- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 31 décembre 2017

La place Rouge était blanche, La neige faisait un tapis, Et je suivais par ce froid dimanche, Nathalie - Gilbert Bécaud






Moi, je n'sais pas si j'suis d'Grenelle,
De Monmartre ou de la Chapelle,
D'ici, d'ailleurs ou de là-bas
Mais j'sais ben qu'la foule accourue,
Un matin, m'a trouvé su' l'tas
Dans la rue.

Y a ben des chanc's pour que mon père
Il ay' jamais connu ma mère
Qu'jamais connu mon daron,
Mon daron qui doit l'avoir eue,
Un soir de noc', qu'il était rond,
Dans la rue.

J'm'ai jamais connu d'aut' famille
Que la p'tit' marmaill' qui fourmille,
Aussi quand ej' m'ai marida,
J'm'ai mis avec un' petit' grue
Qui truquait, le soir, à dada,
Dans la rue.

C'était un' petit' gonzess' blonde
Qu'avait la gueul' de la Joconde,
La fess' ronde et l'téton pointu
Et qu'était aussi bien foutue
Qu'les statu's qui montrent leur cul
Dans la rue.

C'est ça qu'c'était ben mon affaire !
Mais un beau soir a s'a fait faire :
Les mœurs l'ont fourrée au ballon
Et, depuis qu'alle est disparue,
J'sorgue à la paire et j'fais ballon
Dans la rue.

A présent, où qu'vous voulez qu' j'aille ?
Vous vouderiez-t-y que j'travaille ?
J'pourrais pas... j'ai jamais appris...
Va falloir que j'vole ou que j'tue...
Hardi ! Joyeux, pas vu... pas pris...
Dans la rue.

 Dans la rue, 

Aristide Bruant


Aristide Bruant, pour une fois sans son chapeau à la c. et sa
stupide écharpe rouge
















Bonjour à toutes et tous !

Avez-vous passé un bon Noël ? Je l'espère de tout coeur.



Aujourd'hui est un jour bien particulier.

Le dernier jour de l'année, le dernier d'un cycle.

Vous le savez, pour les anciens, le temps n'était pas linéaire, mais cyclique




Cette notion est fondamentale à la pensée traditionnelle, et nous éclaire sur la façon dont nos lointains ancêtres concevaient le monde, et la place qu'ils y occupaient.

Oh, on en a déjà parlé à plusieurs reprises, de ce temps cyclique, comme par exemple...
ici: au séminaire, du colza on n'en mange qu'une fois par an 
ou là: des colons en calèche, comme c'est bucolique..., 
ou bien encore ici: Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach? 
Oh, et puis ici aussi: et cetera, et cetera.

En poussant le bouchon un peu plus loin, on pourrait même dire que pour les lointaines tribus indo-européennes, le temps tel que nous l'entendons n'existait pas !

Car on ne retrouve aucune racine indo-européenne qui signifiait temps”.

En revanche, nous pouvons déceler cette notion de roue temporelle propre à la vision ancienne par son imprégnation sémantique..
Comme par exemple dans le russe pour tempsвремя (“vriémia”), lointain descendant de la racine indo-européenne *wer-3, “tourner”.



- Ah bon ? Weuah, mais c'est dingue, ça !

- Oh bonjour ! Vous allez bien ? Oui, c'est dingue, et vous le sauriez déjà si vous aviez pris le temps de lire Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach? dont je vous parlais plus haut...






Alors en cette fin de cycle, je repense, tel Janus dont une de ses deux faces regarde vers le passé, à toutes ces années de dimanche indo-européen, à tous ces dimanches, à toutes ces heures que j'y ai consacrées... 




(Janus, ou les deux Saint-Jean, janvier le mois de la porte, les solstices... Tout est ici:
du passage des ans
Moi, effrayé par un flibustier?? Allons allons...
des colons en calèche, comme c'est bucolique...)

Je commençais officiellement le blog il y a un peu plus de 6 ans, fin novembre 2011, avec un tout petit article, Mort, nectar et liquidation de dette.

Depuis, dimanche après dimanche, sans aucune exception, un article du dimanche indo-européen est sorti chaque semaine. 

En comptant celui que vous êtes en train de lire, j'aurai rédigé à ce jour 320 articles.

Le blog comptera 600.000 vues dans peu de temps, 273 lecteurs sont abonnés au blog (c'est ici que l'on s'abonne, je dis ça, je dis rien), et la page Facebook du blog (https://www.facebook.com/indoeuropeen/) compte 375 followers.


Bon, il y a le passé, le futur (je ne vais pas trop m'y aventurer), et le présent.

Ce maintenant, qui ne vaut que “pendant que l’on tient quelque chose dans la main”.
Allez, on relit répétez après moi: "je suis content, ici et maintenant, je suis content, ici et maintenant...".


Et là, aujourd'hui, maintenant, nous parlons de neige, de neiger, en étudiant la progéniture de la racine indo-européenne 
*sneigʷʰ-“neiger”.




Nous avons déjà vu que notre français neige en provenait, par le latin.



*sneigʷʰ-“neiger”
proto-italique *sneiwe/o-, “neiger”
latin ningit, ningere, “il neige”.
latin nix, nivis, “neige”
bas latin nivere , “neiger”
latin tardif *nĭvĭcare, fréquentatif de nivere
français neiger
neige



Et que le grec ancien νείφει, neíphei, “il neige” en descendait.



*sneigʷʰ-“neiger”
forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
grec ancien νείφει, neíphei, “il neige”
grec ancien νίφα, nipha, “neige qui tombe, ou en flocon”


Tout comme l'avestique snaēža-, “il neige”, ou le sanskrit स्नेहयति, snehayati.



*sneigʷʰ-“neiger”
forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
étymon indo-iranien *snaiǰ- , “neiger”

avestique snaēža-, “il neige”




Aujourd'hui, dimanche 31 décembre 2017, je vous propose de nous intéresser aux descendants balto-slaves de notre ravissante *sneigʷʰ-“neiger”.

Une lectrice du blog sur Facebook me l'écrivait récemment: à la lecture des articles précédents, elle venait de faire le lien entre le tchèque sníh (“neige”) et notre jolie petite racine.

Eh oui ! Le phénomène de s-mobile n'apparaît pas dans les étymons balto-slaves de notre racine. 
Et donc, c'est avec un beau s bien sonore que commence fièrement l'étymon balto-slave de *sneigʷʰ-, “neiger”, j'ai nommé...*snoigos-.
Vous l'aurez compris, c'est par une forme au timbre o (en l'occurrence *snoigʷʰ-o-), que *sneigʷʰ- est passée dans le balto-slave (non attesté) *snoigos-.


*snoigos-, nous la retrouverons dans le proto-balte *sniegas-, “neige”, d'où ...
  • le lituanien sniēgas, 
  • le letton (mais l'est-on VRAIMENT ?) snìegs, ou (soyons fous) 
  • le vieux prussien snaygis.
TOUS signifiant bien “neige”. 


Rives de la Baltique sous la neige


En proto-slave, cette fois, *snoigos- s'est dérivée dans l'étymon *sně̑gъ-, “neige”.

De là, le... le .... OUI, le vieux slavon d'église снѣгъ, sně̑gъ, qui, je ne vous le cache pas, signifiait “neige”.

Mais aussi, toujours dérivés de l'étymon proto-slave *sně̑gъ-, “neige”, et désignant toujours la neige...
  • le russe снег (snjeg)
  • l'ukrainien сніг (snih),
  • le bulgare сняг (snjag),
  • le slovène snẹ̑g,
  • le polonais śnieg, 
et aussi, le croiriez-vous, 
  • le tchèque ... sníh.

Alors bien sûr
(je vous connais si bien),
je ne vous priverai pas du plaisir de connaître les dérivés de *sně̑gъ- en haut-sorabe et bas-sorabe, respectivement sněh et sněg.



la Place Rouge sous la neige

Eh oui, Nathalie...


Résumons ?


*sneig
ʷʰ-
“neiger”
forme suffixée au timbre o *snoigʷʰ-o-“neige”
étymon proto-balto-slave *snoigos-“neige”

---

étymon proto-balto-slave *snoigos-“neige”

étymon proto-balte *sniegas-, “neige”

lituanien sniēgas, letton snìegs, vieux prussien snaygis, “neige”

---

étymon proto-balto-slave *snoigos-“neige”

étymon proto-slave *sně̑gъ-, “neige”

vieux slavon d'église снѣгъ, sně̑gъrusse снег (snjeg)tchèque sníh..., “neige”




Une petite remarque, encore...

Oui, notre vaillante indo-européenne *sneigʷʰ-“neiger” est passée dans les langues balto-slaves,
via une forme suffixée au timbre o *snoigʷʰ-o-“neige”,
pour donner l'étymon proto-balto-slave *snoigos-“neige”.

Je ne veux pas être méchant, mais c'est en gros ce que je viens de dire. 

Mais *sneigʷʰ- a trouvé aussi une autre voie pour ensemencer les langues balto-slaves. Ou plus exactement, les langues baltes...

Car, 
par son timbre zéro *snigʷʰ-“neiger”,
*sneigʷʰ- a également donné l'étymon proto-balte *snigti-, à la base du lituanien snìgti, ou du letton (mais l'est-on vraiment ?) snigt, “neiger”.


Autrement dit:

*sneig
ʷʰ-
“neiger”
forme au timbre zéro *snigʷʰ-“neiger”
étymon balte *snigti-“neiger”

lituanien snìgti et letton snigt, “neiger”.




Et puis... J'ai encore quelque chose à vous dire...
Appelons ça un petit cadeau de fin d'année ?


Sur l'étymon balte *sniegas-, “neige”, s'est construit un autre étymon, dérivé: *sniegė-

Et vous savez ce qu'il a donné, ce *sniegė- tout mimi ?

Le lituanien sniēgė, et le letton (mais ... l'est-on VRAIMENT?) sniēdze, désignant tous deux l'adorable bruant des neiges, ce passereau habitant la toundra, qui se reproduit dans le haut Arctique... 

Il supporte les températures très basses, et creuse dans la neige pour garder un peu de chaleur.


Maintenant, si vous n'aimez pas le bruant des neiges, vous pouvez toujours l'insulter, en l'appelant plectrophane des neiges, ou carrément plectrophenax nivalis. 

Ou mieux encore - et ça, ça le calmera -, en lui rappelant simplement qu'il est de l'ordre des Passériformes – famille des Calcariidés, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas très gentil, même si rigoureusement exact

Mais bon, c'est un passereau assez hautain et prétentieux, qui aime vous mépriser quand il vous voit grelotter sous la neige.

Sale bête.


bruant des neiges
(source)

dessin de Steinlein illustrant le recueil de chansons d'Aristide Bruant
Dans la rue (1889-1895)
(source)





*sneigʷʰ-“neiger”
forme suffixée au timbre o *snoigʷʰ-o-“neige”
étymon proto-balto-slave *snoigos-“neige”

étymon proto-balte *sniegas-, “neige”

étymon balte dérivé *sniegė-“bruant des neiges”

lituanien sniēgė et letton sniēdze, “bruant des neiges”





Bon, ben... voilà.

Ce sera le dernier article de l'année 2017.




Je tiens encore une fois à vous remercier de me lire, et de me le faire savoir.

Chères lectrices, chers lecteurs, je vous souhaite une belle année 2018, une année qui vous verra grandir, vous épanouir, qui vous donnera -  et vous permettra de donner - de l'amour.






Frédéric






******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
******************************************




Et pour nous quitter,

Cette chanson traditionnelle, mais reprise et modifiée par Robert Burns, que tout britannique dans l'âme chante à tue-tête aux douze coups de minuit de la St-Sylvestre, pour dire adieu à l'année qui n'est plus:

Auld Lang Syne



(je suis un de ces fêlés qui, quand il n'est pas là-bas pour le passage à l'an nouveau, regarde la BBC à 1h du matin (GMT oblige) pour assister au feu d'artifice à Londres ou à Edinburgh, et au Auld Lang Syne...)





******************************************
Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
******************************************

Aucun commentaire: