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dimanche 23 août 2020

Sigor eft áhwearf of norþmonna níðgeteóne, æsctír wera

 

article précédent : Hyder i siarad Cymraeg gyda ffrindiau



"Sigor eft áhwearf of norþmonna níðgeteóne, æsctír wera." 

litt. : (la) Victoire après le fait de repousser l'attaque vicieuse des hommes du nord, la  [gloire/renommée à la bataille] des hommes.

Proposition de traduction :
La victoire après avoir repoussé l'attaque vicieuse des hommes du nord, la renommée gagnée dans la bataille par les hommes d'armes.



Caedmon's Metrical Paraphrase of Parts of the Holy Scriptures in Anglo-Saxon; with an English Translation, Notes, and a Verbal Index, 1832

Benjamin Thorpe,
1782 – 19 juillet 1870,
érudit anglais et spécialiste de la littérature anglo-saxonne








Bonjour à toutes et tous !


Nous sommes le dimanche 23 août, et nous poursuivons notre grand tour des dérivés de la troublante racine indo-européenne...


*seǵʰ-e-, “dominer, posséder...”.






Le point ?




De ses dérivés, nous connaissons déjà...

emprunté au latin schŏla, lui même emprunté au grec ancien σχολή, skholê, “repos, loisir,
  • école
 
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racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...

grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
nom verbal σχολή, skholê, “repos, loisir” puis “activité intellectuelle faite à loisir
glissement de sens
en grec hellénistique, “étude, école philosophique
emprunt
latin classique schŏla, lieu où l'on enseigne
emprunt
ancien français escole, lieu où l'on enseigne
français école

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toujours passés par le grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
  • schéma et Hector
 
**********

grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
ἕκτωρ, héktōrqui tient bon, qui tient ferme” ,
skhêma, “attitude, forme, apparence...”

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passé cette fois par le proto-celtique *sego-“victoire, force”,
  • Segovia (Ségovie)


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racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...

proto-celtique 
*sego-“victoire, force
celtibère Segouia“La (Très) Forte
espagnol SegoviaSégovie

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toujours par le proto-celtique *sego-“victoire, force”, des composés, noms de lieux ou de personnes, qui nous donneront notamment
  • Segorbe, Seveux, Suin...
et
  • les gallois  hy et hyder, le gaulois Segestica, d'où le grec Σεγεστική Segestikḗ



Aujourd'hui, nous passons à l'étude des dérivés germaniques de cette petite racine...

Nous serons aidés dans cette tâche par Guus Kroonen et son Etymological Dictionary of Proto-Germanic, l'un des précieux volumes du Leiden Indo-European Etymological Dictionary.





Sachez qu'on retrouve en proto-germanique, issu de sa forme neutre de radical en s-,

*seǵʰ-es-, “victoire”,

l'étymon (reconstruit, évidemment) *segiz-“victoire”.


Disons-le tout net, de ce substantif - neutre, lui aussi - *segiz-“victoire”, l'on fait dériver une flopée de dérivés...


Commençons par le gotique 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃, sigis, que l'on traduit simplement par... victoire.

Victoire des Gothiques
(source)


Nous retrouverons ce 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃  dans un composé, qui nous permet de mettre en relief la psyché si particulière de ces vaillants guerriers : 

𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃𐌻𐌰𐌿𐌽, sigislaun,
- où 𐌻𐌰𐌿𐌽, laun désigne la récompense -,

qui se traduit donc littéralement par récompense de la victoire, 

et désigne précisément la prise (la prise de guerre, ce qui a été pris à l'ennemi), le butin.





Vous pensez bien qu'un mot qui évoque la victoire devait faire partie du vocabulaire vieux norois !



Ben oui, avec le vieux norois sigr“victoire”, tout simplement.

Ces braves gens parlaient encore de la sigrún, la rune de la victoire, une rune particulière, dotée d'un pouvoir magique et supposée
- vous l'aurez deviné -
assurer la... victoire.

Si vous voulez en savoir un peu plus sur les runes, j'en ai parlé dans plusieurs articles, dont notamment Un Anglais roulant en Jeep Wrangler (et non en Land-Rover) ? Wrong. Simplement wrong., du 28 juin 2015, et 


C'est aussi de sigrún que découle le prénom féminin Sigrún, porté par cette Valkyrie (dont je vous laisse deviner le prénom) au destin tragique, et qui mourra de chagrin après la mort de son aimé, Helgi... On pourrait même parler de Valkypleure...
(Pour tous détails, je vous renvoie à ce recueil de poèmes en vieux norois, ce sommet de la mythologique nordique qu'est l'Edda poétique.)
Sigrún et Helgi
(source)




Rien de très surprenant ni de très particulier pour ce qui suit...

Du vieux norois sigrdérivent (toujours au sens de “victoire”)...
  • l'islandais sigur,
  • les norvégiens Bokmål seier et Nynorsk siger,
  • le vieux suédois sigher, d'où le suédois seger,
  • le danois sejr,
ou encore
  • le féroïen sigur“victoire”, mais parfois dans un sens plus restreint“victoire lors du dépeçage de mammifères marins(oui, ce qui correspond à cet intense moment où le sang chaud bouillonne encore, plein de vie, alors que le couteau vient d'être retiré de l'animal éventré)
(Vous ne pouvez vraiment savourer la phrase précédente que si vous avez lu et dans le bassin du Tarim, on massacre aussi les bébés-phoques ?)



Gotique, vieux norois et dérivés... 

Bon début, certes, mais on n'en a pas fini...


Notre étymon germanique *segiz-“victoire se retrouve encore...
  • dans le vieil anglais sigor (parfois repris sous la forme variante siġer), toujours au sens de victoire, triomphe, succès...,
qui donnera le moyen anglais siȝe, sige,
 
qui lui-même ne donnera strictement rien en anglais, évincé qu'il fut par le cruel victory, emprunté à l'ancien français et anglo-normand victorie, variante de victoire.


HMS Victory
 


et...
  • dans le vieux saxon (mais ouiiii, je sais, ça faisait longtemps !) sigi, dont descendra
le moyen bas allemand sēge (toujours “victoire, triomphe),

et à sa suite le bas allemand Sieg“victoire”. 



**********

racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...
neutre de radical en s- *seǵʰ-es-, “victoire
proto-germanique *segiz-“victoire
gotique 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃, sigis“victoire”,
vieux norois sigr, “victoire(et dérivés),
vieil anglais sigor, “victoire, triomphe, succès

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Tiens
-petit détail, mais qui permettra peut-être d'éclaircir certaines choses -,
sachez que “bas”,
comme dans bas allemand,
en philologie germanique, définit une zone géographique, fondée sur l'altitude (!), et pas un état de langue (comme dans bas latin).

“Basdoit s'entendre comme “proche du niveau de la mer; le bas allemand, donc, en l'occurence, est constitué des dialectes germaniques du nord de l'Allemagne et de l'est des Pays-Bas.


bas allemand


Dans la même logique, le haut allemand signe quant à lui les dialectes méridionaux (tout est relatif), parlés dans les montagnes. Notez qu'on y inclut aussi les dialectes du moyen allemand, essentiellement parlés au centre de l'Allemagne et au Luxembourg.

moyen allemand


haut allemand




Nous laisserons là notre tour des dérivés germaniques de notre indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...”, pour le poursuivre la semaine prochaine.

Et OUI, je sais qu'il y a plein de ces dérivés qui vous brûlent les lèvres ; patience...


Mais... pour vous faire patienter, je vous offre en friandise un composé vieux saxon créé sur sigi, 

sigidrohtin,

drohtin est littéralement le seigneur


Vous pouvez donc, sans hésitation aucune, traduire sigidrohtin par “seigneur de la victoire”.

Bon, on ne va pas en faire un plat...


Ce qui est amusant, en revanche, c'est que ce terme est repris dans les paraphrases saxonnes de la Bible, comme épithète à... Jésus-Christ.


Et là,
tout comme l'étymologie de sigislaun vous permet encore de percevoir un peu de l'ineffable subtilité des guerriers germaniques,
avec ce sigidrohtin, vous revivez comme si vous y étiez la conversion des tribus germaniques au christianisme, et vous vous dites que c'était une sacrément bonne idée, de la part des missionnaires, de leur vendre le Christ comme le “seigneur de la victoire”.

Ça leur parlait, à ces vaillants guerriers germaniques.

Appelez ça du syncrétisme, ou alors de la psychologie appliquée, du populisme, de la stratégie ou du pragmatisme...

Moi, j'appelle ça un coup tordu. Une veule tromperie.
Jamais je n'achèterais une voiture d'occasion à un de ces missionnaires...

Et je me dis que, peut-être, la Réforme protestante, essentiellement germanique, n'est finalement qu'un tardif retour de balancier après cette invraisemblable arnaque de la curie romaine.




Passez un excellent dimanche, et une très belle semaine.
Portez-vous bien, 



Frédéric, en vacances




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ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter...

Les Canadiens de Tafelmusik, l'un de mes ensembles préférés, 

nous interprètent une version confinée de “Jesus bleibet meine Freude”, très vive, très chaleureuse, comme à leur habitude.


Oui, il m'a semblé que ce retour de manivelle historique avec lequel je terminais l'article appelait irrésistiblement à du Bach.




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