- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 4 juillet 2021

Heyr himna smiður

    



Heyr himna smiðr
hvers skáldit biðr;
komi mjúk til mín
miskunnin þín.
Því heitk á þik
þú hefr skaptan mik;
ek em þrællinn þinn,
þú est dróttinn minn.

Goð, heitk á þik
at græðir mik;
minzk mildingr mín,
mest þurfum þín;
ryð þú rǫðla gramr,
ríklyndr ok framr,
hǫlds hverri sorg
ór hjarta borg.

Gæt, mildingr, mín
mest þurfum þín
helzt hverja stund
á hǫlða grund;
sett, meyjar mǫgr,
málsefni fǫgr,
ǫll es hjǫ́lp af þér
í hjarta mér.

(Entends, artisan des cieux,
la prière du poète.
Que ta grâce vienne
doucement sur nous.
Je t'implore donc,
parce que tu m'as créé.
Je suis ton esclave,
tu es mon Seigneur.

Seigneur, je t'implore
pour que tu me soignes.
Souviens-toi de moi, toi le miséricordieux,
nous avons grand besoin de toi.
Chasse, ô grand et généreux
roi des soleils,
tous les soucis des hommes
de la citadelle de leur cœur.

Veille sur moi, toi le miséricordieux,
nous avons grand besoin de toi
en vérité, à chaque instant,
dans le monde des hommes.
Toi qui es né de la Vierge, envoie-nous
ce qui est bon pour nous,
tout secours vient de toi,
dans mon cœur.)


Prière (en islandais du XIIème) que le puissant chef de clan islandais Kolbeinn Tumason (1173–1208) aurait rédigée (dictée, prononcée ?) sur son lit de mort.
 

l'Islande...
(source)




Bonjour à toutes et tous.


Sans trop risquer de se tromper, on peut supposer que si une racine indo-européenne se retrouve dans de nombreux groupes linguistiques, c'est que la sémantique qu'elle porte en elle à l'origine peut être d'application hors de son contexte de départ, le petit monde de la steppe pontique, là où l'on place généralement le berceau du proto-indo-européen (hypothèse kourgane).

(source - site non sécurisé)



A contrario, une racine qui ferait référence à quelque chose qui n'aurait pas de sens ailleurs que dans le monde des steppes aurait peu de chances de survivre via ses dérivés, là où se situe cet ailleurs.

Imaginez donc une racine qui évoquerait la chaleur de la mer ; il y aurait gros à parier que les langues celtiques et germaniques l'aient rapidement oubliée...




La racine que je vous propose en ce dimanche pourrait être, par sa sémantique, parfaitement utilisable dans TOUTES les langues indo-européennes ; sa dimension est même, osons-le, universelle

Et si elle ne se rencontre pas dans toutes les langues indo-européennes, sachez que c'est essentiellement parce qu'elle fut remplacée, à un moment ou un autre, par des euphémismes.

Mais oui, OH ! Nous avons déjà parlé de ce phénomène, par lequel des locutions, des périphrases, s'emploient en lieu et place du mot original, par tabou, par peur... 
Je vous suggère vraiment de lire ou relire Björn et Ursula, même combat, article daté du 29 juillet 2012, où nous parlions de l'ours... Si les choses ne sont pas encore claires, je vous garantis qu'elles le seront à la lecture dudit article.


La racine de ce dimanche (et des semaines qui viennent) ? C'est vrai qu'elle peut faire peur.


*mer-mort”.





Figurez-vous que j'en avais déjà parlé, et dans le tout premier article de ce blog, en plus, publié le 27 novembre 2011 : Mort, nectar et liquidation de dette

- Commencer un premier article en traitant de la mort, n'est-ce pas un peu curieux, voire carrément malsain, Blondieau ?
  
- Bof... peut-être. Ma conviction personnelle est que la vie et la mort sont étroitement liées, que la vie procède de la mort. Oui, dans ce sens-là. Mais bon, on n'va pas r'faire ici le monde, accoudés au bar du Café du Commerce, hein.


 

Tiens, le Café du Commerceça me fait penser... 
Comprenez-le bien, je me f*us éperdument du football. Vraiment. Vous ne pouvez même pas imaginer.
Même si je peux comprendre les vrais amateurs (j'en connais), 
ou alors les parents des joueurs, leurs voisins, leurs logopèdes (orthophonistes, en France) - pour qui j'éprouve une admiration sans borne -, ou même le personnel des garages Porsche auprès de qui ces joueurs se procurent leurs véhicules, et les gérants des concessions Range Rover chez qui les épouses de ces joueurs se font offrir leur 4x4, ou encore les coiffeurs chez qui ces mêmes joueurs font faire leur coloration,
je n'éprouve aucun sentiment de fierté, nationaliste ou patriotique, vis-à-vis d'une équipe de football censée me représenter. J'irais même plus loin : la perspective d'assourdissants concerts de klaxons scandant le douloureusement cruel On est des gros c*, on est des gros c* (si si, comptez les temps et les notes) à l'issue de matchs victorieux me ferait presque espérer... une défaite. Oui, je sais. Mais bon, au moins, j'ose le dire. Ouais, je ne suis pas parfait, loin de là. J'aime pas les gens, c'est tout.


 

Mais je dois bien le reconnaître, même si je ne m'intéresse pas aux matchs et encore moins aux scores...

- score ? Un superbe mot qui nous renvoie au système vicésimal ; allez, on relit Quatre-vingts / dix ? Joli score ! -

 

Comment est-il possible de visser si mal, me direz vous.
Moi, je n'oserais même pas penser à ce genre de jeux de mots,
tant je tiens à garder mon humour à un certain niveau.
 

Mais donc (je reprends), même si je ne m'intéresse pas aux matchs et encore moins aux scores,

je ne peux que m'esbaudir devant l'arrogance, la suffisance

la morgue(*), pour revenir au sujet de cet article - affichée par certains. 

Euh... je ne cite (presque) personne, et ne veux certainement pas généraliser non plus, hein, mais bon... en Europe occidentale, je connais quand même deux presses nationales qui - tout en se détestant l'une l'autre - partagent un même chauvinisme à outrance,

  • la presse anglaise (je n'ai pas dit britannique), avec - ce qui la sauve parfois - un peu d'humour et même une certaine auto-dérision, et puis...

  • la presse française, dont les manifestations chauvinistes sont d'une pathétique platitude, et surtout assénées sans rire, sans la moindre once d'humour. La classe à l'état pur.

Voici donc, avant de parler de choses nettement plus graves, un florilège du bon goût, du fair-play, de la délicatesse et de l'élégance sportive de certains de ces journaux... 

(Les illustrations qui suivent ne sont pas des gags ; et n'y cherchez aucun trucage ; elles sont authentiques, hélas.)


Notez - comme ça, il y en aura pour tout le monde - qu'il y a eu des incidents à Bruxelles à l'issue de la défaite de l'équipe belge face à l'équipe italienne. 
Les émeutiers en ont profité pour piller, Rue Neuve, une libraire spécialisée en littérature médiévale, ainsi qu'un disquaire dévolu à la musique baroque et à celle de la Renaissance. 

Aïe, aïe, pardonnez-moi. Je suis vraiment confus, mais mes renseignements étaient totalement faux. Zut !

Ce n'est qu'un seul magasin qui a été pillé, et il s'agit d'une enseigne Nike.

magasin Nike, Rue Neuve (rue commerçante du centre de Bruxelles,
en scooter, à quelques minutes à peine des quartiers défavorisés)


 

Bon, assez ri.



C'est bien à cette racine indo-européenne *mer- que nous devons notre français... mourir.




Notre mourir, attesté sous la forme morte dès 881, est issu du latin morior, morīmourir”.

Et l'on fait descendre le latin morī d'un étymon proto-italique, *morje-, mourir”.


Et OUI, évidemment, enfin !, l'on fait remonter ce *morje- italique à notre racine *mer-, et plus précisément par une forme indo-européenne de degré zéro, *mr-ie/o-mourir”


Autrement... écrit :

racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
degré zéro *mr-ie/o-mourir”
italique *morje-, mourir”
latin morior, morīmourir”
ancien français morte (881)
français mourir



Mais... reprenons tranquillement tout cela.
On n'est pas aux pièces, non plus.



Cet italique *morje-, mourir”, se retrouve également hors latin, en... vénète, où y est attesté un joli datif singulier, 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, pour mort”.

(𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝 ! Et dire que je pensais détenir le monopole de l'écriture déplorable...)
- En vénète ?? Maisje ?

- Ça alors, Monsieur Ucon !? Ça faisait longtemps, non ? 

Le seul et unique (pour cela, louons le Seigneur)
Fernand Ucon,
qui n'a jamais vraiment compris comment
on scindait les mots d'une phrase

 

En vénète, oui.
Le vénète, langue à présent éteinte, mais attestée par des inscriptions cochonnées remontant au Vème ou VIème siècle AVANT J.-C., se parlait jadis en, en... Vénétie,
entre le delta du Pô et le sud des Alpes,
à la grosse louche, en bas à droite...
(source)

par les, les... Vénètes (tout cela, finalement, arrangeait pas mal de monde).


Cette langue disparut du côté du Ier siècle avant J.-C., lorsque les vénétophones furent assimilés aux Latins.

ceci n'est pas un vénétophone


Ça, c'était pour le vénète, et ce beau cognat italique 
(probablement gravé par un médecin de l'époque)

de notre latin morior, morī

 
(J'ai vu ça sur Facebook et l'ai envoyé à mon frère,
qui est pharmacien
)



Mais justement, sur le latin morior, morīmourir”, se sont construits d'autres mots latins...

À commencer par son participe passé mortuusmort”, également utilisé dans un emploi d'adjectif, au sens de qui a cessé de vivre”, et au figuré“où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, comme dans mare mortuum, la mer Morte.

Oui, l'illustration n'est peut-être pas très convaincante,
mais sachez que même sans bouées ou tout autre matériel de flottaison,
on flotte sans peine, sur la mer Morte



Du latin mortuus,
contracté sur le tard en mortus,
est issu notre français mort, tant adjectif que substantif. 




Comme autre dérivé latin de morior, morīmourir”, nous avons le substantif... mors, mortis, mort”.

C'est de son accusatif, mortem, que sera issu il y a bien longtemps (fin du IXème !) notre substantif français mort, comme vous pouvez vous en doutez.




Quant aux dérivés latins de morior, morīmourir”, qui suivront, vous les connaissez déjà, tant leur pendant français en est proche.

À cela, une bonne raison... Nous n'avons fait qu'emprunter ces mots en français, pratiquement tels quels.

Nous pourrions même parler de...

- pardonnez-moi, ce n'est qu'un peu de nausée -,


...calques.


Au nombre de ces mots latins, retenons déjà...
  • mortālispérissable, sujet à la mort, d'où... humain”, et son antonyme immortālis.

Nous empruntâmes mortālis vers la moitié du XIème, pour en faire, évidemment, notre mortel.

(Pittacos, le frère moins connu de Bleu)



Pour ce qui est d'immortālisqui n'est pas sujet à la mort”, ce n'est qu'au début du XIVème que nous l'avons emprunté, pour créer
- faut-il le préciser -
notre immortel.

les Immortels



Et puis, il y a encore un dérivé latin de morior, morīmourir”, un composé, cette fois, que j'oserais qualifier, eu égard à son deuxième terme constitutif, de plein de vie...


Ce composé, c'est vous qui allez le trouver.

VOUS !


YOU!

enfin...


IOU !



Mais tout d'abord
- question strictement rhétorique - :
vous rappelez-vous la remarquable racine indo-européenne *bheuə-“être, exister”, croître, grandir, devenir... ?

Nous en avions parlé à l'occasion de cet article de 2016, que je vous recommande de lire ou relire :

Cette racine, que l'on retranscrit également sous la forme *bʰuH-, a notamment donné, en russe, la forme verbale быть, bouitj'“être”, utilisée telle quelle, mais qui permet surtout de pourvoir le verbe être (à l'infinitif présent, есть, iestʹ) de formes passées et futures, comme dans ces paroles éminemment non progressistes de l'hymne national russe, et applicables à tout service administratif digne de ce nom : 
Так бы́ло, так есть и так бу́дет всегда́!,
(Tak beula, tak iest' i tak boudiet fsigda !”),
Il en était ainsi, il en est ainsi, et il en sera toujours ainsi !


Et donc, cette charmante *bheuə- / *bʰuH-“être, exister, devenir, grandir...”, qui respire la croissance, la vie, se retrouve à l'origine du second terme d'un composé latin dont le premier (terme, on suit) est - je le précise pour Monsieur Ucon - dérivé de morior, morīmourir”.

- mmmm ?
- non, rien.



Avez-vous une idée de ce que pourrait être ce mot ?


Allez, quelques indices. Cinq, en fait. Attention, il y a un décompte...


Top chrono.

(5)
 
Vous pouvez chercher ce mot en latin, mais vous pouvez tout aussi facilement le retrouver en français.




(4)

Car nous l'avons emprunté fin du XVème, et à peine francisé, en lui ôtant simplement sa terminaison par trop latine.




(3)

Le second terme de ce dérivé latin que je veux vous faire trouver est employé en suffixe dans quelques 
autres composés latins, eux-mêmes empruntés en français et à peine francisés, tous (vraiment) bien connus.




(2)

Ce suffixe reprend bien la sémantique de sa glorieuse racine d'origine, en évoquant la notion de devenir : en pur imperfectif, il marque l'action en train de s'accomplir





(1)

Le composé à trouver signifie littéralement en train de mourir”. Et plus élégamment : qui est près de mourir”, sur le point de mourir”.

Ça y est, vous l'avez ?

Ouiiiii !!



(0)

En latin : moribundus, et en français : moribond.


Quelques adjectifs français repris du latin, où se retrouve ce très intéressant suffixe imperfectif -bundus, mmmh ?
  • nauséabond, litt. “qui est en train de causer des nausées,
  • vagabond, litt. “qui est en train de errer (vaguer)”,
  • pudibond, litt. “qui est en train d'éprouver de la honte (de la pudeur)”...



Adieu l’Émile, je t’aimais bien
Adieu l’Émile, je t’aimais bien, tu sais
On a chanté les mêmes vins
On a chanté les mêmes filles
On a chanté les mêmes chagrins
Adieu l’Émile, je vais mourir
C’est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j’pars aux fleurs, la paix dans l’âme
Car vu qu’t’es bon comme du pain blanc
Je sais qu’tu prendras soin de ma femme
(...)

Le moribond,

Brel



Lémiloutai,

Stromae





Bon, ben, on en restera pour aujourd'hui.


Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 

Portez-vous bien.


Ah oui, j'allais oublier ! *morgue : le mot n'a strictement aucun rapport avec mort.

En revanche
- et c'est vraiment surprenant -,
ses deux acceptions, “attitude hautaineet “salle où reposent les morts avant inhumationprocèdent bien l'une de l'autre.

L'ancien verbe morguer s'employait dans le sens de faire la moue (avec un e final, pas un r). D'où morgue au sens d'arrogance, mépris.


Au début du XVIème, le terme morgue s'appliquera (merci, ô, Alain Rey) à
l'endroit d'une prison où les guichetiers examinaient les prisonniers avant de les écrouer.
On peut supposer ce passage de sens par le fait que les gardiens dévisageaient, toisaient les prisonniers, en un délicieux mélange d'arrogance et de mépris.

Un nouveau glissement de sens, au XVIIème, fit de morgue, chambre d'examination des prisonniers, la chambre d'examination des... cadavres.




Frédéric

Allez les Pittacos !
- ah mais non, enfin, c'est son frère !
- Juste. Allez les Bleus !







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Il ne s'agit donc pas de spam ;

ces mails gentils tout plein ne constituent donc pas non plus une attaque contre votre ordinateur ou vos données personnelles.)


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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Heyr himna smiður,

de Kolbeinn Tumason,

mis en musique par un autre Islandais, mais plus de 700 ans plus tard (!),

Þorkell Sigurbjörnsson (1938–2013).

(mais oui, -björn-, le brun, tout se tient...).


Et

- même si vous commencez à redouter ma monomanie
autant que moi, je redoute les victoires de mon équipe nationale au foot -,

je vous en offre la version, forcément sublime, de Voces8.


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2 commentaires:

LeScrat a dit…

Merci Frédéric pour ce nouveau chapitre qui promet bien des surprises et bien des partie de plaisir. MDR avec ces chauvins!

Incroyable racine *bheuə- / *bʰuH-, que l’on avait déjà croisée ici https://indoeuropeen.blogspot.com/2016/10/etre-ou-ne-pas-etre-cogito-ergo-sum-et.html et qui porte en elle toute l’imperfectibilité de «l’être» .

Comme en russe, elle a également permis au verbe «être» d’avoir des formes passées et futures dans les langues romanes. On l'y retrouve au passé simple, au subjonctif imparfait, dans les 2 formes "yo fuera/fuese" pour l’espagnol. L’espagnol et le portugais - ils sont les seuls au sein de la branche à avoir ce temps- l’expriment aussi au subjonctif futur (resp. "io fuere/for"). Le portugais l’utilise aussi au plus-que-parfait (un comble qu’on l’ait nommé ainsi!) de l’indicatif avec "eu fora".

C’est également elle qui est à l’origine des verbes anglais "to be"» et irlandais "bí" - pour ne citer que les plus connus dans nos contrées - et qui a donné au latin sa marque du futur -bo (personne n’aura oublié amabo..amabit) et le mot...futūrus qui deviendra notre "futur".
Quant au russe, *bheuə- / *bʰuH-, lui a offert son будущее (boudouchiéié) «futur».

On le voit, la fragilité des..êtres humains (human being !) en perpétuelle évolution, le caractère éphémère de son passé (simple), et celui incertain de son présent ou de son futur, tout ça était déjà contenu dans une petite racine multimillénaire. Fascinant!

J’en viens, enfin, à notre nouvelle étude *mer-, “mort”. Dans certaines régions d’Italie, insulter ou maudire les ancêtres d’une personne fait partie des jurons fréquents, alors qu’ailleurs on se contente de le faire vis-à-vis des vivants.

Ainsi en romanesco " mortacci tua/vostri- sua/loro" (selon que l’on s’adresse directement à la/aux personne(s) en question/ qu’on parle d’elle(s) ), et où le - acci est un suffixe péjoratif correspondant à notre - asses (blondasse). "Tes sales morts !", donc.

En campanien (région de Naples), on lance une malédiction aux défunts de la famille de l’autre (y compris quand cet autre est un parent !) avec le juron "chi t’e muort!" (littéralement qui t’est mort !) ou "chitam(m)uort" voire "kitammuort' " (chez les jeunes).
Et comme les Campaniens sont inventifs, ils varient avec des "chi t’è stramuort" (où le stra- correspond à extra, hein histoire d’être certain que les ancêtres soient bien, bien morts et enterrés) , "I megl’ muort’ e’ chi t’e muort" » (les meilleurs morts sont ceux de ta famille) ou encore "O sang’ /a l’annema e’ chi t’è muort" ("par le sang/l’âme de tes morts") ..

Ces jurons, qui en italien portent le doux nom de "turpiloqui", étaient autrefois considérés comme de véritables insultes et, jusqu’en 1999, ils constituaient un délit pénal. Aujourd’hui ils servent d’avantage d’interjection vulgaire et correspondent - on remarque le changement de sémantique .. - à b..el ! m..e ! ou p..ain (de ta race) !

Voici ce qu'en disent les Napolitains! https://www.youtube.com/watch?v=kJnXwE1dBeQ

Il est quand même intéressant de noter la malédiction reste sous-jacente puisque le terme « maledetto » (maudit) n’est jamais prononcé… Hein, on ne sait jamais! Comme quoi, même dans les jurons, la superstition, le tabou,…

Frédéric Blondieau a dit…

@LeScrat,

Grand merci pour ces précisions campaniennes et napolitaines ! :-)

Et merci aussi de rappeler cet article https://indoeuropeen.blogspot.com/2016/10/etre-ou-ne-pas-etre-cogito-ergo-sum-et.html...

Frédéric