- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 23 septembre 2012

magnanime animal


article précédent : corsé, le corset du leipreachán !



"Gall, amant de la Reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'arène à la tour Magne, à Nîmes."




Le distique ci-dessus est en fait constitué de vers holorimes.

Des vers holorimes - ou olorimes - sont des vers entièrement homophones : la rime est constituée par la totalité du vers, et non pas seulement par une ou plusieurs syllabes identiques à la fin des vers.

Alphonse Allais nous en a donné sa propre version :
"Ah! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer Dante. 
 Hâve oiseau pondu loin de la vogue ennuyeuse"

En précisant, en note, que "La rime n'est pas très riche, mais j'aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité."

Alphonse Allais


Nous voilà à présent au deuxième volet de notre trilogie "corps - âme - esprit"… (annoncée in exister, se redresser, transmettre, et dont le premier volet, consacré au corps,  était : corsé, le corset du leipreachán !)


Le français "âme" nous vient de la racine proto-indo-européenne 

*anə-.

Qui est devenue anima en latin.


Et c'est du latin que nous arrive âme.

- Ah ouais? Et comment expliquer que anima devienne âme ? "âne" à la rigueur, mais âme ??
- Eh bien c'est encore une excellente question !

Dès le VIIIème siècle, on trouve trace de "anima" dans la langue cléricale médiévale.
Le terme figure encore dans la "Cantilène de Sainte Eulalie", début Xème.

Cantilène de sainte Eulalie, premier poème en
langue française


Mais dans le "Poème de saint Alexis", un siècle plus tard, anima s'est transformé en "aneme".

La Chanson de Saint Alexis


Et vers 1100, "La Chanson de Roland" reprend le terme sous la forme "anme".

Chanson de Roland

Le mot se stabilise en français sous la forme "ame" au XIIIème siècle.
Phonétiquement, la voyelle initiale [a] assimile la consonne qui suit et s'allonge, ce qu'indique l'accent circonflexe sur le "a".


Mais revenons à notre racine proto-indo-européenne *anə-.
Que pouvait-elle bien signifier ? "Vie" ?

Non, mieux que cela...


Traditionnellement, à la naissance, l'âme s'incarne, "entre dans un corps", et la mort n'est simplement que le processus inverse : la séparation de l'âme et du corps. Ne parlons-nous pas de "rendre l'âme" ?

*anə- ne véhicule pas vraiment le sens de "vie", mais bien celui de ce qui met en vie :
le souffle !

Eh oui, du premier cri au dernier souffle, nous ne faisons que respirer.
Respirer, c'est vivre.

Et le latin anima nous confirme la vision traditionnelle de l'âme comme étant "ce qui anime" : le souffle qui donne la vie.

Nous devons au latin anima : animer, bien sûr, mais aussi animal.

"Animisme" également, qui désigne la croyance en une âme, une force vitale, animant les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en les génies protecteurs.

Moins connu est le lien entre le latin anima et …
animosité !

Animosité - disposition persistante de malveillance qui porte à nuire à quelqu’un - provient du latin animositas, signifiant à l'origine "courage", pour désigner ensuite "violence".

Nous trouvons dans animositas : "animosus" et le suffixe -itas.

  • -itas est une variante de "tas", et indique un état, une condition.
  • animosus, lui, est composé de anima suivi du suffixe adjectival -osus.

  Quant au suffixe -osus, il signifie "plein de", "qui a beaucoup de".

  "animosus" désignait donc celui qui était "très animé", "plein de souffle".
  Qui ne manque pas d'air? Donc… Courageux, hardi.


Un autre dérivé ?

"unanime" provient du latin unanimus : unus - anima, et signifie littéralement d'un seul souffle, d'une seule âme.

Et pusillanime se dit de celui qui "manque de courage, de caractère ; qui fuit les responsabilités".

  • Du latin pusillanimis, de pusillus (de très petite taille), diminutif de pusus ("garçonnet").
  • pusus basé sur le radical *pu ("petit") du latin puer (d'où puéril).
  • Pusus, puer (garçonnet, jeune esclave ...) provient de la racine proto-indo-européenne *pau-1 (peu, petit, petit d’un animal, petit animal), à qui nous devons notamment "peu" bien sûr, ou l'anglais "few", ou encore… Poucet !


Le petit Poucet ne serait donc pas celui qui est "grand comme un pouce", mais plutôt "le petit, ou le tout petit", tout simplement…

Le Petit Poucet

De la racine proto-indo-européenne *anə-, le grec a gardé ἄνεμος, ánemos : le vent, qui nous a donné à son tour l'anémomètre, mais aussi l'anémone, la fleur anémophile, c’est à dire qui s’ouvre lorsqu’il vente.

Anémone


Psyché -  Ψυχή, l'âme en grec, ne provient pas de *anə-, mais bien d'une autre racine proto-indo-européenne : *bhes-2, qui elle aussi signifie "respirer, souffler" !

Psyché, par David


Enfin, l'âme, en sanskrit, se dit आत्मन ātman.

ātman ne provient pas non plus de *anə-, ni de *bhes-2 mais d'une troisième racine proto-indo-européenne: *ētmen-

Et devinez quoi, *ētmen- désigne également... le souffle !

Mahatma - महात्मा, en sanskrit, c'est "la grande âme", mot composé de mahā ("grand"), et de ātman.

mahā descend de la racine proto-indo-européenne *meg- (grand) dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises (voir notamment Ceci n'est pas une pomme), qui a par ailleurs donné le grec megas ou le latin magnus.

Le Mahatma Gandhi



Tiens, pour revenir au latin…

Quel serait, selon vous, en vous basant sur les racines latines, l'équivalent français du sanskrit Mahatma?





Oui ! Magnanime…!
Qui a une nature, un caractère ou une personnalité clémente, généreuse.

La tour Magne, à Nîmes


Frédéric

article suivant: pomme de terre, es-tu là ?

Aucun commentaire: