- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 17 octobre 2021

"Une très grosse procelle de terrible pluye separa le conflict" - Julien Fossetier, Chronique margaritique

 
article précédent : Nobis omnes conscii sumus...





L'oeuvre la plus connue, ou plutôt la moins méconnue, de Julien Fossetier (1454 - après 1532), prêtre catholique, est son indispensable (?) Chronique margaritique, ainsi appelée, selon ses propres dires, parce qu'elle est dédiée à Marguerite d'Autriche.

(notez, on a échappé de près à Chronique margaritique d'Autrichitique)


Ce brave Julien Fossetier commença cette Chronique le 15 décembre 1508, et la termina en septembre 1517 ; elle ne compte heureusement que trois volumes et - ô soulagement intense - ne fût jamais imprimée. 

À peine Fossetier en avait-il achevé un volume qu'il se précipitait pour en faire hommage à la pauvre Marguerite d'Autriche, qui avait quand même d'autres chats à fouetter. 

Marguerite de Habsbourg-Bourgogne,
archiduchesse d'Autriche,
princesse de Bourgogne, fille de France, infante d'Espagne et duchesse de Savoie,
Bruxelles, le 10 janvier 1480 - Malines, le 1er décembre 1530


Nous savons que la grande et bien-aimée Marguerite, dans sa grande bonté, fit malgré tout verser à Fossetier, par une ordonnance du 9 mars 1515, 50 livres de Flandre pour le deuxième volume, et pareille somme pour le troisième, par mandat du 29 septembre 1517.

Le premier tome de cette Chronique contient tout bonnement le récit des événements depuis la création du monde jusqu'au règne de Salomon ; le deuxième va de l'avènement de Salomon jusqu'au couronnement d'Artaxerxès Mnémon
(rien que pour ça, il en serait presque passionnant),
et le troisième s'étend jusqu'aux faits d'armes d'Hannibal.


le tombeau, à Persépolis,
d'Artaxerxès II Mnémon
(Mnémon, "Qui a de la mémoire",
car il était le seul à pouvoir se souvenir de son prénom),
roi de Perse de -404 à -358




Saint Julien Fossetier est aussi le saint patron des fayots besogneux et des lèche-cul.

Mais quel flave peï !

(flave, en brusseleir, se dit de quelqu'un d'insipide, mou, sans personnalité ;
peï désignant un homme.)





Bonjour à tous !


Oui, nous venons de commencer, dimanche dernier,  un nouveau chapitre, consacré à la rutilante racine indo-européenne...


*kelh-, “battre, frapper”.



Un rapide point ?

🜛🜛🜛



🜛

Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine...”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé...”, d'où 
    • l'espagnol incólume,
    • l'italien incolume,
    • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite...”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021
       
      🜛🜛🜛



      Chers amis lecteurs, 

      Je vous l'avais promis, aujourd'hui, nous allons travailler sur un autre dérivé latin de notre *kelh-, “battre, frapper”, que je trouve, personnellement, particulièrement intéressant...

      Il s'agit d'un verbe.
      Enfin... Oui, mais non... mais oui...

      Disons plutôt, d'une forme verbale latine.
      Car cette forme verbale apparaît EXCLUSIVEMENT dans des composés.

      Cette forme, la voici :

      -cellō, -ere. Quant à son sens ? Sans surprise : “frapper”.

      Euh oui, ne la confondez évidemment pas avec le -cellō d'excellō, excellere“être supérieur, surpasser...”, qui donnera notre français exceller : AUCUN rapport.

      Aucun rapport non plus avec le cello,
      le violoncelle, de l'italien violone + cello,
      litt. 
      “petite grosse viole", petite contrebasse.

      Mwouais, ça me rappelle... j'ai connu, du temps de l'univ, une violoncelliste qui était bête, mais bête...
      Frustrée, probablement, qu'un p'tit mec comme moi, avec un synthé de m. - mais aussi une bonne oreille musicale -, puisse reproduire à la volée ce qu'elle avait mis des années à apprendre sur son magnifique instrument, si difficile à jouer.
      Une c*nne, quoi. Comment pouvait-elle seulement comparer le son chaud de son merveilleux cello, ses longues années d'apprentissage et de maîtrise,
      et ce son glacé, purement synthétique, qu'un rigolo reproduisait maladroitement - mais si facilement - 
      sur un clavier en plastique ?

      Mais elle était vraiment furieuse ; elle pestait, m'en voulait !!
      Une pauvre dingue. Je la plains de tout mon coeur.
      J'espère qu'elle va mieux.



      Bon, -cellō.

      de Vaan fait descendre ce latin -cellō,
      via un étymon italique qu'il reconstruit sous la forme *kelne/o-,
      de l'indo-européen *-kel-n-h2-e/o-, “battre”.


      Il - allez, je vous donne une image, vous trouvez le texte -


      ouiii ! Bas de soie. Donc...

      Il... 

      ... va de soi que ce *-kel-n-h2-e/o- indo-européen dérive lui-même de notre chère *kelh-, “battre, frapper”.

      Incidemment, remarquez que de Vaan soupçonne ce *-kel-n-h2-e/o- de n'avoir eu, en proto-indo-européen, que des emplois du même type que le latin -cellō : terme dans un composé, d'où ce subtil -” qu'il place en début de la forme reconstruite...
      Et, entre nous, la logique aurait voulu, me semble-t-il, que de Vaan fasse de même avec cet étymon italique intermédiaire *kelne/o-, en lui rajoutant, à lui aussi, un tiret initial, mais honnêtement, je rate peut-être quelque chose...


      Résumons, jusqu'ici ?


      racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *kelh-, “battre, frapper
      forme verbale (degré plein, timbre e) *-kel-n-h2-e/o- “battre
      proto-italique *kelne/o-
      latin -cellō“frapper




      Mmmmh, quoi ? Ah oui, les composés dans lesquels on rencontre ce latin -cellō“frapper” ?

      Mais certainement, chers lecteurs, il n'y a qu'à demander, les voici :
      • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence...”,
      • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) ...”,
      et enfin...
      • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser...”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger...”.


      C'est surtout ce dernier (procellō ; et si vous repreniez un café ?) qui nous va nous intéresser ici...

      En latin, on construira un substantif sur procellō, que l'on peut même considérer comme son déverbal de fait (ou, osons-le, de facto) : prŏcella.

      Le latin prŏcella désignait ce machin qui se jette en avant avec violence, qui bouscule tout sur son passage : la tempête, l'orage, voire... l'ouragan.




      Le portugais en a fait son... procela, eh oui, de même sens.
      (On raconte que le pauvre Portugais dont l'ouragan a tout emporté a toujours deux options : ou bien se pendre, ou alors, se lamenter sur du fado, et puis seulement se pendre, ce que facilite grandement l'écoute dudit fado.)




      Et en français ?

      Ben, il vous suffit de relire le titre de cet article, reprenant cet extrait de la Chronique margaritique de ce bon et pauvre Julien Fossetier, toujours incompris, voire méprisé, à ce jour.
      Croiriez-vous (mais que les gens sont méchants !) que certains ont même fait courir l'immonde rumeur que ce surprenant qualificatif, “margaritique”, trouvait son origine dans le langage fleuri des gardes du Palais de Malines (là où séjournait Marguerite d'Autriche),
      son Palais de Malinnes

      qui voyaient débarquer, tout transi et si obséquieux, le pauvre bougre, son pitoyable manuscrit sous le bras, et se gaussaient éhontément de lui : “Tu sais où tu peux te la carrer, ta Chronique ? Et avec de la margarine, ce sera plus facile”. 
      Ce qui est évidement totalement inepte, car simplement anachronique, la margarine n'ayant été inventée (en France) qu'en 1869, par un autre flave peï, Hippolyte Mège-Mouriès, comme substitut au beurre et au suif de boeuf. 
      Encore une fois, ne prenez jamais pour argent comptant ce que vous trouvez sur Internet.
      Hippolyte Mège-Mouriès,
      chimiste et pharmacien français,
      24 octobre 1817 - 31 mai 1880


      On raconte même que le personnage du bossu,
      joué par Jean Marais dans Le Bossu, d'André Hunebelle (1960),
      aurait été inspiré par Julien Fossetier



      Bon, j'en étais où, moi, avec tout ça ?

      - Frédéricoutai ?
      - Toi, tagl.

      Ah oui, en parlant de calamité. Brel revient. Euh... non, pardon (oh, je confonds toujours). Stromae revient. Moi aussi, je vais d'abord me faire une séance de fado, pour envisager la suite plus facilement.

      En français, donc, nous avions ce bien beau procelle, pour “tempête”.

      Et c'est Frédéric-Eugène Godefroy,
      13 février 1826 - 30 septembre 1897,
      qui nous en parle, dans son remarquable Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, composé d'après le dépouillement de tous les plus importants documents manuscrits ou imprimés qui se trouvent dans les grandes bibliothèques de la France et de l'Europe et dans les principales archives départementales, municipales, hospitalières ou privées.

      Son ouvrage est d'autant plus remarquable
      - et c'est un point que l'on ignore souvent -
      qu'il fût composé d'après le dépouillement de tous les plus importants documents manuscrits ou imprimés retrouvés dans les grandes bibliothèques de France et d'Europe, ainsi que dans les principales archives départementales, municipales, hospitalières ou privées.

      Eh oui, vous en conviendrez, il est important de le préciser.



      Frédéric Godefroy nous renvoie en outre à quelques jolies références, en moyen français, à l'emploi de procelle, comme ici...

      De rechief les temps serains se changent et convertient en procelles et tormens.

      Il s'agit d'un extrait de la traduction, que réalisa Christian Wechel en 1536 (!),
      des oeuvres de Flave Végèce René (Flavius Vegetius Renatus), 
      écrivain romain de la fin du IVème et de la première moitié du Vème siècle de notre ère.

      (Non, vous ne m'aurez pas ; je ne me permettrai aucun commentaire sur le bien-fondé de la  francisation du prénom Flavius.)


      Ce procelle, pourtant si charmant, disparut, comme tant d'autres, de nos dictionnaires de français moderne...
       
      Frédéric Godefroy nous donnait encore l'adjectif procellé“produit par l'orage”, comme dans
      la grelle procellee,
      qu'il atteste en 1537.


      L'adjectif procelleux, correspondait, lui, à “tempétueux”.

      Ne vous étonnez pas si d'aventure, au détour d'un article de ce blog, vous tombiez un jour sur un procelle, procellé, ou procelleux... 

      Ça en jette (en avant), non ?









      Je vous souhaite, à toutes et tous,
      un excellent dimanche, une heureuse semaine.





      Frédéric

      ******************************************
      Attention,
      ne vous laissez pas abuser par son nom :
      on peut lire le dimanche indo-européen
      CHAQUE JOUR de la semaine.
      (Mais de toute façon,
      avec le dimanche indo-européen,
      c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

      ******************************************

      Et pour nous quitter,

      un extrait (l'allegretto) de la sonate N0. 17 pour piano de Beethoven,

      Procelle (ou Tempête, si vous y tenez vraiment),

      par

      - tudieu, quel tempérament, quelle fougue ! -

      la remarquable pianiste ukrainienne

      Valentina Lisitsa

      (Ne vous laissez pas désarçonner par les images procelleuses sur lesquelles commence cette vidéo, produites par ce que j'appellerais une caméra embarquée, que la jolie Valentina porte en collier.

      Rassurez-vous, tout le clip n'est pas aussi mouvant.)

      https://youtu.be/6KMGcOYHSs0

      ******************************************

      Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, hein ? Vous pouvez par exemple...
      • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par email dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou

      ******************************************

      article suivant : Harry Potter et l'influence de l'environnement et des effets de substrat sur les substances déterminant la valeur du moût et du vin.

      4 commentaires:

      lucía campanella a dit…

      Merci, cher Frédéric. Je vous signale que, en espagnol, la locution "proceloso mar" est ou était courante dans la langue littéraire. Merci de m'avoir fait connaître son origine.

      Frédéric Blondieau a dit…

      @Lucía

      Ah, je l'ignorais !
      Merci à vous, chère Lucía !

      Frédéric

      LeScrat a dit…

      Merci Frédéric pour cette tempête de neurones !!

      C’est évidemment procella qui est à l’origine du nom de l’ordre des procellariiformes et de la famille des procellaridés parmi lesquels on trouve ces oiseaux marins qui se jouent des grands vents - et jouent avec, même - tels que les albatros, (mais non pas les pussoifs!!), les puffins et surtout les pétrels-tempête.
      Les croyances et les superstitions liées à ces oiseaux sont nombreuses et toutes mènent à des calamités.(1)

      Comme le fait justement remarquer Lucia Campanella pour l’espagnol, « procelloso » est également présent en italien littéraire. Sous la plume de Giambattista Marino (1569-1625), mieux connu en France comme Cavalier Marin ("hippocampe" pour les amis)- éminent représentant du baroque italien qui allait essaimer dans toute l’Europe- « procelloso » se fait métaphore dans l’une de ses poésies les plus suggestives que peu de lycéens transalpins ignorent.
      En totale rupture avec le pétrarquisme, Marino est, notamment, le premier à ne plus évoquer la femme telle qu’on le faisait auparavant : un être éthéré, idéal(isé), digne de l’attention de tous. Au contraire, il partage avec ses lecteurs ses propres troubles suscités par les menus gestes du quotidien de celle qu’il désire. Dans «Donna che si pettina » il sublime un moment banal, intime, d’une « Femme qui se peigne » et dont « la mer dorée qui s’ouvre sur un blond trésor tumultueux fait chavirer son cœur mortellement agité » (ndt LeScrat).

      « Per l’aureo mar, che rincrespando apria
      il procelloso suo biondo tesoro,
      agitato il mio core a morte gìa ».


      100 ans plus tard, Giacomo Rossi traduit et versifie l’opéra Rinaldo écrit en anglais par Aaron Hill et livre à la postérité ces inoubliables mots orchestrés par Georg Friedrich Haendel :
      Frondi tenere e belle
      Del mio platano amato
      Per voi risplenda il fato.
      Tuoni, lampi, e procelle
      Non v'oltraggino mai la cara pace,
      Né giunga a profanarvi austro rapace.

      Ombra mai fu
      Di vegetabile,
      Cara ed amabile,
      Soave più
      . (2)


      Enfin, puisque tu ne te permets « aucun commentaire sur le bien-fondé de la francisation du prénom Flavius » … peut-être oserais-je écrire qu’on soupçonne « flave » (comme dans « flave peï » où flave est la version bruxelloise du néerlandais flauw, insipide, fade, inconsistant) d’être un cognat du français « flave » , jaune, blond.

      Et d’où qu’y vient celui-là ?

      Du proto-italique *flāwos, (qui a donné le latin Flavius), du proto-indo-européen *bʰl̥h₁wós, from *bʰel- “de couleur claire, pâle, brillante" tel que tu nous l’as si... brillamment montré dans le magistralissime https://indoeuropeen.blogspot.com/search/label/bleu

      Sacré ..Blond, yo, va !

      Je te souhaite une belle semaine, aussi ensoleillée que possible

      (1) On les retouve ici https://fr.wiktionary.org/wiki/p%C3%A9trel-temp%C3%AAte
      (2) https://www.youtube.com/watch?v=buK4Ts2chdA

      Frédéric Blondieau a dit…

      @LeScrat,

      Eh bien, merci pour ce très intéressant commentaire !
      Je n'aurais pas soupçonner "procela" d'être présent chez Haendel !

      Quant à "flave", je pencherais plutôt pour une étymologie liée à l'ancien français foible, foivle, "faible…, arrivée en brusseleir par la voie germanique... Mais bon, je n'en sais trop rien.
      Grand merci, en tout cas, pour la référence à l'article ! :-)

      Excellente semaine à toi !