĕre: boire.
- Et bière?
- Mmmh? Ah oui, bière!
Mouais. Eh ben, c’est pas si simple…
C’est vrai que souvent, on fait remonter le français bière au latin bĭbĕre.
Mais bon, on peut se permettre de douter…
A mon sens le mot bière viendrait plutôt des langues germaniques.
Voilà ce qui s'est passé! (J’adore Monk)
Adrian Monk |
Le mot bière proviendrait du vieux français bière, d’origine germanique.
Difficile d’affirmer précisément d’où, mais on suppose qu’il provient ...
- soit du moyen néerlandais bier ou bēr, provenant lui-même du vieux saxon bior,
- soit du vieux haut-allemand bior.
Dans tous les cas, le mot serait issu du proto-germanique *beuzą (“bière”), qui dériverait de la racine proto-indo-européenne *bews-, désignant le déchet, le sédiment, ou - pour ce qui nous intéresse ici - la levure du brasseur!
Nous retrouvons notamment les cognats de bière dans le néerlandais ou l’allemand bier, l’islandais bjór, le suédois buska (“nouvelle bière”), ou encore dans l’anglais argotique booze, désignant d’une façon générale des boissons alcoolisées, des spiritueux…
Mais bon, revenons à notre *pō(i)-!
On n’en a pas encore fini avec elle…
Car, même si *pō(i)- ne nous a pas transmis le mot bière, elle a bien transmis son équivalent en russe: пиво (“pivo”), la bière.
C’est encore elle qui est derrière le verbe boire en russe: пить ("pit'") ; ces deux mots пиво (“pivo”) et пить ("pit'") nous arrivant de *pō(i)-, je ne le vous cacherai pas, par le vieux slavon d’église пити (“piti”).
OUI, toujours *pō(i)-, via une forme suffixée *pī-ro- basée sur sa forme au timbre zéro: *pī-, à l’origine des russes пиро́г ("pirog"), ou пирожки ("pirochki"), cette fois par le vieux slavon d’église *pirŭ: le festin, le banquet, les festivités…
"Fish pie" by Shuvaev - Own work (own photo) |
Et c’est encore *pō(i)- qui apparaît derrière le sanskrit पिबति, píbati: boire, siroter, absorber…
Enfin, une forme suffixée nasalisée de *pō(i)-: *pī-no-, nous a légué le grec πίνειν, pīnein: boire.
En notant qu’à Lesbos - ouf, il fait drôlement chaud tout d’un coup, non?? - le grec πίνω, píno "boire", "descendre", se disait πώνω, pṓnō.
Au grec “bu” correspondait donc le lesbien “descendu”.
Cécile Sorel En 1933, elle lance le fameux « L'ai-je bien descendu ? » au pied de l'escalier Dorian du Casino de Paris, phrase qui lui restera pendant longtemps associée. (copyright) |
Oui, je sais, c'est lamentable.
Du grec πίνω, píno, nous utilisons toujours, en biologie cellulaire, pinocytose - composé de pino-, de cyte (cellule) et du suffixe "-ose" indiquant la destruction ou la mort - désignant un type d’endocytose, en d’autres termes un mécanisme de transport de molécules ou de particules (virales, bactériennes, etc.) vers l'intérieur de la cellule.
Nous sommes en grec? Restons-y!
Car le plus beau - et peut-être le plus improbable - des dérivés de la proto-indo-européenne *pō(i)-, c’est au grec que nous le devons:
Symposium!
Eh oui! Symposium nous arrive du grec ancien συμπόσιον, sumpósion, littéralement “fête à boire”, de συμπίνω, sumpínō: “boire ensemble”, se décomposant en συν-, sun-: “ensemble” et πίνω, pínō, forcément: “boire”.
Symposium |
- Eho! Et ton titre?? Quel rapport avec colloque?
- Mais je n'allais quand même pas déjà révéler symposium dans le titre, non? Colloque ça passait mieux...
PS: le mot "bière" dans diverses langues européennes, sur mon board Pinterest:
http://www.pinterest.com/pin/57702438951455668/
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une TRES bonne semaine!
A dimanche prochain?
Frédéric
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