“On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Par contre, on peut attraper des aigreurs d’estomac.”
Philippe Geluck / Le chat
Philippe Geluck / Le chat
(source) |
Bonjour à toutes et tous !
Dimanche dernier
Oui, non ?
Mais si, oooh !
Nous savons également que ce vinaigre a supplanté une ancienne forme, aisil.
Avant de poursuivre, restons encore quelques instants sur ce pauvre aisil, désormais disparu...
Je vous l'avais dit, il provenait du latin acētum, pour vinaigre.
Si l'ancien français l'a misérablement rejeté, oublié, banni...
Eh bien, d'autres, peut-être moins difficiles, l'ont recueilli.
Et c'est tant mieux.
Alors, NON, aisil n'est pas passé, par l'anglo-normand, à l'anglais.
Mais
Il évoluera alors pour devenir le néerlandais... azijn, “vinaigre”.
Repris dans le vocabulaire courant néerlandais, il y continuera même sa petite vie bien tranquille, preuve étant les dérivés qu'il a lui-même engendrés par la suite, comme ...
Vraiment, c'est une bonne question, car on pourrait croire, de prime abord, que ce mot, comme l'italien aceto, le français acétique, ou évidemment l'ancien français aisil, est issu du latin acētum, “vinaigre”.
Eh bien, il n'en est RIEN !
En effet, selon deux de mes sources que je considère au-dessus de tout soupçon,
... l'espagnol aceituna est un emprunt à l'arabe andalou (dit aussi arabe hispanique, que l'on date du XIIIème au XVIIème) اَلزَّيْتُونَة, az-zaytūna,
Olive.
Oui, l'espagnol aceituna désigne l'olive.
Quant à l'espagnol aceite, il désigne ce liquide gras que l'on tire de l'olive, l'huile !
Aceite, emprunté à l'arabe أَلْزيت, āz-zeit (oui, “huile”).
De son cadre restreint d'huile d'olive, le mot s'emploie à présent pour désigner toutes les huiles, de quelque origine qu'elles soient.
Sachez enfin que la commune espagnole d'Aceituna, dans la province de Cáceres (communauté autonome d'Estrémadure),
tire bien son nom de l'arabe الزيتونة, az-Zaītūna ; Aceituna, “olive”, en tant que toponyme, désignant simplement un lieu où il y a des ... olives, entendez planté d'oliviers, une oliveraie, quoi...
Bon, c'est pas tout ça, revenons à notre aigre.
Je vous en rappelle l'étymologie, peut-être ?
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
(relisez donc du vin au vinaigre...),nous avions découvert que le français vinaigre était
en quelque sorte,
un assemblage de deux lointaines, lointaines, lointaines, racines indo-européennes,par l'ascendance respective des deux mots dont il est constitué,
*ueh1-i-, “tisser, tresser...” et *h₂eḱ-, “piquant, acéré”.
Oui, non ?
Mais si, oooh !
ancien français vin + ancien français aigre ⇒ univerbation ⇒ vinaigre
*ueh1-i-, “tisser, tresser...”
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forme *ueih1-(ō)n- ou *uih1-e/on-m- ou *uih1-n-, “vin, vigne”
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proto-italique *wīno-
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latin vīnum
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forme *ueih1-(ō)n- ou *uih1-e/on-m- ou *uih1-n-, “vin, vigne”
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proto-italique *wīno-
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latin vīnum
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ancien français et moyen français vin
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français vin
français vin
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
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forme *h₂eḱ-ro-, “acéré”
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proto-italique *akri-
⇓
latin ācer, ācris, “aigu, pointu...”
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changement de classe
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forme *h₂eḱ-ro-, “acéré”
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proto-italique *akri-
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latin ācer, ācris, “aigu, pointu...”
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changement de classe
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latin vulgaire *acrus
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ancien français aigre / egre
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moyen français et français aigre
Nous savons également que ce vinaigre a supplanté une ancienne forme, aisil.
Avant de poursuivre, restons encore quelques instants sur ce pauvre aisil, désormais disparu...
Je vous l'avais dit, il provenait du latin acētum, pour vinaigre.
Pour être un peu plus précis, acētum était le participe passé substantivé de aceō, acēre, “être acide...”, sur lequel se construirait le latin classique ācer, ācris.
Si l'ancien français l'a misérablement rejeté, oublié, banni...
Eh bien, d'autres, peut-être moins difficiles, l'ont recueilli.
Et c'est tant mieux.
Alors, NON, aisil n'est pas passé, par l'anglo-normand, à l'anglais.
Mais
- et ce sont Messieurs Koenen et Endepols qui nous l'apprennent, dans leur Verklarend Handwoordenboek der Nederlandse Taal -il a été emprunté
(oui, car l'acheter aurait coûté trop cher à ses locuteurs, peut-être ?)en moyen néerlandais, sous les formes aisine, aysijn, aysine.
Il évoluera alors pour devenir le néerlandais... azijn, “vinaigre”.
Repris dans le vocabulaire courant néerlandais, il y continuera même sa petite vie bien tranquille, preuve étant les dérivés qu'il a lui-même engendrés par la suite, comme ...
- azijnaal et son diminutif tout mimi azijnaaltje, désignant l'anguille au vinaigre
- non non, vous ne m'aurez pas à ce petit jeu. J'ai déjà lamentablement débordé en ironisant sur la prétendue avarice, supposée pingrerie, de nos amis Néerlandais ; je ne vais pas cette fois m'étendre sur l'absence totale de gastronomie dans leur très beau pays, même si - vraiment - plat. En plus, j'ai déjà remarquablement bien mangé à Amsterdam. Bon, une seule fois, et alors ? -,
- azijnpisser, superbe calque du français pisse-vinaigre, passé par le flamand,
le personnage de Scrooge, de Dickens: un vrai pisse-vinaigre |
ou encore
- et quelle belle revanche sur le méchant vinaigre -
- wijnazijn, “vinaigre de vin”.
Je réponds ici à une excellente question posée par un lecteur, en commentaire sur l'article de dimanche dernier:
quid de l'espagnol aceituna ?
En effet, selon deux de mes sources que je considère au-dessus de tout soupçon,
- le Diccionario de la lengua española (le dictionnaire de La Real Academia Española, on fait déjà moins le fier)
- A Comprehensive Etymological Dictionary of the Spanish Language with Families of Words based on Indo-European Roots, de Edward A. Roberts, ...
... l'espagnol aceituna est un emprunt à l'arabe andalou (dit aussi arabe hispanique, que l'on date du XIIIème au XVIIème) اَلزَّيْتُونَة, az-zaytūna,
lui-même dérivé de l'arabe classique zaytūnah,
Mais que veulent bien dire zaytā, puis zaytūnah, puis az-zaytūna, et enfin aceituna ?zaytūnah, repris de ... l'araméen zaytūnā, diminutif de zaytā.
Olive.
Oui, l'espagnol aceituna désigne l'olive.
Quant à l'espagnol aceite, il désigne ce liquide gras que l'on tire de l'olive, l'huile !
Aceite, emprunté à l'arabe أَلْزيت, āz-zeit (oui, “huile”).
De son cadre restreint d'huile d'olive, le mot s'emploie à présent pour désigner toutes les huiles, de quelque origine qu'elles soient.
Sachez enfin que la commune espagnole d'Aceituna, dans la province de Cáceres (communauté autonome d'Estrémadure),
Cáceres |
tire bien son nom de l'arabe الزيتونة, az-Zaītūna ; Aceituna, “olive”, en tant que toponyme, désignant simplement un lieu où il y a des ... olives, entendez planté d'oliviers, une oliveraie, quoi...
oliveraie en Estrémadure (source) |
“Vino, amigo y aceite, cuanto más antiguo, más ferviente”
(proverbe espagnol)
Bon, c'est pas tout ça, revenons à notre aigre.
Je vous en rappelle l'étymologie, peut-être ?
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
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proto-italique *akri-
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latin ācer, ācris, “aigu, pointu...”
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latin ācer, ācris, “aigu, pointu...”
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changement de classe
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latin vulgaire *acrus
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ancien français aigre / egre
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moyen français et français aigre
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latin vulgaire *acrus
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ancien français aigre / egre
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moyen français et français aigre
Avant de remonter à sa racine indo-européenne, et, à notre accoutumée, écumer les différents groupes linguistiques indo-européens pour y retrouver des cognats de notre charmant aigre,
j'aimerais clore ce dimanche par un mot anglais qui n'est qu'un emprunt à notre brave aigre
(emprunt, et donc pas un de ses cognats issus d'un étymon originel)...
Une idée de ce que peut être ce mot, mmmh ?
Allez, pour vous aider, je peux vous dire qu'il ressemble par la forme à notre aigre, mais que sa sémantique est totalement différente...
Ce mot se traduirait par “empressé”.
Ou “ardent, passionné, enthousiaste, impatient, avide de...”.
Oui ?
Eager !
L'anglais eager,
issu du moyen anglais egre, eger,
emprunté à l'ancien français egre, aigre.
- Mais ? Et comment pourraient s'expliquer ces sens si surprenants?
- Tout simplement parce que l'ancien français egre possédait ces sens à l'origine, voilà tout.
Il pouvait parfaitement signifier avide, ou féroce, ou passionné, ardent...
Si cela vous semble curieux, prenez la peine d'associer à aigre la notion de “mordant”: vous allez voir, tout se tient...
Ce n'est qu'après que aigre, au sens littéral, du moins, ne désignera plus que ce ...
qui est d'une acidité désagréable (ou anormale) au goût ou à l'odorat
Ô merci merci ©Le Grand Robert de la langue française
Chères lectrices, chers lecteurs,
Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.
Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !
À ... dimanche prochain ?
Frédéric
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Attention,
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
un peu de Bach...
Les prélude et fugue en fa mineur, BWV 857,
interprétés par Pieter Dirksen
(Netherlands Bach Society)
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