- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 20 octobre 2019

peut-on considérer "BACH" comme un acrostiche de si bémol-la-do-si bécarre?








François de Montcorbier dit Villon
1431 - après 1463
Vous portastes, Vierge, digne princesse,
Jesus regnant, qui n’a ne fin ne cesse.
Le Tout-Puissant, prenant nostre foiblesse,
Laissa les cieulx et nous vint secourir ;
Offrist à mort sa très clère jeunesse ;
Nostre Seigneur tel est, tel le confesse.
En ceste foy je vueil vivre et mourir.


(Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Iésus régnant qui n’a ni fin ni cesse.
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieux et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très chère jeunesse ;
Notre Seigneur tel est, tel le confesse :
En cette foi je veux vivre et mourir.)

Ballade pour prier Notre Dame,
Le Grand Testament, 

François Villon





Bonjour à toutes et tous !



*heḱ-“piquant, acéré”.

... et l'orthographe qui va avec



Dites voir, les amis, êtes-vous bien conscients de la liste invraisemblable de dérivés en tous genres que cette charmante et plus que méritante petite racine indo-européenne nous a légués ?


Car rien que jusqu'à présent - ce n'est pas fini ! -, nous lui avons trouvé...
- et je ne serai pas exhaustif, loin s'en faut -

1. (du vin au vinaigre..., 14 juillet 2019)
  • le radical latin acu-, “acéré”,
d'où le latin acūtus, “aiguiséde ăcŭs, “aiguille”, 
d'où les français aigu et aiguille et l'anglais acute“aigu, grave”,
  • le latin ācer, ācris“aigu, pointu...”, 
d'où les latins 
acerbus“amer, âcre, sévère, austère, âpre, acerbe, et 
acrimonia, “âcreté, acrimonie”, acetum, “vinaigre”,


2. (On ne prend pas les mouches avec du vinaigre, 21 juillet 2019)
  • l'anglais eager, “empressé...”,
  • le néerlandais azijn“vinaigre”,


3. (“Le propre de la médiocrité est de se croire supérieur.” - La Rochefoucauld, 28 juillet 2019)
  • le latin dialectal ocris, “montagne escarpée”,
d'où le latin medi-ocris, d'où le français médiocre,
  • le moyen irlandais ochair“arête”,
  • le sanskrit अश्रि, azri“arête”,
  • le grec ancien ὄκρις, ókrispointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”,


  • le grec ancien ἄκρος, ákros, “pointu, aiguiséà la pointe”, d'où “à la limiteextrême ...
  • le lituanien aštrùs et le letton (mais l'est-on VRAIMENT ?) ass, “coupant”,
  • le russe о́стрый, +/- “óstreuil”“pointu, acéré, fin, critique, piquant...”,
  • le serbo-croate öštar, acéré...”,


  • le lituanien akstìs, “épine, piqûre...”,
  • le russe ость, ost', en botanique “arête, barbe”,
  • le tchakavien ȍsti, “harpon”,
  • le lituanien ākstinas, “bâton pointu pour diriger le bétail”,
  • le tchèque osten“pointe, penne...”,


6. (Comme un coursier indompté hérisse ses crins..., 18 août 2019)
  • le  lituanien āšutascrin de cheval”,
  • le russe осот, osót, chardon”,


  • le same du Nord ávju, tranchant d’une lame, fil” (emprunt),
  • l'anglais edge“bord, arête, marge, tranchant, orée, arête...”,
  • l'allemand Ecke,


8. (Deux moineaux sur le même épi ne sont pas longtemps unis. - Miguel de Cervantes, 1er septembre 2019)
  • l'allemand Ähre, “épi”,
  • l'anglais ear, “épi”,


9. (the mote in thy brother's eye, 8 septembre 2019)
  • le grec ancien ἄκων, akon, “javelot, fléchette”,
  • le latin agna, “épi de blé”,
  • l'anglais awns“arêtes, barbes”,
  • l'allemand Ahne“fibre du chanvre ou du lin”,


10. (et la loi de Verner, t'as lu ?, 15 septembre 2019)
  • le vieil irlandais ér, élevé, noble, grand”,
  • le gaulois axro- dans le composé Axrotalus, “(qui possède un) front haut”,


  • le grec ancien Τρινακρία, Trinakríalitt. trois pointesdésignant la Sicile,


12. (question épineuse, 29 septembre 2019)
  • les français églantier et églantine,


  • les français acéré et acier,


  • le grec ancien ἀκμή, akmḗ, “pointe, point culminant, sommet, zénith”,
d'où (emprunts) l'anglais acme et le français acmé, et peut-être aussi le français acné.



Ouuuuuuuuuuuuuuf.




Et maintenant que tout ça a été remis en perspective


(source)
- que vous concevez clairement que tous ces mots sont cousins, qu'ils proviennent TOUS d'une seule lointaine racine indo-européenne -,
en ce quinzième (!!) article consacré à la délicieuse racine indo-européenne *heḱ-“piquant, acéré”,

je vous propose de revenir en arrière...

... et de creuser un filon que j'avais nonchalamment ouvert, sans pour autant le visiter, le 4 août 2019.

En effet, dans l'article en question, je m'étais contenté de citer,
sans plus,
au nombre des dérivés de notre adorable *heḱ-, le grec ancien ... 


ἄκρος, ákros,

“pointu, aiguiséà la pointe”, d'où “à la limiteextrême ...


Et la semaine dernière, ne voilà-t-il pas que je vous parle du grec ancien ἀκμή, akmḗ, dérivé en -μή du radical grec ἀκ-, “pointu”...

Ah ben  ça !

Que voilà l'occasion parfaite de repartir de ce fameux radical grec ἀκ-, “pointu” pour
- enfin - 
nous intéresser de plus près à ce fameux ἄκρος, ákros, “pointu, aiguiséà la pointe”, d'où “à la limiteextrême”, à peine effleuré en ce 4 août 2019.


Car, bon, il va bien falloir que l'on se l'avoue...

C'est pas rien, évidemment, mais voilà, oui, on va devoir en parler...

Les anciens Grecs, pour désigner un village fortifié,  une citadelle construite sur une élévation de terrain
- souvent d'ailleurs un mont escarpé -,
utilisaient un terme qui pourrait se traduire par “la ville la plus haute, la cité la plus élevée”...  

Ce composé, c'était ... κρό- (il s'agit bien de ἄκρος, ákros) -πολις, -polis, ἀκρόπολις, akropolis, que nous avons francisé en ... acropole.


(photo trouvée ici)


Akropolis ! 

Eh !  Notez donc qu'il s'agissait d'un nom commun ; on parlait bien d'un acropole, le noyau, le centre sacré autour duquel une ville se développerait, s'étendrait bientôt. 


l'Acropole et Athènes

Même si, ben oui, le plus célèbre d'entre eux était, et est toujours l'Acropole, ZE Acropole, celui d'Athènes.



Non mais, ... vous vous rendez compte ??

Ce formidable lien qui existe entre acropole et le néerlandais azijn, les français acieréglantier ou médiocre, l'anglais eager, le prénom gaulois Axro-talus, le russe осот, osót, chardon” ???

C'est dingue, non ?





Oui oui, vous pouvez remercier l'indo-européen.


Tiens, au sujet de la façon dont les anciens créaient une ville, je vous convie à relire A un carrefour, contrecarrer un escadron!? Mais quelle carrure!, article de juillet 2013, où je mentionnais la façon traditionnelle dont les Romains créaient leurs villes, vraisemblablement inspirée des Étrusques.

Comme avec un acropole, il fallait avant tout déterminer le centre sacré de ce qui deviendrait la ville...

La tradition s'est perpétuée encore lontemps. 


Même si, à présent, on ne sait même plus qu'un quartier était l'une des quatre parties d'une ville romaine...









- Quoi !? Mais ça alors !








- Hého, quand je mets un hyper lien dans le texte, c'est pour cliquer dessus, hein...

Ainsi, le centre sacré de Bruxelles, son berceau historique, est un ancien îlot de la Senne au centre de la ville, non pas l'îlot sacré, mais bien l’îlot Saint-Géry.

C'est là précisément que le gnomon du fondateur de ce qui deviendrait Bruxelles fut planté...
(Brussell, hein, pas bruKSellaaanh ; merci de penser à nos oreilles non parisiennes)
C'est d'ailleurs à l'endroit très précis où le gnomon cérémoniel fut planté en terre que s'érigera l'autel de la chapelle Saint-Géry, qu'on agrandirait plus tard pour en faire l'église Saint-Géry, hélas aujourd'hui détruite.


l'église Saint-Géry, démolie au début du XIXème


Et donc, le acro- de acropole est toujours un beau dérivé de notre *heḱ-“piquant, acéré”.




*heḱ-“piquant, acéré”
radical grec ancien ἀκ-, “pointu”
grec ancien ἄκρος, ákros, “élevé, extrême”


grec ancien ἄκρος, ákros, “élevé, extrême” -πολις, polis, “cité” ⇒ ἀκρόπολις, acropolis“la ville la plus haute, la cité la plus élevée”...
emprunt et francisation
acropole




Pour terminer, passons donc en revue, voulez-vous, quelques-uns de ces mots français en acro-
- acro-, “élevé, extrême”,
emprunts savants au grec ancien...


Comme, voyons, voyons ...

  • acrocéphale
qui a le crâne en pointe,


  • acronyme,
sigle prononcé comme un mot ordinaire (“radar”...), -onyme pour nom, et acro- ici dans le sens d'extrémité, voire, par extension, de début.


  • acrostiche,
emprunt au grec ancien ἀκροστιχίς, akrostikhís, composé  acro- a toujours valeur d'“extrêmeet στίχος, stikhos“rang, ligne, vers”, de ... vers,
l'acrostiche désignant un poème dont les lettres à l'extrémité des vers, lues verticalement, forment un mot ou une expression,
ce qui est précisément le cas dans la Ballade pour prier Notre Dame, tirée du Grand Testament, de François Villon, que Villon marque de son nom, comme Bach le fera dans ses testaments musicaux, où l'on retrouvera son empreinte, si bémol - la - do - si (bécarre), en notation musicale germanique, ... B-A-C-H... 



et enfin...

  • acrobate
emprunt savant (1751) au grec grec tardif ἀκροβάτης, akrobátês, où βαίνω, baínô signifie “marcher”, et ἄκρος, ákros désigne non pas un point élevé, non, mais la pointe, l'extrémité !, ἀκροβάτης, akrobátês, se traduisant littéralement par qui marche sur la pointe ... des pieds, tel le danseur de corde...




Miss Bird Millman (1890-1940)
(source)




À toutes et tous, un beau dimanche, une belle semaine !



Frédéric


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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

le surhumain Ricercare a 6,
de
l'Offrande musicale, BWV 1079,
marqué de la signature musicale de Bach,

à l'origine, improvisation à six voix.



Le mot ricercare, rechercher en italien, désignant une forme archaïque de la fugue,
se retrouve, en acrostiche, orthographié « RICERCAR »
sur la page de garde du manuscrit autographe de
l’Offrande musicale (1747) :

« Regis Iussu Cantio Et Reliqua Canonica Arte Resoluta »

(« À la Demande du Roi, le Chant et le Reste Résolus selon l'Art Canonique »).


Ci-dessous, une animation qui permet de suivre visuellement les six voix du morceau.

Je vous le dis: improviser à six voix, ce n'est pas humain.
Mais Bach n'était vraisemblablement pas de ce monde.


La musique de Bach est à la musique ce que l'acropole était aux cités grecques

Frédéric Blondieau



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