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“Celui qui parle de l'avenir est un coquin. C'est l'actuel qui compte. Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots.”
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Bonjour à toutes et tous!
Dimanche dernier, nous découvrions, ébahis, que notre français étiquette provenait lui aussi de *stig-, degré zéro notre racine indo-européenne *(s)teig-, “piquer”.
Et cela via le proto-germanique *stikkēn, “être piqué”, planté…”,
qui donnera le francique *stikkan, “planter, percer…”,
dont découle le verbe picard estequier / estiquier, “enfoncer, transpercer”,
repris enfin en ancien français sous la forme estechier, estichier.
L'ancêtre direct de étiquette, estiquet / estiquette, n'est qu'un substantif créé sur cette forme verbale.
Ouf.
En terminant l'article de dimanche dernier, je vous faisais saliver, en vous précisant que le francique *stikkan avait encore quelques secrets à nous livrer...
Bon, autant vous le dire tout de suite, mes activités professionnelles et autres m'empêchent une nouvelle fois de passer tout le temps que je souhaiterais sur ce dimanche.
Qu'à cela ne tienne, allons-y gaiement.
L'article sera peut-être court, mais au moins, il sera.
Voilà donc que je vous parlais du picard estequier / estiquier, “enfoncer, transpercer”?
On soupçonne que c'est encore de lui que nous était arrivé un autre verbe, wallon cette fois.
"langue wallone", en wallon |
Et deux exemples d'humour wallon |
Cet ancien verbe hennuyer (oui, du Hainaut) - reconstruit, car il n'est pas attesté -, devait se présenter sous la forme *astiker.
D'ailleurs, en wallon de Liège cette fois, on trouve toujours astitchî, “pousser en avant, pointer”.Sur le wallon hennuyer *astiker, s'est dérivé un mot bien attesté, même si aujourd'hui archaïque: astic.
Astic (1721) désignait à l'origine...
un instrument constitué d'un gros os de cheval ou de mulet, dont les cordonniers et les savetiers se servaient pour lisser certaines parties du soulier, et dont la cavité leur servait à mettre le suif pour graisser leur alêne.
(source) |
Mais enfin? Quel rapport, bon dieu, avec la notion de “enfoncer, transpercer”? me direz-vous.
Question ô combien judicieuse.
Pour comprendre ce glissement de sens, aidons-nous du liégeois.
(au moins, il servira à quelque chose)
Car il se fait qu'en wallon de Liège, il existe un mot correspondant à astic: astiquette,
- qu'un vrai Liégeois prononcerait probablement avec ce fameux /a/ tirant sur le /o/: "enn ostikett, dauuuuk"-,dont le sens est “alène que le mineur enfonce de la main dans le bois pour y accrocher la lampe”.
le mineur et son indispensable lampe |
A l'origine, on peut donc comprendre que l'astic désignait bien quelque chose de pointu.
Mais comme il est vraisemblablement entré dans la langue commune à travers la langue technique des cordonniers (militaires), on en a surtout retenu l'idée de polissoir ; la notion de “pointe” a disparu.
Je suis certain que pour vous, j'exagère, quand je vous parle du liégeois.
Qu'une prononciation pareille, ça n'existe pas. Ca ne PEUT PAS exister.
Hein?
J'espère qu'après ceci, vous me croirez enfin...
seul (très léger) bémol:
un Liégeois ne parlerait pas de Gueuze,
produit typiquement bruxellois
Bon, astic a vieilli.
Mais il nous en reste toujours... astiquer.
Verbe familier, nettement plus récent (1823), apparu d'abord dans l'argot militaire, pour signifier
faire briller, polir (du cuir) avec notre fameux... astic.C'est toujours ainsi que l’emploient les cordonniers.
Par extension, il en est venu à signifier “rendre brillant par le frottement, nettoyer, fourbir”.
Ou carrément - et vulgairement -, toujours reprenant cette idée de frottement sous forme de va-et-vient, “se masturber”. “Graisser son alêne”, quoi, dans la langue des cordonniers.
Ne dit-on pas, si l'on est vraiment vulgaire, évidemment, s'astiquer le balai, le poireau, ou carrément le pingouin?
Selon les lieux et les époques, astiquer signifiera encore “battre, frapper”.
Ainsi, dans le Doubs et en Suisse, on peut encore parler d'“astiquée” pour une volée de coups, une raclée.
- Je suppose donc qu'asticoter, “contrarier, tracasser quelqu’un sur de petites choses, taquiner” vient de là aussi?
- Ben, ouais. P'têt. Mais franchement, on n'en est pas trop sûr... Vraiment pas...
On pourrait effectivement - ce serait tellement simple - rapprocher asticoter d'astic, en disant que taquiner, c'est, en quelque sorte - et au figuré - piquer.
Mais ce n'est hélas pas si simple.
Ce que l'on croit savoir?
Pour Walther von Wartburg,
le mot proviendrait du moyen français “dasticoter” (1640), “parler allemand” - j'ajouterais pour la compréhension“avec véhémence” -, curieux mot qui ne serait que la francisation, dans le nord et l'est de la France, de l'allemand “Das dich Gott...” (“Que Dieu te...”), ce par quoi tout bon lansquenet allemand...
...commençait ses bordées de jurons et autres invectives diverses et variées.- les lansquenets? Mais oui, ces fantassins mercenaires, dans les anciennes armées germaniques, aux XVème et XVIème siècles -
On peut certainement admettre la chute du d initial de dasticoter, qui lui vaudrait de devenir
- je vous le donne en mille -asticoter.
Admettons, admettons.
Mais il reste que ce passage de sens de “discuter, jargonner en tergiversant comme un lansquenet” à “agacer” est difficile à accepter...
Voilà pourquoi Pierre Guiraud proposait, lui, une étymologie d'asticoter basée sur astic, “outil qui pique”, flanqué d'une finale -oter qui ne serait que suffixale, ne provenant donc pas de dasticoter.
Moi, j'aime bien.
Mais comme d'hab., c'est vous qui voyez.
- Et euh... asticot?
(Pêche) Petit ver blanc, servant d’appât pour la pêche et fixé à l’hameçon.- Oui, même si son étymologie n'est pas certaine, il doit probablement s'agir d'un dérivé (en fait, un déverbal) de asticoter, le ver servant à “agacer”, à attirer le poisson.
(source) |
Et voilà pour ce dimanche.
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très très belle semaine!
Frédéric
*-*-*-*-*-*
Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
*-*-*-*-*-*
Pour nous quitter...
Vous connaissez évidemment Africa, ce tube planétaire de 1982,
de ce groupe américain mythique, Toto.
Oh, ne cherchez pas de rapport entre Toto, Africa et le contenu de cet article. Non non.
Simplement, je suis resté stupéfait devant une version de ce morceau,
et je voulais vous la faire partager.
Une version à la harpe!
Mais attention: tout y est:
les différentes voix, l'accompagnement au clavier,
la rythmique, un tempo incroyablement précis...
Pour moi, c'est une merveille. Tout simplement.
Amy Turk, jeune harpiste anglaise incroyablement douée...
Une musicienne. Une vraie.
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