article précédent : ne *bodo- pas notre plaisir: tous les moyens sont bons,même le gallois
Je me lève et je te bouscule
Tu n’te réveilles pas
Comme d'habitude
Sur toi je remonte le drap
J'ai peur que tu aies froid
Comme d'habitude
Ma main caresse tes cheveux
Presque malgré moi
Comme d'habitude
Mais toi tu me tournes le dos
Comme d'habitude
Comme d'habitude, 1967
Chanson composée par Claude François et Jacques Revaux,
les paroles sont de Claude François et Gilles Thibaut.
Elle fut enregistrée pour la première fois par ... Hervé Vilard.
Bonjour à toutes et tous !
DERNIER chapitre de notre étude des dérivés de cette petite indo-européenne si prolifique, la racine *bheudh-, “être conscient, rendre conscient”, “s'éveiller, devenir attentif...”
Entrons immédiatement
dans le vif du sujet, avec, Madame, Monsieur…,
[roulement de tambour]
… ses dérivés ....
[roulement de tambour]
balto-slaves...!
Sur les pas de Rick Derksen...
Rick Derksen |
- l'auteur des deux monumentaux
- Etymological Dictionary of the Slavic Inherited Lexicon, et
- Etymological Dictionary of the Baltic Inherited Lexicon, (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series) -,
... nous retiendrons cinq - je dis bien CINQ - étymons balto-slaves formés sur l'infatigable *bheudh-:
*bjoud-, *boud-ei/i-, *budros- , *budeʔ- , et enfin *bud-
Étymons balto-slaves, car hormis quelques irréductibles, tout le monde linguistique s'accorde désormais à penser que les langues slaves et baltes ont une origine commune.
(Et ceux qui en doutent encore avancent alors, pour expliquer les ressemblances manifestes entre elles, des interférences linguistiques entre les deux groupes, liées simplement à leur proximité.)
*racines indo-européennes-
⇓
*étymons proto-balto-slaves-
⇓ ⇓
*étymons baltes - *étymons slaves
⇓ ⇓
dérivés baltes - dérivés slaves
Allez, on y va: *bjoud- :
L'étymon proto-balto-slave *bjoud- est passé dans le verbe proto-slave *bl̥ustì-, qui devait signifier quelque chose comme observer.
- Bonjour ! Mais que voilà une bonne question ! Vous allez bien ?
Le slave *bl̥ustì- signifiait certes observer, mais comme un garde peut observer.
Le garde, celui qui veille, qui est par définition éveillé (ou alors, il ne fait pas son boulot).
C’est ainsi, d’ailleurs, qu’en….
C’est ainsi, d’ailleurs, qu’en….
Allez, tous ensemble :
VIEUX SLAVON D’ÉGLISE,
*bl̥usti- donnera bljusti, “observer, garder”.
En russe, langue slave orientale s’il en est, il donnera… блюсти́, (“bljoustí”), de même sens.
“блюсти́ зако́ны” signifie toujours observer... les lois. Quant à блюсти́ себя́, on pourrait traduire l'expression (littéralement “se garder, veiller sur soi”) par “se maintenir en forme, en bonne condition”.
En serbo-croate...
– car évidemment, les malades de moyen gallois comme vous et moi
(mais surtout comme vous, hein, acceptez-le)
ne peuvent que se délecter de connaître les dérivés serbo-croates de notre *bheudh- -,
... *bl̥usti- deviendra bljȕsti, avec toujours le sens général de “observer, garder”.
*boud-(ei/i)-, à présent :
Le proto-balto-slave *boud- se retrouve dans le (proto-)slave *budìti, qui signifiait “(r)éveillé”.
Je vous propose de ne plus utiliser ce proto- pour ce chapitre balto-slave, ça nous fera gagner du temps, et aura surtout le mérite de rendre la lecture plus fluide, d'accord ?
- le russe буди́ть (“budítj”), “se réveiller, réveiller...”
- le tchèque budit,
- le slovaque budiť,
- le polonais budzić, et – soyons fou –
- le bulgare бу́дя (búdja).
*boud-ei/i se retrouve aussi dans le balte *baudyti-, que l'on retrouvera par exemple dans le participe passé actif vieux-prussien etbaudinnons, “réveillé, éveillé”, sens parfaitement conforme au sens reconstruit de notre *bheudh-.
Car OUI, le vieux-prussien, langue pratiquement éteinte, est d'origine balte.
vieux Prussien |
Plus ... particulier est le sens que prendront ses dérivés,
- le lituanien báudyti- et
- le letton (mais l'est-on VRAIMENT?) bàudît.
Mais bon, on peut comprendre aisément ce glissement de sens, de “réveiller” à “inciter”.
Là où le glissement de sens devient assez ... singulier, voire violent, c'est dans son dérivé lituanien baūsti.
Qui signifie toujours inciter, mais aussi... forcer.
OK, on reste dans la même ligne,
mais aussi... punir !
Punir !?!
Je ne m'explique ce profond changement de sens que comme conséquence à une incitation qui n'a pas été suivie des effets escomptés :
“je te pousse à faire cela, tu ne le fais pas, alors tiens, prends ça dans la figure”.
Ou alors, en supposant que la société lituanienne de l'époque était à ce point permissive que simplement forcer quelqu'un à faire quelque chose était considéré comme le punir ??
Bof bof bof. Si vous avez d'autres idées...
À *budros-, maintenant, notre troisième étymon balto-slave.
(non, non et NON, la forme dédupliquée et suffixée en *ghali- de *budros- ne signifie nullement “6ème Secrétaire Général de l'ONU”.
C'est navrant que vous en soyez là.
Parfois j'ai honte pour vous. Ressaisissez-vous.)
Boutros Boutros-Ghali |
L'étymon balto-slave *budros- se retrouve dans le lituanien budrùs, “vigilant”.
Oui, vous y retrouvez cette notion de garder, en restant éveillé...
Plus spécifique est le sens de son dérivé russe, l'adjectif ... бо́дрый (“bódreuil”), notamment enjoué. Gai, joyeux.
Oui, vous l'aurez compris, ce nouveau glissement de sens part bien de la notion d'“être éveillé”, donc aussi plein de vie...
D'ailleurs, le dérivé serbo-croate de *budros-, bȁdar, signifie tant enjoué que ... alerte.
Et vous y retrouvez ainsi les notions de garde, éveil...
*budeʔ-!
C'est ainsi que Rick Derksen reconstruit l'étymon balto-slave qui se cache derrière, par exemple,
- le lituanien budė́ti, “être éveillé, surveiller”, ou
- le tchèque bdíti, de sens équivalent.
PS: Ce ʔ, je le précise, n'est pas un point d'interrogation mal torché, ce n'est pas une faucille, non plus, mais bien la représentation d'une consonne occlusive glottale, ce qu'on appelle familièrement un coup de glotte.
Ce que vous faites machinalement en insistant sur les oh de oh oh, en insérant une coupure nette avant chaque [o]: [ʔoʔo].
Allez, à *bud-, maintenant.
Cet étymon est très proche, phonétiquement et sémantiquement, de *budeʔ-.
C'est de *bud- que dérivera le slave *bъděti, “être éveillé”, dont dérivera, par exemple, le russe (daté, et littéraire) бдеть (“bdetj'”), veiller, surveiller...
Citons encore, au nombre de ses dérivés, et pour faire bonne figure,
C'est de *bud- que dérivera le slave *bъděti, “être éveillé”, dont dérivera, par exemple, le russe (daté, et littéraire) бдеть (“bdetj'”), veiller, surveiller...
Citons encore, au nombre de ses dérivés, et pour faire bonne figure,
- le tchèque bdít,
- le vieux polonais bdzieć,
- le slovaque bdieť, et
- le bas-sorabe bźeś.
Bon !
Et si maintenant, on passait aux langues iraniennes, hein ?
À l'avestique, par exemple... ou au perse....
Car oui, notre invraisemblable, intarissable *bheudh- y a également laissé une belle descendance...
Citons l'avestique baoδaiti, “percevoir, remarquer, faire attention”.
Ou encore le pèhlevî...
Oh non, je le savais... NON, pas le pont-levis.
Le pèhlevî, du perse پهلوی, pahlavi, “précédent, plus ancien”, ou moyen perse, parlé à la grosse louche de la moitié du IIIème à la moitié du VIIème, avant l'invasion arabe. Vous êtes durs, aujourd'hui !
(Pèhlevî est également le nom de la dernière dynastie iranienne, Pahlavi (en persan: سلسله پهلوی) ; le dernier chah d'Iran s'appelant Mohammad Rezā Pahlavi.)
Bon, je reprends.
Ou encore...
- le pèhlevî... pywsynd,
- le perse بيدار, bīdār, et
- le parthe bwsyd,
(Ben oui, on est ici dans le super groupe indo-iranien ; d'où ce sens si proche du sanskrit बुद्ध, buddha, “l'éveillé”...)
Pour l'anecdote, le pèhlevî pywsynd, après l'invasion arabe, se prononçait plutôt “pywsynd ta race, bâtard” (avec sa variante “pywsynd ta race, tête de mort”).
Bon. Et ... dans les langues tokhariennes?
Oui, je tiens toujours mes promesses...
En tokharien A, notre *bheudh-, “être conscient, rendre conscient”, “s'éveiller, devenir attentif...”, deviendra... pot-.
Et en tokharien B, elle deviendra... paut-.
Avec le même sens pour les tokhariens A et B: honorer, flatter...!
Alors ça !?
En lituanien, le sens en est devenu punir, et en tokharien, honorer !?
Je n'ai pas de théorie précise sur ce nouveau glissement de sens, mais je le comprendrais dans l'idée spirituelle de s'éveiller à l'autre, prendre conscience de l'autre : cet autre qui mérite votre hommage, car il est fait partie de votre dimension, il est, comme vous, partie du grand tout.
(Le sens - pour moi dérivé -, de flatter, n'étant qu'une altération péjorative du sens original.)
Voilà, nous avons ainsi fait un bien joli tour des dérivés de notre indo-européenne *bheudh-, “être conscient, rendre conscient”, “s'éveiller, devenir attentif...”, commencé avec Swing tanzen verboten.
Vous avez compris pourquoi son signifié de départ est si difficile à capturer, tant on retrouve de sens disparates dans ses dérivés.
On peut peut-être voir dans tous ces glissements de sens le résultat des mentalités, concept à utiliser avec prudence, évidemment.
Mais je m'explique : si l'on se fonde sur tous les sens qu'ont pris les dérivés de *bheudh- dans les différents groupes linguistiques, on peut constater certaines constantes :
Dans les langues germaniques, c'est plutôt l'idée de la transmission du commandement qui l'emporte, ainsi que celle d'un niveau hiérarchique subalterne.
En français et les autres langues romanes, où les dérivés proviennent, par le latin médiéval, du germanique, la situation est relativement semblable.
Dans les langues celtiques, on en restera sur l'idée d'avertissement.
Dans les langues balto-slaves, on parlera plutôt de “veiller, surveiller”.
Avec ce sens si fort, dans le balte d'inciter, forcer, jusqu'à punir.
En ancien grec, il s'agit plutôt de recherche, de demande (ces sens étant une création grecque, comme celui de punir est une création balte)
Dans les langues indiennes, il s'agit plutôt de l'Éveil, l'aspiration à un état spirituellement élevé, alors que dans les langues iraniennes, on insiste plus sur la perception des choses...
Et en tokharien, il est plus question de l'hommage que l'on rend à autrui, selon moi, notion liée spirituellement à la déférence naturelle, essentielle, que l'on doit à son prochain.
Allez, je vous laisse réfléchir à tout ça...
Dans les langues germaniques, c'est plutôt l'idée de la transmission du commandement qui l'emporte, ainsi que celle d'un niveau hiérarchique subalterne.
En français et les autres langues romanes, où les dérivés proviennent, par le latin médiéval, du germanique, la situation est relativement semblable.
Dans les langues celtiques, on en restera sur l'idée d'avertissement.
Dans les langues balto-slaves, on parlera plutôt de “veiller, surveiller”.
Avec ce sens si fort, dans le balte d'inciter, forcer, jusqu'à punir.
En ancien grec, il s'agit plutôt de recherche, de demande (ces sens étant une création grecque, comme celui de punir est une création balte)
Dans les langues indiennes, il s'agit plutôt de l'Éveil, l'aspiration à un état spirituellement élevé, alors que dans les langues iraniennes, on insiste plus sur la perception des choses...
Et en tokharien, il est plus question de l'hommage que l'on rend à autrui, selon moi, notion liée spirituellement à la déférence naturelle, essentielle, que l'on doit à son prochain.
Allez, je vous laisse réfléchir à tout ça...
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine !
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter...
Je dois vous l'avouer, Claude François, bon... C'est pas trop ma culture.
Alors, je cherchais la version anglaise de Comme d'habitude : My way, par Frank Sinatra.
En cherchant, je suis tombé sur ceci :
Un très curieux mélange de l'original en français, et de la version anglaise.
(Un peu comme si vous mettiez côte à côte le lituanien baūsti, “punir” et le sens premier de sa racine proto-indo-européenne...)
Un duo vraiment curieux, entre Claude François et Petula Clark - au piano !
Et bon, oui, Claude François, avec Petula, chez moi ça passe déjà mieux..
C'est comme ça, on ne se refait pas.
Je dois vous l'avouer, Claude François, bon... C'est pas trop ma culture.
Alors, je cherchais la version anglaise de Comme d'habitude : My way, par Frank Sinatra.
En cherchant, je suis tombé sur ceci :
Un très curieux mélange de l'original en français, et de la version anglaise.
(Un peu comme si vous mettiez côte à côte le lituanien baūsti, “punir” et le sens premier de sa racine proto-indo-européenne...)
Un duo vraiment curieux, entre Claude François et Petula Clark - au piano !
Et bon, oui, Claude François, avec Petula, chez moi ça passe déjà mieux..
C'est comme ça, on ne se refait pas.
article suivant : vous voulez l'extrême-onction, avant le kouign-amann?
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