- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 27 mai 2018

enfoncer la petite graine







“I
ci, au Louvre, devant les toiles de Manet, Millet et d'autres, j'ai compris pourquoi mon alliance avec la Russie et l'art russe ne s'est pas nouée. Pourquoi ma langue, elle même, leur est étrangère. Pourquoi on ne me fait pas confiance. Pourquoi les cercles artistiques me méconnaissent. Pourquoi je ne suis en Russie que la cinquième roue du carrosse. Et pourquoi tout ce que je fais, leur semble bizarre et tout ce qu'ils font, eux, me parait superflu. Pourquoi donc ?



Marc Chagall, Ma vie, 1923

Marc Chagall,
1887 – 1985
























Bonjour à toutes et tous !

En ce beau dimanche - ici, en tout cas -,
























nous allons à présent passer en revue les dérivés balto-slaves de notre délicieuse racine indo-européenne...


*peis-“moudre”.


(source)


Cet article sera - déjà - le cinquième que nous lui consacrons , les quatre premiers étant:
  1. Ben là, on est pas dans l'pétrin.,
  2. tu dois être méchamment pistonné, toi, pour qu'on t'autorise à faire du hors-piste ici...
  3. pile ou face ? et
  4. sans *peis-, que de la crème vanille.

Quelques descendants choisis de notre *peis-, histoire de vous laisser reprendre un café serré et reprendre surface ? 




Pas de souci, il n'y a qu'à demander:

Pétrin, piste, piston, pisar, pistou, pesto, pistil, et pistache.


Bon, ça y est, émergés ?



immersion périscopique à bord du
Красный Oктябрь (Octobre Rouge)


On y va.



Je retiendrai deux étymons balto-slaves dérivés de la délicate *peis-
“moudre:


*piṣ- et *póiṣtum-



On commence par *piṣ-?


Et on s'accroche.




Le proto-balto-slave *piṣ- a donné naissance, à son tour, à trois étymons.


De ces trois étymons, l'un est purement balte, *pisti-, les deux autres purement... purement... - allons, courage! - 



je vous aide

OUI: slaves, *pъxati- et *pъšenò-.


Pour la compréhension de tous (la mienne y compris):





racine indo-européenne *peis-, “moudre”
étymons balto-slaves *piṣ- et *póiṣtum-

-----


étymon balto-slave *piṣ-
étymon balte *pisti- et étymons slaves *pъxati- et *pъšenò-


 Oui?



Le (proto-)balto-slave *piṣ-

qui, pour être précis, dérive de notre *peis- par son degré zéro *pis- -,
a donc donné - je le traite en premier - le (proto-)slave *pъxati-.  


Le sens de *pъxati- ? 

Comment dire... On assiste ici à un glissement de sens assez... euh.. violent, mais qui peut parfaitement se comprendre.


Car voilà, avec *pъxati-, de moudre, on passe à la sémantique de bourrer, pousser, fourrer... 

Ces sens dérivés pouvant s'expliquer par l'idée de piler, d'un pilon permettant de moudre.


De là, des dérivés slaves dont voici quelques beaux spécimens:


  • le vieux slavon d'église - aaaah oui, on ne s'en lasse jamais... - pъxati, qui a à nouveau glissé de sens, pour donner “frapper, châtier, punir”,
  • le russe пихать (“pikhatj'”),  “pousser, fourrer...”,
  • le tchèque pcháti“piquer, fourrer...”, ou encore - soyons fou -
  • le bulgare pằxam, “pousser, fourrer”.


Le pendant balte du slave *pъxati-, c'est *pisti-. J'espère ne pas vous l'apprendre.

Ici, en matière de glissement de sens, on a franchement fait encore mieux.



champion, le balte


Car si l'on se réfère à la descendance de *pisti-, cet étymon devait signifier... comment dire ?

Oui, comme en proto-slave: bourrer, pousser, fourrer...”.

Mais... voyez-vous..., dans un sens plus ... euh... figuré, restrictif, imagé. Très imagé, même. 


En fait, *pisti- devait signifier copuler.


Oui, vous avez bien lu: sacrifier à Vénus, faire la bête à deux dos, amener Prosper au cirque.

















Du proto-balte *pisti-, retenons...

  • le lituanien pìsti, “copuler”, ou
  • le letton (mais - sincèrement : - l'est-on vraiment?) pist, “copuler”.


Enfin, toujours du proto-balto-slave *piṣ-, mentionnons l'étymon slave *pъšenò-, millet”.
Oui, le millet, cette graminée dont on peut faire

- si vraiment on n'a strictement rien d'autre à f. -
 


de la farine.


farine de millet


Ah oui, ce joli ъ derrière le p initial de *pъšenò- est ce que l'on appelle un signe dur cyrilliqueEn russe, твёрдый знак, (“tfordeuil znak”), assez joliment traduit par “signe dur”, et qui sert à indiquer l’absence de palatalisation de la consonne précédente, qui, en l'occurrence, se prononce ainsi p, et non pj
- “Dur? Qui est dur, ici?”
- non non, personne !


Des dérivés issus du proto-slave *pъšenò-, “millet”, épinglons...

  • le russe пшено (“pchino”), “millet”, ou mieux encore, “gruau de millet”
  • le tchèque (dialectal) pšeno, “millet”, ou - voyons voyons, qu'est-ce que je peux vous trouver? Oui -
  • le slovène pšenọ, “grain (de céréale) pelé”.


Remettons tout ça dans l'ordre ; je pense que ce sera bienvenu:



















racine indo-européenne *peis-, “moudre”

degré zéro *pis-
étymon balto-slave *piṣ-

-----

étymon balto-slave *piṣ-

étymon slave *pъxati-, “pousser, fourrer”

russe пихать, “pousser, fourrer...”, tchèque pcháti, “piquer, fourrer...”,... 

-----


étymon balto-slave *piṣ-
étymon balte *pisti-, “copuler”
lituanien pìsti et letton pist, “copuler”

-----


étymon balto-slave *piṣ-
étymon slave *pъšenò-, millet

russe пшено, “millet”slovène pšenọ, “grain pelé”



Si vous relisez cet article depuis le début (ou si vous avez une excellente mémoire), vous constaterez qu'il nous reste encore une forme à voir, l'étymon balto-slave *póiṣtum-. 


Eh oui. Et c'est avec lui que nous terminerons ce dimanche.



Le proto-balto-slave póiṣtum- provient, lui, d'une forme suffixée au timbre o de notre *peis-, *pois-to-m-.



Ce póiṣtum balto-slave a donné un étymon balte, *piesta“mortier, pilon”et un étymon ... slave, oui!, *pěstъ, pilon.


Le balte piesta- sera à l'origine ...

  • du lituanien piestà, “mortier en bois”, et
  • du letton (mais l'est-on VRAIMENT?) pìesta, “mortier en bois, pilon”.

Quant au slave *pěstъ, pilon”, on le retrouvera plus tard dans...

  • le russe пест (“piest”), “pilon”, ou encore... 
  • le tchèque píst, de même sens.


On récap' cette petite dernière partie ?



racine indo-européenne *peis-, “moudre”

forme suffixée au degré zéro *pois-to-m-
étymon balto-slave *póiṣtum-

étymon balte *piesta-“mortier, pilon” et étymon slave *pěstъ-, pilon

-----

étymon balto-slave *póiṣtum-

étymon balte *piesta-“mortier, pilon”

lituanien piestà, “mortier en bois” et letton pìesta, “mortier en bois, pilon”.

-----


étymon balto-slave *póiṣtum-
étymon slave *pěstъ-, pilon
russe пест (“piest”) et tchèque píst, “pilon”


Ouuuuuf.


C'était particulièrement chargé, aujourd'hui, non ?







Mais ce copieux dimanche nous permet de nous concentrer sur les quelques derniers dérivés de cette adorable *peis-, “moudre” que je vous réserve pour la semaine prochaine. 



Dimanche prochain, au menu, des mots qui viennent de ces lointaines contrées qui font rêver, mais aussi un bouquet final qui, je le pense, devrait vous surprendre.


Et vous plaire, surtout.






Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !






À dimanche prochain, 




Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,

L’Ouverture solennelle 1812 en mi bémol majeur, op. 49, ou tout simplement Ouverture 1812 (Увертюра 1812 года), de Piotr Ilitch Tchaïkovski.

Pourquoi je l'ai choisie pour illustrer cet article?

Tout simplement parce qu'en 1812, les Russes ont écrasé, broyé l'armée napoléonienne, malgré le pilonnage qu'ils subissaient...



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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