- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 4 novembre 2012

Terre des hommes ? Pléonasme !


article précédent : histoire vraie



"La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes: il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines."

Antoine de Saint-Exupéry, in Terre des hommes, 1939

Saint-Ex et son camarade Guillaumet


En fait, ce billet du dimanche indo-européen, j'aurais pu tout aussi bien l'appeler "de Vingt mille lieues sous les mers à Terre des hommes…"


En ce dimanche gris et pluvieux - du moins ici, et même si on n'est pas encore dimanche - entamons gaiement une nouvelle série !

Encore une trilogie ? Peut-être, ou peut-être bien plus !

Car, vous en conviendrez très certainement dès que vous en connaîtrez le sujet, il y a, je crois, matière à s'étendre longuement…

Le thème de cette nouvelle série, le voici : les mots "basiques".
Enfin, si on peut dire...

Je veux dire par là les mots qui nous définissent nous humains.

"Homme", "Femme", et puis aussi tous ces mots de tous les jours, qui ont trait à la famille et aux relations familiales.

- Ce sujet m'a été gentiment soufflé par Françoise, qui suit le dimanche indo-européen sur Facebook, et que je remercie ! -


Commençons donc - n'y voyez surtout aucune trace de machisme - par "homme".

"Homme", comme vous le savez, nous vient du latin homĭnem, accusatif singulier de hŏmo ("être humain, homme, individu").

Premier point intéressant, et peu connu : c'est la forme du nominatif homo qui a donné en français le pronom indéfini "on".

"On", mais c'est "nous", "les humains", c'est "eux", c'est "les gens", c'est "nous tous"…!


Il existait une forme archaïque à hŏmo : hĕmo, sur laquelle s'est bâtie la forme négative ne hemo (littéralement "pas un homme").

Ne hemo, par contraction, est devenu nemo.

Nemo pourrait être traduit par "pas un homme", ou tout simplement "personne" (comme dans "Mon nom est personne", ou "il n'y a personne à la maison").

Eh oui ! Vous pensez au même personnage que moi, au commandant du Nautilus, le capitaine Nemo de Vingt mille lieues sous les mers !

Le capitaine Nemo

... Qui cache son passé trouble, sa véritable identité à ses passagers, à la manière d'Ulysse face à Polyphème le cyclope, à qui il déclare s'appeler "Όυτις" ("outis"): "personne" !

Nemo disparaît avec son merveilleux Nautilus à la fin de L'Ile Mystérieuse.

Le Nautilus !

Mais saviez-vous que dans "Le Sphinx des glaces", écrit plus de vingt ans après L'île Mystérieuse, Jules Verne rend un superbe hommage à son personnage ?

Jules Verne, sans qui mon enfance
n'aurait pas été tout à fait la même...

Quand l'équipage de la goélette l'Halbrane débarque au Pôle Sud, Jules Verne nous raconte que vingt-huit ans plus tôt, le 21 mars 1868, "un autre avait pris pied sur ce point du globe" :  après avoir franchi la banquise avec un appareil sous-marin, l'homme débarque d'un canot, gravit les talus basaltiques en s'aidant d'un pic …
"Et, à l’instant où l’horizon, juste au nord, coupait en deux parties égales le disque solaire, il prenait possession de ce continent en son nom personnel et déployait un pavillon à l’étamine brodée d’un N d’or. Au large flottait un bateau sous-marin qui s’appelait Nautilus et dont le capitaine s’appelait le capitaine Nemo."

Merveilleux Jules Verne…


L'Halbrane pris par les glaces


Mais replongeons-nous - oui, je sais, c'était facile - dans notre quête étymologique.

Hĕmo provient de l'indo-européen commun *dʰǵʰm̥mō, dérivé de la racine proto-indo-européenne *dʰéǵʰōm-.

*dʰéǵʰōm- évoque l'idée de "terre".

(Oui, nous avons déjà parlé, dans sécheresse torrentielle, de "terre", avec la juxtaposition des racines *ters- et *tel- qui a donné une forme nominale *tersā qui allait déboucher sur le latin terra…)


Et *dʰǵʰm̥mō pourrait signifier quelque chose comme "issu de la terre", ou encore "fils de la terre", ou tout simplement "terrien".

Il est intéressant de faire le parallélisme - même si cela nous éloigne à nouveau de l'étymologie (oui, moi aussi je me trouve assez dissipé aujourd'hui) - avec le culte à Gaïa, la Terre-mère, et la croyance que les humains sont les fils et filles de la Terre.
Ou encore, selon la Bible, que les humains sont faits de terre.

Notons encore, en hébreu, la proximité sémantique de אדם, Adam, le premier homme selon la Genèse et אדמה, adamah, la terre. Adam, en ce sens, c'est le terreux, le glébeux !


Maintenant, gardons les pieds sur terre (désolé), en nous disant que le mot n’est peut-être pas issu d’un signifié "fils de la Terre" mais pourrait plutôt évoquer le "terrien", l'habitant de la Terre, par opposition aux dieux, habitants des cieux.

Quoi qu'il en soit, à partir de *dʰéǵʰōm- se sont dérivés une longue série de mots dans diverses langues indo-européennes…

Quelques exemples ?

  • le letton zeme ("terre")
  • les lituaniens žmuo ("homme") et žemė ("terre")
  • l'irlandais duine ("être humain, personne"), par le proto-celte *gdonyo- (même sens)
  • le grec ancien χθών, khthōn ("sol, terre")
  • le kurde zevî ("champ")
  • le persan زمین (zamin) ("terre, sol")
  • le russe земля (zimlia) ("terre")
  • le sanskrit क्ष (kṣa) ("champ")


Et puis, en latin, *dʰéǵʰōm- s'est aussi décompos… euh décliné en… humus ! (le sol, la terre).

Dont nous avons bien évidemment tiré le français humus, la "couche supérieure du sol créée et entretenue par la décomposition de la matière organique, essentiellement par l'action combinée des animaux, des bactéries et des champignons du sol".



Du latin, avec toujours la notion de terre, mais qui représente ici symboliquement le bas, "ce que l'on regarde de haut", nous avons hérité de humilité, humiliation,…

  • humiliātio, humiliation
  • humilifico ou humilio, abaisser, abattre, humilier
  • humilis, près de terre, bas, de basse condition, humble, nain
  • humilitās, petitesse, bassesse, humilité
  • humiliter, dans un lieu peu élevé, bassement, humblement


Enfin, Inhumer nous arrive de la même source latine : à l'origine enterrer, planter





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous !



Frédéric

Aucun commentaire: