- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 3 août 2014

une embuscade pour quelques pounds, quelques pesetas??


article précédent: j'ai un poêle à mazout



L'Araignée, l'Araignée
Est un être bien singulier
Dans sa toile, il attend
D'attraper les brigands
En garde!
Car l'Araignée est là

Remarquables paroles (françaises)
du début du générique du dessin animé Spider-Man


Ah, c'est pas récent!











Bonjour à toutes et tous!

Aujourd'hui, nous en sommes au onzième chapitre de notre série Magie et magiciens!
Onzième!


Bon, depuis deux dimanches, nous nous intéressons à la racine *(s)pen- (tirer, étirer, tourner…), qui se cache derrière le mot... pendule (car - dois-je vous le rappeler - nous avons commencé à parler des instruments emblématiques des clairvoyants et autres sorciers).


J'allais, dimanche dernier, vous parler d'un mot  ... tout simplement extraordinaire!
 - Je vous ai suffisamment fait languir, allons-y! -

Nous le connaissons tous, ce mot, et ne savons pas nécessairement ce qui se cache derrière.
J’irais même jusqu’à penser que certains pourraient croire qu’il s’agit d’un mot anglais

Alors que c’est un mot on ne peut plus français.

Fraaançais de chez fraaançais, Monsieur!


Je vous laisse un peu jouer: sachez qu'il désigne un traquenard.

Un piège tendu pour y faire tomber quelqu’un que l’on veut tenir à sa merci.

Une embuscade.

Vous voyez ce que je veux dire?

Et c'est un mot composé.

Alors, vous l'avez trouvé?


Mmmmh?



pom pom pom









OUI!

Guet-apens!

Un guet-apens, étymologiquement, est une embuscade mûrement réfléchie...

Le mot nous vient de guet apensé, altération de la locution adverbiale d’agais apensés: « guet avec préméditation », qui a succédé à l'ancien français en aguet apensé, issu du verbe ap(p)enser, qui revêt ici le sens particulier de « méditer avant d’agir, former un projet ».

En aguet apensé” se compose en réalité de aguet (d’où nous arrive, par aphérèseguet) et du participe passé de l’ancien verbe ap(p)enser: « concevoir la pensée de, s’aviser de », dérivé de penser.

Aguet??
Mais oui, on le connaît bien ce mot vieilli, ancienne version de notre "guet", mais on ne l’emploie plus guère que dans les locutions du type “être aux aguets”, ou “l’œil aux aguets”…

Bien entendu, en fidèles lecteurs et lectrices du dimanche indo-européen, vous reconnaissez instantanément ce premier élément de guet-apens: nous l’avons traité dans three witches watch three Swatch watches:

Guet descend de la racine proto-indo-européenne *weg-2, à l’origine de l’anglais witch!


Joli, non??


Guet-apens, Sam Peckinpah,1972 



Et puis, et puis…

Tous les dérivés de *(s)pen- ne proviennent pas que du latin.
Oh que non.

Passons à l’anglais!

Rappelez-vous, le champ sémantique de *(s)pen- couvre les notions de tirer, étirer, tourner

Mais dites-moi, celui qui tire, étire, tourne un fil de laine, mais c'est un tisserand!


tisserand

Le proto-germanique *spinnan- signifiait tisser.
Il provenait de *(s)pen- par sa forme suffixée *spen-wo-.

Sur *spinnan- tisser s’est basé le germanique *spin-thrōn “le tisserand”.

Nous allons retrouver plus tard les germaniques *spinnan- et *spin-thrōn, évoluant respectivement dans les vieux anglais spinnan: tisser et spīthra l’araignée, entendez: la tisserande!

Nous en avons évidemment … tiré les anglais...
  • spin: tisser, et 
  • spider: l’araignée.

Oh oui, notons que le germanique *spinnan- a également ensemencé...
  • le scots spider (“araignée”), 
  • le frison occidental spin (“araignée”), 
  • le néerlandais spin (“araignée”), 
  • l’allemand Spinne (“araignée”), 
  • le danois spinder (“tisserand, araignée”) - d'où le malaise tangible quand un Danois vous dit qu'il vient d'écraser un spinder), ou encore 
  • le suédois spindel (“araignée”).


Quant à l’anglais spindle, le fuseau, il descend aussi du germanique *spinnan, mais cette fois par son dérivé *spin-ilōn, passé au vieil anglais spinel (fuseau).

Spindle: fuseau



Et ce n’est toujours pas fini…

Du germanique *spanno, l’anglais a … tiré span: la distance, l'écartement, l'envergure, ou même le laps - la période de temps ...  (mais oui, pensez à l’idée d’étirement).

Nous traduirions bridge span par la travée d'un pont: la partie du pont s'étirant de pile en pile (ou de pile en culée, si vraiment vous y tenez).



- Quoi? Encore de l’anglais? C'est pas bientôt fini??
- Oui, désolé (en fait:  non!), mais à votre avis - je vais me rattraper - quel est le mot, bien français cette fois, qui provient de ce même germanique *spanno? 

Mmmh?


Je vous laisse réfléchir??

...

Ah ça, il faut savoir ce que vous voulez: de l'anglais ou du français??








L’empan! Non, pas comme le pétrole. C'est malin.

Via l’ancien français espan.

- Euuuh mais... C’est quoi l’empan??

- Selon le Littré, il s'agit de la mesure de longueur qu'on prend du bout du pouce à l'extrémité du petit doigt, lorsque la main est ouverte le plus possible.



Et pour revenir au latin - et nous en resterons là, considérez ceci comme une dernière salve, ou le bouquet final, c’est selon… - une forme suffixée et allongée de *(s)pen- au timbre o: *pond-o- est à l’origine de l’ablatif latin pondō: “au poids”.


C’est un mot anglais qui nous intéresse ici!
Vous rappelez-vous, nous avions vu la semaine dernière que *pēsum / pēnsum avait donné peso.
(Oui, je ne l’avais pas précisé, mais vous aviez extrapolé: l’espagnol peseta en est également le fier descendant, par l’espagnol peso.)

Eh bien, le latin pour “au poids” nous a donné l’anglais ... Pound!
La Livre.




Et pour être complet, sachez que c’est également à une forme au timbre o de *(s)pen-, suffixée et allongée: *pond-es-, que nous devons le fameux latin pondus (de racine ponder-) dont nous avions parlé il y a deux dimanches en précisant qu'il nous avait donné le français poids.

Poids, pondéral, pondération, prépondérant … Encore autant de dérivés de *(s)pen-.


Ouuuuuf!



Bluffant, non?

De empan à pondération, en passant par appendice, appentis, parpaing, les anglais spin ou spider, sans oublier penthouse, pension, poids, penser, panser, guet-apens, pound, récompense, poêle, suspens ou vilipender… (et j'en passe)

TOUS sont des descendants d’une mignonne petite racine proto-indo-européenne de rien du tout:

*(s)pen-!


Respect!





Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une excellente semaine, et…

A dimanche prochain!





Frédéric


Aucun commentaire: