- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 13 octobre 2019

les reprises de chansons d'Adele dans le métro, ça peut donner des boutons





`But I don't want to go among mad people,' Alice remarked.
`Oh, you can't help that,' said the Cat: `we're all mad here. I'm mad. You're mad.'
`How do you know I'm mad?' said Alice.
`You must be,' said the Cat, `or you wouldn't have come here.'



("Mais je n'ai nulle envie d'aller chez les fous", fit remarquer Alice.
"Oh ! vous ne sauriez faire autrement, dit le Chat : Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle."
"Comment savez-vous que je suis folle ?" demanda Alice.
"Il faut croire que vous l'êtes, répondit le Chat ; sinon, vous ne seriez pas venue ici.")


Alice's Adventures in Wonderland
CHAPTER 6: Pig and Pepper 

Lewis Carroll


Charles Lutwidge Dodgson, dit Lewis Caroll,
27 janvier 1832 - 14 janvier 1898

















Bonjour à toutes et tous !



*heḱ-“piquant, acéré”.

ici, plutôt piquant


Au menu d'aujourd'hui, un mot que, personnellement, j'adore...

Ce mot que j'adore n'est pas français, non, mais bien anglais.

En fait, il n'a rien de particulier, ce brave mot, mais c'est le contexte dans lequel j'ai appris à le connaître qui fait qu'il me plaît, mais à un point ...! 

C'est un mot que vous devez TOUS connaître, si du moins vous avez eu la chance, le bonheur, de pouvoir regarder, comme moi, les vieux dessins animés de la Warner, en particulier ceux où interviennent
- création du tandem Chuck Jones / Michael Maltese, 
l'un à l'animation, l'autre au script -
Chuck Jones

Michael Maltese

Bip Bip et ce pauvre Coyote

Dans la version originale, Wile E. Coyote and the Road Runner.






Ouvrons ici une courte parenthèse...

Le savez-vous ?
Le second prénom du coyote, dont l'initiale était donc E, était... ... ... Ethelbert ! 

Ethelbert, comme dans, par exemple, Æthelberht de Kent, roi de, de, de ... Kent
- oui, bien, bravo ! -,
de 580 (ou 590) jusqu'à sa mort, en 616.




Le premier souverain anglo-saxon à se convertir au christianisme. Rien que ça.

Il a d'ailleurs été canonisé


mais non, oh !!

ce qui est vraiment la moindre des choses ; franchement, 'manquerait plus qu'ça.








C'était déjà très bien, de la part de ces deux grands malades qu'étaient Jones et Maltese, d'affubler ce pauvre et pitoyable coyote d'un second prénom aussi anachronique et prestigieux !

Mais il y a encore mieux ... Ethelbert signifie en réalité “noble brillant” !

En effet, le vieil anglais Æþel-beorht se composait d'une part...
  • de l'adjectif æðele, “noble”,
issu de l'adjectif germanique *aþulja-, “noble”,
construit, lui, sur l'étymon germanique *aþala-, auquel on attribue le sens de “nature”. 
Entendez-y essence, nature des choses, certains de ses dérivés se traduisant au sens littéral par moelle des arbres, essence”, et d'autres en venant à désigner “(ce qui est propre à une essence particulière :) race, noblesse...”, 
issu d'une racine indo-européenne “née sur le tard”, car propre (et unique) au domaine germanique, *h2/3et-olo-,
et de l'autre...
  • de beorht“brillant”, qui donnera l'anglais bright, “vif, brillant, radieux, éclatant, intelligent...”,


issu, lui, du germanique *berhta-, “brillant”,
lui-même descendant d'une forme indo-européenne de sens identique, *bʰerh1ǵ-to-.  
Ouf.

Tant qu'à parler de prénoms, notez encore que ...
  • c'est toujours du germanique *aþala- que l'on fait descendre ...
  • les prénoms féminins Ethel et Adèle, littéralement “noble”, ainsi que 
  • le mimi diminutif d'Adèle, Adeline, ou même encore 
  • le prénom Aline (lui-même contraction d'Adeline), et enfin ... 
  • Alice“de noble caractère”, le joli Alice provenant du vieux haut-allemand Adalheidis, où l'on peut retrouver, adossé à *aþala-, le germanique *haiduz-, qui signifierait “caractère”,

Aaaaargh, n'en jetez plus !

et que ...
  • Ethelbert, francisé, a donné... Adalbert, mieux connu à présent sous sa forme courte... Albert.
Saint Adalbert de Prague
(en polonais Wojciech, en tchèque Vojtěch),
955 - 997, le sympathique patron des
petits gros poilus qui aiment porter des robes.

On raconte qu'il eut en rêve la révélation d'être
un nain de jardin, et depuis, il est aussi le saint patron
des brouettes.



Et je ferme ici la parenthèse.


Mais hormis l'énormité d'un second prénom aussi prestigieux, aussi majestueux pour un si vil et pitoyable coyote, il existe une autre raison à ce second prénom... 

Mais oui !

Son initiale, justement. 
Car Wile E. se prononce comme le péjoratif wily“rusé, malin”.

C'est là, d'ailleurs, que vous pouvez admirer l'art des traducteurs qui ont fait de Wile E. Coyote... Vil Coyote, en rendant ainsi, de l'original - brillamment -, et la forme, et le sens.


Mais ne nous égarons pas - enfin, moi, surtout...




Si je vous parle de Wile E. Coyote and the Road Runner, 
de Bip Bip et Vil Coyote,
c'est qu'un SUPERBE dérivé de notre formidable racine indo-européenne *heḱ-“piquant, acéré”, s'y retrouve, et qui plus est, abondamment...


Une idée ?


Si vraiment vous ne trouvez pas, c'est que vous n'avez jamais vraiment bien regardé ces purs chefs-d'oeuvre d'humour absurde et de répétition...



Vous l'avez, ce mot ?

ACME.

ACME, de Acme Corporation.

Mais oui, oh !
Cette entreprise de vente par correspondance, parfaitement fictive, où se fournit invariablement le coyote en accessoires les plus douteux, les plus invraisemblables qui puissent exister, et surtout les plus ... foireux.




Immanquablement, ils lui exploseront à la tronche,
immanquablement, il en sera précipité au fond du ravin,
immanquablement, ils se retourneront contre lui, et il finira par être enseveli sous un gigantesque bloc de pierre ...








Quant aux résultats des manoeuvres du coyote ...







L'anglais acme n'est qu'un calque du grec ancien ... ἀκμή, akmḗ, “pointe, point culminant, sommet, zénith”.

Et ἀκμή, akmḗ est simplement un dérivé en -μή du radical grec ἀκ-, “pointu”
- radical ἀκ- dont nous n'avons pas fini de parler..., je dis ça... -
issu,
bien évidemment,
de notre imperturbable *heḱ-“piquant, acéré”.





Mais
- question suivante -
comment se fait-il que l'on retrouve ce singulier acme dans tous ces dessins animés ?

Eh bien, c'est Chuck Jones lui-même qui nous donne la réponse, dans une interview qu'il donna en 2009...

Dans les années 1920, aux Etats-Unis, beaucoup de sociétés se dotaient d'un nom en “Acme” (Acme Cosmetics, Acme Drugs...), d'abord pour le sens du mot,
évidemment,
qui évoquait le sommet de la qualité,

mais aussi parce qu'à l'époque, posséder un nom de société en AC- vous garantissait d'être dans les toutes premières entrées des annuaires téléphoniques...








Et Chuck Jones se souvient... 
Quand il était gamin, qu'il jouait avec les gosses de son âge, et qu'il leur fallait imaginer un magasin universel où ils pouvaient se procurer absolument tout ce dont ils avaient besoin dans leur monde imaginaire - d'une baguette de chef d'orchestre à une épée -, ils l'appelaient, invariablement, ... ACME Corporation.

Il ne l'oubliera pas au moment de l'écriture de ces petits bijoux animés...



Ah ça, l'ACME de Chuck Jones a marqué les mémoires...
Aaaaah, l'ACME... 

Lakmé de Delibes, le duo des fleurs.

Oui, je sais, c'est facile.

Duo des fleurs interprété ici,
pour notre plus grand plaisir, mmmh
par Sabine Devieilhe et Marianne Crebassa...




Savez-vous que dans un des couloirs du célèbre M.I.T.,
le Massachusetts Institute of Technology,
figure une fresque murale représentant un de ces fameux tunnels instantanés de ACME Corporation faits d'une peinture très spéciale ...,




et reprenant, en son centre, la silhouette du pauvre Wile E. qui,
forcément,
s'y encastre la-men-ta-ble-ment.








(Pour rappel:)





















- Mais ... 

Eh , oh !, acmé est aussi un mot français, enfin !!










- Ah boooooon ??





Oui, je sais....
[gros soupir]
Mais moi, gamin, ce sont les 

Looney Tunes




qui me l'ont fait connaître, et forcément, dans sa version anglaise.



Mais vous avez raison ! Nous aussi, avons emprunté notre français acmé au grec ἀκμή, akmḗ
- jusque là ... -,
mais spécialement dans le vocabulaire médical, vers le milieu du XVIIIème, dans le sens de “point critique (d'une maladie)”.

Ce n'est que fin des années 1920 que son sens se généralisera, pour signifier “point culminant, extrême”.



et voici, avec ses infranchissables 322,4 m,
le point culminant des Pays-Bas,
Vaalserberg (en néerlandais, « mont de Vaals »).

Ce n'est pas bien de se moquer.
D'autant que rares sont ceux qui en atteignent le sommet,
souvent au prix de longues et pénibles années d'intense préparation,
et d'un véritable dépassement de soi.

Il faut surtout bien lever les pieds, sinon on trébuche dessus.



Et si on faisait le ... point ?



*heḱ-“piquant, acéré”
radical grec ancien ἀκ-, “pointu”

grec ancien ἀκμή, akmḗ, “pointe, point culminant, sommet, zénith”

emprunt (calque)

anglais acme“point culminant”, français acmé




Ah, et encore une dernière chose, avant de nous quitter...

Tant qu'à parler d'emprunts et de médecine...

Il est possible (mais pas certain, du tout, du tout) que acné
- oui oui, je parle bien du nom de cette
affection de la peau (dermatose) due à des lésions inflammatoires des follicules pilosébacés ; 
oh mais que ferais-je sans toi, ô toi ©Le Grand Robert de la langue française -
ne soit qu'une grossière erreur de copiste,

le grec akmé,
lamentablement retranscrit avec un n à la place du m,
étant à comprendre ici dans le sens d'éruption, d'efflorescence... 






Mais sachez-le, rien n'est sûr quant à l'étymologie de acné

On pense encore, toujours dans l'idée d'une erreur de copie, que acmé, qui a aussi désigné l'adolescence en tant que telle
(comme le summum de la c.nnerie, le suprême degré de la glandite aiguë, le paroxysme du je-m’en-foutisme, le pinacle du déferlement hormonal débordant et malvenu, le nec plus ultra du comportement d'une tête à claques ?),
aurait pu, par simple métonymie, désigner cette éruption cutanée si typique des nouvellement pubères, rendus boutonneux et si insupportablement c.ns par leurs propres hormones.

Ou alors, rien à voir
- mais ce serait bien dommage -,
acné ne serait qu'un banal dérivé du grec a-knêsis, knêsis désignant la démangeaison. 

Aknêsmos désignerait alors quelque chose, comme une affection cutanée ... 

... sans
(c'est un peu l'idée de l'alpha privatif, hein, mais je ne voudrais pas me montrer pédant) ...
... démangeaison.






Allez, là-dessus, je vous laisse.

À vous toutes, à vous tous, 
je vous souhaite un excellent dimanche, une très bonne semaine, 

portez-vous bien !











Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Adele,

bien sûr !

Dans une brillante version live de

Skyfall


Et comme le dit - ou le chante - si bien Adele, 



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