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dimanche 3 juin 2018

Pas avant de t'avoir tué, lâche !



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Pas avant de t'avoir tué, lâche ! criait d'Artagnan tout en faisant face du mieux qu'il pouvait et sans reculer d'un pas à ses trois ennemis, qui le moulaient de coups.


Alexandre Dumas,
les Trois Mousquetaires
photo d'époque: les vrais Trois Mousquetaires















Bonjour à toutes et tous !

Dernière ligne droite.

















Oui, avec ce dimanche, nous clorons le chapitre dédié à la charmante racine indo-européenne *peis-
“moudre”, sans qui - vous le savez déjà - le français ne connaîtrait pas des mots comme pétrin, piste, piston, pisar, pistou, pesto, pistil, pistache, sans qui le russe ignorerait пихать (“pikhatj'”),  “pousser, fourrer...”, ou même пест (“piest”), “pilon”.



poivre moulu


relisez

Aujourd'hui, comme promis, nous partons vers l'Orient ...

Ou plutôt, repartons.
Nous avons déjà voyagé par là avec sans *peis-, que de la crème vanille, bien sûr; c'est de là que nous avions ramené l'indispensable “pistache”...



Mais je voulais encore vous proposer un beau cognat de notre *peis-“moudre, en sanskrit: 

le verbe पिनष्टि, pinaSTi (ou pináṣṭi, hein, on va pas chicaner), qui reprend pas mal des sens dérivés que nous avons déjà répertoriés ça et là, mais qui y rajoute l'idée de “blesser”, पिनष्टि, pinaSTi pouvant se traduire par - sans surprise pour vous - “moudre, écraser, broyer, piler, pilonner, mais aussi par blesser, voire même “détruire”...

café moulu d'Inde

Ce qui d'ailleurs est toujours cohérent avec le sens initial de “moudre” ; pensons à nos expressions françaises où moudre correspond à battre, briser, comme “être moulu de fatigue”.

(…) je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable.
Molière, les Fourberies de Scapin, III, 2.

Mais, tout moulu qu'on est du voyage, le moyen de rester une heure à Strasbourg sans avoir vu le Rhin ?
Gérard de Nerval, Lorely, souvenirs d'Allemagne, Du Rhin au Mein, I.


Oui ! Il est encore impressionnant de constater ce qu'une toute petite racine indo-européenne toute mimi comme *peis- a pu nous apporter, en français certes, mais dans d'autres langues aussi, parlées par des populations dont les moeurs, la culture, l'histoire, peuvent pourtant nous apparaître si éloignées des nôtres...



Quand certains TDCs (“Très Doctes Scientifiques”, bien sûr) ne voient dans la linguistique indo-européenne que racisme et mépris de l'autre, j'y trouve, moi, une nouvelle preuve que nous sommes TOUS semblables, que nous sommes TOUS frères, que, malgré nos différences affichées, nous sommes, dans notre humanité la plus intime, les mêmes... 

Avec les mêmes aspirations et les mêmes peurs, capables de la même grandeur d'âme, tout comme malheureusement des mêmes atrocités, lâchetés et autres médiocrités. 


Je repense au qualificatif que l'on donnait à Gandhi: Mahatma - en sanskrit, महात्मा -, la “grande âme”, composé de mahā, “grande”, et de ātman, “âme”




Qualificatif qui n'est pas propre au sanskrit, puisque nous le connaissons dans sa version latine, et qui plus est, de construction similaire, magnanimus, “magnanime”... CQFD.
Oui, relisez cet article du 23 septembre 2012: magnanime animal



Mais... place au bouquet final !






Vous pourriez parfaitement me dire

- vous pas, je sais - mais ce brave Fernand Ucon certainement  -
l'inénarrable Fernand Ucon




oui mais bon, arrête d'en faire tout un plat, de tes dérivés, 'suffit de prendre tous les mots qui commencent par pist-, et on finira bien par en trouver, des dérivés de *peis-! 


Qu'est-ce que ça a d'exceptionnel, hein?”











Alors voilà, ce tout dernier dérivé, non, ne commence pas par pist-.
Et je vous défie de l'associer à *peis-, ou à piston, ou à piler... sans dictionnaire sous la main...

Mais... avant de vous le dévoiler
- patience, on y arrive! -,




















patience, patience...



Oui oui, on y arrive !

On y est presque...





Avant de vous le dévoiler, donc, voyons son ancêtre (ancien) grec, qui descendait,
à l'instar du russe пихать, “pousser, fourrer...”, du tchèque pcháti, “piquer, fourrer...”, du lituanien pìsti et du letton (mais l'est-on vraiment) pist, “copuler” ,
de la jolie *peis- par *pis-son degré zéro.


Cet étymon grec, le voici, le voilà !



πτίσσω, πτίσσειν, ptíssō, ptíssein, “piler, monder de l'orge ou du grain, broyer, concasser...”.
- et je vous le dis tout de suite, on constate la présence de ce -pt initial propre aux seuls étymons grecs, sans vraiment se l'expliquer ; le grand Robert Beekes penchait pour une forme originale métathétisée *(t)pis- -

Une idée du mot français sur lequel on va tomber ?? Hein, hein???

Continuons, alors...


Sur πτίσσειν, ptíssein, s'est construit πτισάνη, ptisánē, “orge mondé”.

Ça s'éclaire ?

“Orge mondé” était le sens premier de πτισάνη, ptisánē....

Car, par métonymie, πτισάνη, ptisánē en est venu à désigner...

... une infusion d'orge (mondé, tant qu'à faire)...



Ça y est ?? Eh oui, vous l'avez !!

Les Romains, comm' d'hab, ont copié froidement le mot, pour en faire le latin ptisana.

Le passage du latin classique au bas latin s'est remarquablement bien effectué, sauf si l'on se place du côté du pauvre p- initial...

Le bas latin tisana, passé en ancien français sous la forme tisene, tisaine, a donné notre... tisane !!

Tisane, qui a été emprunté en toute logique avec le sens de “décoction d'orge mondé” (fin du XIVème), pour seulement prendre son sens actuel fin du XVIIème.
Tisane: 
Boisson contenant une faible proportion d'une substance médicamenteuse végétale (obtenue par macération, solution, infusion ou décoction de plantes). 
Oh merci, Le Grand Robert de la langue française








Vous l'auriez fait, vous le rapprochement entre pistou, pistache et tisane
Ben voilà. Merci qui
L'indo-européen, bien sûr.


Et nous, on en a fini avec cette passionnante *peis-, “moudre”, qui nous a fait voyager dans le temps et l'espace, pour nous rapprocher de nos Frères Humains, en un bel hommage à nos ancêtres, sans qui notre langue ne serait pas ce qu'elle est, mais surtout sans qui NOUS n'existerions pas...

Ah oui! Et donc, soyons clairs, les mots thé et tisane n'ont strictement rien en commun, thé n'étant pas le moins du monde d'origine indo-européenne, étant emprun.. au malais teh ou au Min Nan 茶 (tê).




Allez, dernière récap', et on remballe:



racine indo-européenne *peis-, “moudre”

forme suffixée au degré zéro *pis-n-s-
sanskrit पिनष्टि, pinaSTi, “moudre, écraser, broyer, piler, blesser...

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racine indo-européenne *peis-, “moudre”

forme au degré zéro *pis-

*(t)pis-
métathèse (=> pt)
ancien grec πτίσσω, ptíssō, “piler, monder de l'orge, concasser...”
 πτισάνη, ptisánē, “orge mondé”

métonymie

 πτισάνη, ptisánē, infusion d'orge

emprunt

latin classique ptisana, infusion d'orge

bas latin tisanainfusion d'orge

ancien français tisene, tisaine, infusion d'orge

français tisane, infusion d'orge

généralisation

tisane, infusion, décoction...




Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !

À dimanche prochain,




Frédéric

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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

Parce que j'ai envie de croire en cette utopie,

 "Quand Les Hommes Vivront D'amour"

en mode swing acoustique, par la chanteuse canadienne Jill Barber

(psss: toute chanteuse canadienne n'est pas forcément francophone ; par son plurilinguisme, Jill Barber reçoit la place qui lui est due sur cette page.)




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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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