article précédent: une embuscade pour quelques pounds, quelques pesetas??
« Voici, poursuit-elle, une grande cassette
Où nous mettrons tous vos habits,
Votre miroir, votre toilette,
Je vous donne encor ma Baguette ;
La cassette suivra votre même chemin
Toujours sous la Terre cachée ;
Et lorsque vous voudrez l’ouvrir,
À peine mon bâton de la Terre aura touchée
Qu'aussitôt à vos yeux elle viendra s’offrir ».
La fée, marraine de Peau dÂne, s’adressant à sa filleule, dans
Peau d’âne, conte populaire, ici dans la version de Charles Perrault, 1694
La belle et talentueuse Delphine Seyrig, la fée marraine de Peau d'Âne, dans la version de Jacques Demy, 1970 |
Bonjour à toutes et tous!
En ce dimanche, nous continuons notre grande saga consacrée à la Magie et aux magiciens, et poursuivons avec les instruments emblématiques des clairvoyants et autres sorciers…
Notre but est toujours le même: partir d’un mot bien connu, remonter jusqu’à sa racine proto-indo-européenne, et examiner les autres dérivés de cette racine, en français ou dans d’autres langues indo-européennes, pourquoi pas!
Alors, au menu de ce dimanche, je vous propose… baguette!
Bien sûr, car difficile de parler d’un sorcier - ou d’un magicien - sans sa baguette magique.
Le français baguette nous vient en fait de l’italien bacchetta (petit bâton).
Et bacchetta proviendrait en toute vraisemblance du latin baculum: bâton, par l’intermédiaire du latin populaire *bacus / *bacculus.
Baculum? Mais c’était le bâton, la canne, le sceptre....
... dont le lointain parent était la racine proto-indo-européenne
*bak-,
qui désignait un bâton utilisé pour supporter quelque chose.
Ma foi, jusqu’ici, rien de bien surprenant.
C’est surtout au vu des quelques autres dérivés de *bak- que vous risquez d’être surpris…
Car comment imaginer que baguette provient de la même racine que…
bactérie!
bactérie |
Eh oui!
Bactérie, ou plus exactement le mot en latin scientifique bacterium, inventé par le naturaliste et zoologiste allemand Christian Gottfried Ehrenberg en 1838, est construit sur le grec ancien βακτηρία, baktêria (« bâton pour la marche ») à cause de la forme en bâton des premières bactéries observées: il s’agissait de … bacilles!
bacilles |
Inutile de vous dire que le grec βακτηρία, baktêria trouve son origine dans notre racine *bak-!
Bacilles??
Mais oui, bacille nous vient tout autant du proto-indo-européen *bak-, car bacille n'est que le descendant du diminutif latin bacillus / bacillum (« petit bâton, baguette »).
Ce bon Christian Gottfried Ehrenberg, à qui nous devons le terme bacterium |
Et puis, il y a, en charpenterie, la bâcle.
Une barre de bois, ou de fer, ou une grosse poutre, qui sert à fermer une porte de l'intérieur.
On parlait ainsi des trous de bâcle pour désigner ces trous dans l'embrasure où se logeaient les extrémités de la bâcle.
On suppose que bâcle provient du latin populaire *bacculare (« fermer avec une barre en bois »), issu bien évidemment de baculum (« bâton »).
Une bâcle, ça devait ressembler à ça |
“Ah mais” - me direz-vous - “alors, débâcle nous vient de là!”
Eh bien OUI!
Si bâcler c’est “verrouiller”, littéralement “barrer”: “caler avec une barre”, débâcler c’est l’inverse: “dégager, déverrouiller …”
Nous retrouvons ce sens dans notre vieux verbe desbacler, ancêtre de débâcler: « dégager un port en faisant sortir les bâtiments déchargés pour faire place aux bâtiments chargés qui arrivent ».
Mais attention! L’action de débâcler un port, ce n’est pas la débâcle, mais bien le débâclage.
Débâcle, mot récent (du début du XIXème) désigne premièrement la rupture des glaces sur un fleuve ou une rivière, qui en viennent à suivre le cours de l’eau, mais aussi, comme vous le savez, la déroute d'une armée, ou même la chute d’une entreprise.
Derrière toutes ces acceptions, l'idée de dégagement.
Monet - Débâcle sur la Seine, les glaçons, 1880 |
- Et donc, baguette, bactérie, bacille et débâcle sont cousins?
- Oui, certainement! Mais il y a mieux!
Imbécile!
- Pardon?? Mais jeune homme, je ne vous permets pas!
- Mais nooooon! Je parle du mot imbécile!
Oui, imbécile nous vient lui aussi de la racine proto-indo-européenne *bak-!
Pokorny - suivi par bien d’autres - l’apparente à notre latin bacillum (le bâtonnet), précédé du préfixe privatif in-, pour signifier littéralement , dans le composé latin imbecillus: « sans bâton, sans support ».
Imbecillus signifiait en tout cas faible.
On peut penser que le mot devait désigner à l'origine celui qui était désarmé, car sans bâton… (le bâton, le gourdin, étant toujours une arme commune)
En moyen français, imbecillus deviendra imbécille.
L’orthographe avec un seul l est fixée dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1798, sans doute afin d’éviter la prononciation du -ille final comme celle de fille.
Ils auraient d'ailleurs pu faire de même avec bacille, non?
Ben voilà, j’en resterai là!
Encore une fois, le recours aux racines proto-indo-européennes nous permet de faire surgir des liens surprenants, entre des mots que nous employons si souvent…
Je vous souhaite à toutes et tous un EXCELLENT dimanche, et une très très belle semaine!
Moi, là, tel que vous me lisez, je profite enfin de quelques jours à la campagne: calme, soleil, quiétude, loin de toute agitation urbaine…
A dimanche prochain?
Frédéric
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