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Que si le moi est haïssable,
aimer son prochain comme soi-même devient une atroce ironie.
Tel quel
Paul Valéry
Paul Valéry |
Bonjour à toutes et tous!
Après nous être intéressé à la racine...
- *dn̥ghū-: langue (Zorro, Dingo et Fredo vous souhaitent une très bonne année!),
- puis à *del-2: raconter, compter, à l’origine notamment de l’anglais tell - dire, raconter (talk talk talk - Qui c'est? - C'est Guillaume! - Guillaume qui? - Guillaume Tell!),
- et enfin à *pau-2: couper, battre, frapper, lointaine parente de nos français conte et compte (A compter de ce jour, je te répudie),
il me semblait plus que judicieux d’aborder en ce dimanche la racine proto-indo-européenne…
*werə-3: parler.
Bon, pour être clair, NON, *werə-3 ne nous a pas donné le français “parler”.
Mais bon... Malgré tout, elle vaut la peine d’être découverte; vous allez rapidement vous en rendre compte!
En fait, le dérivé de *werə-3 que nous connaissons le mieux nous arrive d’une forme composée: *werə-dh(ə)-o-, qui se comprendrait comme “action de parler”
(oui, car *dhē- que vous retrouvez ici signifiait “faire” ; nous retrouvons d'ailleurs cette dernière dans l’anglais to do…)
Une idée de ce dérivé si bien connu?
Le latin classique…
...
...
...
verbum: mot, terme, expression.
Comme vous le savez, en latin ecclésiastique, verbum a servi à traduire le fameux logos grec, la parole, entendez la Parole, celle de Dieu.
Bien sûr, le verbum latin a débouché sur notre verbe français, dois-je le préciser?
En un premier temps, verbe reprenait le sens latin de parole, suite de paroles, pour, au début du XIIème s’étendre au sens théologique de LA Parole.
On trouvait d’ailleurs encore “Parole” pour traduire Logos dans plusieurs traductions de la Bible; ce n’est vraiment qu’au XVIème que Verbe a supplanté Parole en ce sens particulier.
Mais bien sûr, le latin verbum ne nous a pas transmis que verbe!
Eh non!
Il suffit de penser à ces composés comme adverbe, proverbe…
proverbe |
Nous connaissons également déverbal, que j’emploie quand même de temps en temps (il s'agit d'un substantif obtenu en retirant la désinence verbale d'un verbe à l'infinitif).
Ben oui: cri est le déverbal de crier.
Mais nous avons aussi…
Verbaliser!
A la fin du XVIème, il signifiait “faire de grands discours inutiles”!
Ce n’est que plus tard qu’il prit le sens juridique que nous lui connaissons à présent: dresser un procès-… verbal!
Oui, il y encore verbeux, qui nous rappelle le premier sens de verbaliser, verbosité…
Verbiage!
Basé sur un verbe moyen français verbier ou verboier, qui signifiait littéralement… gazouiller!
Oui, il faisait référence au chant des oiseaux.
Un autre dérivé curieux en français, est le mot verve.
Oui, curieux, car on s’est mépris sur le mot!
Je m’explique:
Le mot français est issu du latin populaire *verva, qui n’était qu’une variante de verba, le pluriel de verbum. “Les paroles”, entendez des paroles de fantaisie, liées à l’inspiration, à l’imagination…
Et ce *verva a été pris pour un féminin.
D’où le français la verve…! (oui, avec un v)
Et être en verve, c’est toujours, même de nos jours, avoir beaucoup d’imagination, manifester son esprit créatif…
C’est encore une forme composée constituée de notre racine *werə-3 et de *dhē-, faire ...
- défaire??
- Mais non! *dhē- virgule faire
C'est malin, je recommence ma phrase:
C’est encore une forme composée constituée de notre racine *werə-3 et de *dhē-, faire, qui cette fois a ensemencé les langues germaniques…
Mais dans ce cas, la forme composée s’est construite sur une forme au degré zéro de *werə-3: *wr̥ə-.
Cette forme composée, la voici: *wr̥ə-dh(ə)-o-.
Elle signifiait également “le fait de parler”.
Elle s’est dérivée dans le germanique *wurdam, à partir duquel se sont construits les mots pour mot dans pas mal de langues germaniques.
- En anglais? word
- Idem en vieux frison. (bon, si ça vous intéresse pas, faut l'dire, hein)
- En frison occidental? (soyons fou) wurd!
- En néerlandais: woord, basé sur le vieux néerlandais wort.
- En vieux saxon? Ben voyons: word!
- Ou en vieil haut-allemand, peut-être? wort, qui deviendra l’allemand Wort.
- En vieux norois (Aaaah!), on parlait de … orð,
- Alors qu’en vieux suédois, il était question de orþ (qui deviendra ord en suédois moderne),
- En vieux danois? orth
- Et en danois moderne? ord.
Oh, on retrouve encore notre *werə-3 dans les langues baltes!
En lituanien, par exemple, var̃das, c’est le nom.
Et en letton, vārds signifie le mot, le prénom, la promesse.
Quant au verbe letton apvārdot, apvārdoju, apvārdoju, il signifie charmer.
Par la parole bien sûr!
Mais quand l'est-on, charmé?
Et nous retrouvons *werə-3 en grec!
C’est probablement à partir d’une forme suffixée *wer-yo- que s’est créé le grec εἴρω, eirein: dire, parler.
Là où ça risque vraiment de vous intéresser, c’est que c’est de εἴρω, eirein que nous arrive…
ironie!
Ironie, jadis écrit yronie, est un emprunt au latin ironia, basé lui sur le grec ancien εἰρωνεία, eirôneía (« action d’interroger en feignant l’ignorance »).
Il s’agit en réalité d’un dérivé du participe présent ἔίρων (« qui interroge, et par extension qui feint l’ignorance ») du verbe ἔρομαι (« demander, interroger »).
Oui, il faut savoir que l’ironie était une arme employée par Socrate pour mettre à mal la suffisance de certains de ses interlocuteurs.
Ceux qu'en bruxellois, on appèlerait des dikkenek (« gros cou »): des vantards, des « Monsieur - ou Madame - je-sais-tout ».
Des allewetter, quoi (je ne suis pas vraiment sûr de l'orthographe): des gens qui savent tout.
Cette rosse de Socrate leur posait des questions sur des sujets que ces gens prétendaient maîtriser mais dont lui-même avait une connaissance approfondie.
En feignant ainsi l’ignorance, il obligeait ces êtres bouffis de suffisance à révéler leur propre méconnaissance du sujet en question.
En latin, le sens du mot n’a conservé que la notion de fausseté: il désignait ainsi cette figure consistant à dire le contraire de ce que l’on pensait vraiment.
ironie |
Restons en grec voulez-vous?
Car sur une forme variante de *werə-3: *wrē- suffixée en *-tor-,
- pour donner donc *wrē-tor-, oui? -le grec a créé ῥήτωρ, rhêtor: l’orateur, le maître d’éloquence: le … rhéteur.
Rhétorique, naturellement, en est un beau dérivé.
Une leçon de réthorique |
Enfin, n’oublions pas non plus l’hellénisme "rhème", que l’on rencontre en linguistique, et qui pourrait se comprendre comme "le propos", de “l’information nouvelle apportée dans l’énoncé à propos d’un thème”.
Oui, car en linguistique, le thème - qui s’oppose au rhème -, est, dans l’énoncé, un élément connu - ou du moins réputé connu - par la personne à qui l’on s’adresse.
Un exemple?
Dans l’expression “Ta mère, elle chausse du 2”, “Ta mère” - élément connu -, c’est le thème.
Le fait qu’elle chaussât du 2, c’est le rhème: de l’information nouvelle apportée à l’énoncé.
Quoique… La personne à qui vous vous adressez peut parfaitement déjà savoir que sa mère chausse du 2.
Dans ce cas-là, vous avez raté votre effet.
Le mot rhème nous vient du grec ancien ῥῆμα, rhèma (« mot, parole »).
c'est déjà beaucoup plus clair |
Et c’est une forme suffixée en *-mn̥- de la forme variante *wrē- de *werə-3: *wrē-mn̥- (vous m'suivez?) qui en est l’illustre parent…
Ah oui! Et c’est peut-être encore *werə-3 qui se cache derrière le sanskrit व्रत (“vrata”): l’ordre, le commandement…
Et donc - vous rendez-vous compte? - notre si petite racine *werə-3 nous a donné les français verbe, verve, verbaliser, ironie, réthorique, ou encore l’anglais word…
L'auriez-vous cru, que tous ces mots soient ainsi apparentés?
Trop fort, *werə-3!
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très belle semaine, et vous donne rendez-vous… dimanche prochain!
Frédéric
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