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dimanche 19 février 2023

The sound body is the product of the sound mind.

article précédent : Orange sanguine





The sound body is the product of the sound mind.

(Un corps sain est le produit d'un esprit sain.)


George Bernard Shaw


Ah ça, quand on est une carpette de l'anglais,
on ne peut que citer l'irlandais George Bernard Shaw,
même si, au demeurant, le bonhomme est parfois contestable...


Vous aurez compris que Shaw détourne avec aplomb ce passage de la dixième Satire de Decimus Iunius Iuvenalis
Juvénal, pour les intimes -,
dont on n'a retenu que la fin : 

«  orandum est, ut sit mens sana in corpore sano  »,
«  que vos prières sollicitent un esprit sain dans un corps sain  ».


De Juvénal le satirique, citons encore le délicieux Desperanda tibi salva concordia socru,
« La paix des ménages est sans espoir tant que ta belle-mère est en bonne santé »,

Juvénal,
poète satirique romain de la fin du Ier siècle et du début du IIème.




Chers lecteurs, bonjour.

Oui, nous poursuivons, en ce dimanche 19 février, l'étude de la racine proto-indo-européenne *men-, « penser », en nous centrant pour l'instant sur ses dérivés... latins.

Nous avons abondamment parlé du latin moneō« faire savoir, faire se souvenir, faire songer à », « avertir, recommander, instruire, annoncer, prédire, conseiller... », mais il est un autre illustre étymon latin dérivé de *men-, « penser » : 
  • le féminin mēns, mentis, « esprit, âme, raison, idée... ». 

Michiel de Vaan le fait descendre,
via un étymon proto-italique *mn̥ti-,
d'un mot féminin indo-européen construit sur *men-, *mnti-, dont le sens aurait été « pensée, idée ».


Nous devons à ce latin mēnsmentis, « esprit, âme, raison, idée... », une impressionnante série de dérivés.

Je vous propose d'en découvrir quelques-uns aujourd'hui (d'autres suivront, patience).

Commençons donc par...
  • le composé latin demens, où le préfixe de- marque le manque, ou la cessation. Si l'esprit et/ou la raison vous manquent, alors vous serez, dans le meilleur des cas, agité, si pas fou, dément.




Rajoutez-y le suffixe nominal -tia, à demens, et vous obtiendrez...
  • le féminin dēmentĭa, « égarement de l'esprit, démence, folie, extravagance... »

Bon, d'accord, rien de très excitant à ces français dément et démence.



Mais peut-être serez-vous un peu moins blasés devant... véhément.

Véhément ?
Qui a une force impétueuse ; qui a une grande force expressive, qui emporte, entraîne ou émeut ; intense, violent.
Ô toi, ©Le Grand Robert de la langue française.

Ouais, j'avoue que l'étymologie du mot est vraiment peu claire, et âprement disputée.




Ce que nous savons avec certitude
- ce sur quoi tout le monde est d'accord -,
c'est que véhément, sous la forme veement, attesté au début du XIIème, descend du latin vehemēns, vehementis, « violent... ».


Et pour expliquer l'origine de vehemēns, plusieurs options ; je vous en donne trois :
  • le mot représente un participe présent aujourd'hui perdu de vehō, « porter, transporter... » (dont dérive le latin vehiculum, d'où notre véhicule), pour désigner joliment « celui qui s'emporte... »,
  • le mot est composé de vehō, « porter, transporter... » et de mēns, et se traduirait donc littéralement par « celui dont l'esprit s'emporte... »,
  • le mot devrait se lire vē-mēns- ; le ve- initial du mot est en réalité la particule privative ou péjorative vē-, vēmēns signifierait alors quelque chose comme « sans esprit, dont la raison est altérée... » (pour Guiraud et de Vaan, cependant, la forme originale est bien vehemēns, dont vēmēns n'est que la contraction).
Allez savoir !




Loin de ce tumulte, notre latin mēnsmentis, « esprit, âme, raison, idée... », donnera naissance, en bas latin, à un adjectif désignant « ce qui à trait à l'âme, à l'intellect... » : mentalis.

Le français a emprunté ce mentalis à la fin du XIVème, sous la forme féminine mentele.
Sa forme actuelle ? Sans surprise, l'adjectif mental, mentale, mentaux, « qui a rapport aux fonctions intellectuelles... ».

Amusant : l'anglais a lui aussi emprunté le latin mentalis, pour en faire l'anglais mental, de même sens. 
Mais vraisemblablement par l'influence des emplois de mental dans des locutions du XIXème comme mental patient patient souffrant de troubles mentaux »), mental hospital (« hôpital psychiatrique »), mental illness (« maladie mentale »).., le mot en est venu, vers 1927, en langage familier, à signifier malade mental ; ce que nous pourrions traduire, en conservant le même niveau de langue, par espèce de malade mental, ou encore : taré.


taré·e·x



Un autre remarquable glissement de sens est celui qui transforma le beau latin classique mentīrī,
verbe créé sur mēnsmentis, et dont le sens premier était « être inventif, imaginatif, réfléchi... »,
en un verbe de sens péjoratif, « manquer de parole, tromper, feindre, contrefaire, mentir... ».

C'est avec cette altération de sens que le mot est passé en latin populaire pour devenir mentīre,
ce mentīre dont sera issu très tôt
- oh, fin du Xème -
notre français mentir.

 









Portez-vous bien, et... à la semaine prochaine !





Frédéric






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Et pour nous quitter…

Une interprétation magistrale, qui pourrait bien vous faire revoir
les limites entre la musique dite classique et la musique de film.

Voici, par

le Philharmonique de Vienne,

sous la direction de John Williams,

le thème de Jurassic Park.


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2 commentaires:

Guy a dit…

En italien, dimenticato, oublié.

Frédéric Blondieau a dit…

Merci, Guy !