“C'était il y a très, très, très longtemps ...
A gauche du ciel, il y avait la planète Shadok.
Elle n'avait pas de forme spéciale, où plutôt… elle changeait de forme.
A droite du ciel il y avait la planète Gibi.
Elle était complètement plate et elle penchait soit d'un côté, soit de l'autre.
Au milieu du ciel, il y avait la Terre, qui était ronde et qui bougeait.
Sur la Terre, il n'y avait apparemment rien…
Sur la planète Gibi, il y avait des animaux qui s'appelaient des Gibis. (Voici un Gibi vu de près ; en voici un autre…)
Quand il y avait trop de Gibis d'un côté, la planète penchait, les Gibis glissaient et il y en avait qui tombaient… et c'était très gênant… surtout pour les Gibis.
Sur la planète Shadok, il y avait des Shadoks de deux sortes : des Shadoks avec des pieds en bas qui vivaient au-dessus de la planète, et des Shadoks avec les pieds en haut qui vivaient de l'autre côté, et qui servaient à soutenir la planète par en dessous…
Comme la planète Shadok changeait de forme, il y avait des Shadoks qui tombaient.
C'était très gênant… surtout pour les Shadoks.
Les Shadoks et les Gibis en eurent donc assez au bout d'un certain temps de vivre sur des planètes qui ne marchaient pas bien, alors il décidèrent, les uns et les autres, d'aller sur la Terre qui avait l'air de mieux marcher…”
Les Shadoks,
Jacques Rouxel , 1968
Aaah, Claude Piéplu...
Nous venons de voir (la semaine dernière) que notre beau pays provenait,
Et que notre si beau pays descendait plus précisément de pāgus par son dérivé pagensis, “du canton”, qui avait évincé son quasi doublon étymologique pāgānus, “campagnard”, quand ce dernier revêtira le sens précis de païen.
Avant d'aller plus loin, il est peut-être intéressant de revenir à ce pāgānus et à notre païen, et de s'y attarder quelques instants, non ?
Vous le savez certainement
Eh bien... Alain Rey nous propose une autre hypothèse, qui semble mieux tenir la route, historiquement parlant...
Sachez déjà qu'à l'époque impériale
Par extension, pāgānus désignera, dans la foulée, toute personne “hors du rang” : un amateur par rapport à un professionnel appartenant, lui, à un groupe constitué, ou en tout cas structuré, comme, par exemple, celui des littérateurs professionnels.
Les hommes d'église - les clercs -, depuis le IIIème, se nommaient, en toute humilité, les soldats du Christ, “milites Christi”.
De même, la lutte pour la foi, dans laquelle ils excellaient, ils l'appelaient, avec tout l'amour dont ils étaient capables, “militia Christi”
Au début du Vème, ce qui était jusque là essentiellement un grand message d'amour
Non, je ne parle pas ici de la manière si aimable et plaisante par laquelle les Américains savent imposer la démocratie à ceux qui en ont besoin, la fleur au M16, non non, mais bien de la proclamation par ce bon Flavius Theodosius Augustus, l'Empereur Théodose 1er, du christianisme comme seule et unique (vraie) religion d'État.
En toute logique
C'était très gênant, surtout pour les païens.
C'est à ce moment,
Pour clore cet amusant chapitre, je vous dirai enfin que notre français païen descend de pāgānus par l'ancien français pagien (attesté en 881), qui évoluera en païen, fin du XIème.
Bon !
Cet ancien français pagien pourrait vous mettre sur la voie, vous mettre la puce à l'oreille pour ce qui est du mot que nous allons traiter maintenant...
Oui :
Page.
Le substantif féminin français page.
Le latin pāgina, voyez-vous, en un premier temps, n'a pas vraiment désigné un feuillet...
Non, le terme s'employait en agriculture
Plus tard, et au sens figuré, pāgina s'emploiera dans le sens de ligne (ou colonne) d'écriture.
Par métonymie, ben... “feuillet, page”, jusqu'à “écrit”.
Notre français page, amis lecteurs, n'est qu'un emprunt à ce latin pāgina ; entendez qu'il ne procède pas, par percolation lente, de pāgina, qu'il n'en est pas issu, mais qu'on a repris (fin du XIIème) le terme latin en français, quasiment tel quel, in extenso.
Chères lectrices, chers lecteurs,
en ce dimanche 22 décembre, qui marque le solstice...
où les jours rallongent enfin, où la lumière reprend le dessus sur les ténèbres
en ce dimanche de solstice, à quelques encablures de la célébration de Noël, qui coïncide évidemment, du moins dans l'hémisphère nord, avec le solstice d'hiver,
Que notre soleil intérieur puisse l'emporter sur cette part d'ombres que nous portons tous en nous.
par le latin pāgus, “district” (entendez “zone balisée, bornée”),de la formidable racine indo-européenne...
*peh₂ǵ-, “attacher”.
Et que notre si beau pays descendait plus précisément de pāgus par son dérivé pagensis, “du canton”, qui avait évincé son quasi doublon étymologique pāgānus, “campagnard”, quand ce dernier revêtira le sens précis de païen.
Eux aussi, ils me font peur |
Avant d'aller plus loin, il est peut-être intéressant de revenir à ce pāgānus et à notre païen, et de s'y attarder quelques instants, non ?
Je me fierai, ici, à ce qu'en dit Alain Rey.
Vous le savez certainement
- c'est en tout cas ainsi qu'on me l'avait appris -,on explique généralement que pāgānus prit le sens spécifique de païen en raison de la résistance des populations rurales à la (seule vraie) religion du Christ.
Eh bien... Alain Rey nous propose une autre hypothèse, qui semble mieux tenir la route, historiquement parlant...
Sachez déjà qu'à l'époque impériale
(qui commence avec le règne d'Octave, en -27, et s'arrête un peu malgré elle en 476, avec l'occupation de Rome par le roi germain Odoacre, qui n'a même pas conscience, le cuistre gothique, qu'il marque ainsi le début du Moyen Âge),à l'époque impériale, donc, le terme pāgānus est employé, par un léger glissement de sens, au sens de “civil”, par opposition à “militaire”.
PS: Vous êtes Belge, et avez besoin d'un moyen mnémotechnique pour retenir que l'époque impériale commence avec Octave ? Une octave est constitué de tons ... Imperial.
JAMAIS vous ne l'oublierez. JAMAIS. Et vous m'en voudrez. Et vous m'en voulez déjà.
Par extension, pāgānus désignera, dans la foulée, toute personne “hors du rang” : un amateur par rapport à un professionnel appartenant, lui, à un groupe constitué, ou en tout cas structuré, comme, par exemple, celui des littérateurs professionnels.
Les hommes d'église - les clercs -, depuis le IIIème, se nommaient, en toute humilité, les soldats du Christ, “milites Christi”.
De même, la lutte pour la foi, dans laquelle ils excellaient, ils l'appelaient, avec tout l'amour dont ils étaient capables, “militia Christi”
(ce que nous pourrions peut-être traduire, dans un autre contexte, par Djihad, je dis ça...).De là, il apparaît plus que normal qu'ils en soient venus à qualifier de “civil” (comprenez pāgānus, hein) tout individu extérieur à leur délicieuse milice, tout... païen.
Avant ça, il était un autre terme,
que pāgānus évinça,
pour désigner ces immondes, ces saletés, ces pourritures (pardonnez-moi ; je m'emporte) de païens : on parlait de gentiles.
Les gentils, les gens, quoi.
Beurk.
Oui, les gens du peuple, les .... les ... autres (èèèkess, pour les Bruxellois), les barbares ; ce qui correspondait assez bien à l'hébreu gōyīm, pour peuples non juifs.
Au début du Vème, ce qui était jusque là essentiellement un grand message d'amour
- je dirais même d'Amour -devint système institué et obligatoire.
Non, je ne parle pas ici de la manière si aimable et plaisante par laquelle les Américains savent imposer la démocratie à ceux qui en ont besoin, la fleur au M16, non non, mais bien de la proclamation par ce bon Flavius Theodosius Augustus, l'Empereur Théodose 1er, du christianisme comme seule et unique (vraie) religion d'État.
Théodose Ier, ou plutôt Saint Théodose (ben oui, vous pensez bien, on l'a canonisé fissa) |
(Et NON, contrairement à la croyance populaire, ce n'est pas Théodose Ier qui inventa le théodolite)
En toute logique
- là, on ne peut vraiment pas lui en vouloir, à ce brave Théodose -puisque le christianisme est officiellement institué et obligatoire, le paganisme est officiellement interdit.
C'était très gênant, surtout pour les païens.
(et je vous l'avoue, c'est cette seule pensée qui m'a fait reprendre ce bout de texte des Shadoks en exergue)
C'est à ce moment,
précisément en 409,que pāgānus évincera gentiles dans les textes légaux de l'Empire (lisez donc la loi d'Honorius, un de ces moments d'anthologie dont est truffé le Code théodosien, promulgué par Flavius Theodosius Iunior Augustus, le petit-fils de l'autre ; je dois le reconnaître, les Monty Python n'ont rien inventé).
Théodose II, le vrai inventeur du théodolite, qu'il imposa comme instrument de géodésie d'État |
Pour clore cet amusant chapitre, je vous dirai enfin que notre français païen descend de pāgānus par l'ancien français pagien (attesté en 881), qui évoluera en païen, fin du XIème.
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*peh₂ǵ-, “attacher”
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forme nominale suffixée de degré plein *peh₂ǵ-os
⇓
substantif proto-italique *pāgo-, “district”
⇓
latin pāgus, “district, province, région, canton...”,“campagne, communauté rurale...”
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latin impérial pagensis “campagnard ⇒ civil ⇒ païen”
⇓
ancien français pagien (881) puis païen (1080)
⇓
français païen
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Bon !
Cet ancien français pagien pourrait vous mettre sur la voie, vous mettre la puce à l'oreille pour ce qui est du mot que nous allons traiter maintenant...
Oui :
Page.
Le substantif féminin français page.
Tout comme son comparse pāgus, le substantif latin pāgina descendait de notre exquise *peh₂ǵ- par son degré plein, qui donnera lieu à un beau pāg- italique.
Le latin pāgina, voyez-vous, en un premier temps, n'a pas vraiment désigné un feuillet...
Non, le terme s'employait en agriculture
(notez, en latin, c'est facile, les termes s'employaient ou bien en agriculture, ou dans un cadre militaire),pour désigner une treille, une vigne que l'on fait pousser contre un support, une rangée de vignes formant un rectangle.
Plus tard, et au sens figuré, pāgina s'emploiera dans le sens de ligne (ou colonne) d'écriture.
Par métonymie, ben... “feuillet, page”, jusqu'à “écrit”.
Notre français page, amis lecteurs, n'est qu'un emprunt à ce latin pāgina ; entendez qu'il ne procède pas, par percolation lente, de pāgina, qu'il n'en est pas issu, mais qu'on a repris (fin du XIIème) le terme latin en français, quasiment tel quel, in extenso.
De la page, on passerait bien vite au livre, non ?
“Livre”, nous en parlions ici : Amazon vient de me livrer "Deliverance", de Boorman. Génial.
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*peh₂ǵ-, “attacher”
*peh₂ǵ-, “attacher”
⇓
forme nominale de degré plein *peh₂ǵ-
⇓
radical proto-italique *pāg-
⇓
latin pāgina, “treille”, d'où (sens figuré) “ligne / colonne d'écriture”
⇓
métonymie
⇓
métonymie
⇓“
“feuillet, page, écrit”
⇓
“feuillet, page, écrit”
⇓
emprunt
⇓
ancien français page (fin du XIIème)
⇓
français page
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Chères lectrices, chers lecteurs,
en ce dimanche 22 décembre, qui marque le solstice...
- de l'étymologie du mot solstice, on en parlait ici : du passage des ans, mais de la symbolique liée au solstice, c'est notamment ici qu'on en causait : Moi, effrayé par un flibustier?? Allons allons... -... d'hiver de cette année 2019
(astronomiquement, et dans l'hémisphère nord, se situant la nuit qui vient de s'achever, aux alentours de 4 ou 5 heures du matin),
où les jours rallongent enfin, où la lumière reprend le dessus sur les ténèbres
(au sens propre ; vous avez amplement raison, ce serait franchement mieux que ça puisse aussi se passer au sens figuré, mais ça, c'est pas gagné ; on n'est pas rendu),
en ce dimanche de solstice, à quelques encablures de la célébration de Noël, qui coïncide évidemment, du moins dans l'hémisphère nord, avec le solstice d'hiver,
le retour de la lumière diurne symbolisant à merveille l'avènement de la Lumière divine, cet Amour que nous tous, croyants, païens, laïcs, laïcards, libres-penseurs, libres-croyants, infidèles (et/ou chiens d'infidèles), hérétiques, intégristes ou autres (autr.e.s ?), ferions bien d'intégrer, de faire nôtre, pour le dispenser à tous nos Frères Humains,je vous souhaite un solstice heureux, la renaissance à la Lumière, ou
en termes plus conventionnels et exotériques,un très joyeux Noël.
Que notre soleil intérieur puisse l'emporter sur cette part d'ombres que nous portons tous en nous.
(vous pouvez noter)
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
Stille Nacht,
par la Netherlands Bach Society
(je me serais bien passé des variations contrapuntiques au violon, mais bon, les doux et élégants arpèges des deux Gypsy Kings au luth rattrapent tout).
Joyeux Noël à tous !
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4 commentaires:
Merci, cher Frédéric, pour cette nouvelle série ! cette racine m'intéresse au plus haut point, je suis paysagiste ! Et d'ailleurs, comment est-on passé du pays au paysage ? Cet -age est-il le même suffixe que celui du village, du passage, de l'entourage ? Ce suffixe a-t-il sa racine indo-européenne, lui aussi ? Très joyeux Noël et belle entrée dans l'hiver. Fabrice
Bonjour, Fabrice !
Je vous PROMETS que nous parlerons de "paysage", et de "-age". C'était déjà au programme... :-)
Joyeux Noël à vous, merci de vos bons voeux !
Bien à vous,
Frédéric
Cher Monsieur
Merci mille fois pour votre blog. Je savoure et toutes mes études de grammaire comparée des langues indo européennes murmurent à ma mémoire.je vous souhaite une belle lumière ! Vivement dimanche!
Grand merci, vraiment !
Heureux que ce blog vous plaise...
Passez un excellent réveillon, et ... à l'année prochaine, que je vous souhaite heureuse !
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