“À quelques centaines de toises en amont, se trouvait un pont de clayonnage soutenu par des lanières de cuir et suspendu à la mode indienne. ”
Les Enfants du capitaine Grant, 1846,
Jules Verne
Les Enfants du capitaine Grant, 1846,
Jules Verne
Nous voilà arrivés à la fin de ce petit bout de chemin en compagnie de la jolie racine ...
*ueh1-i-, “tisser, tresser...”.
Ah, la belle indo-européenne *ueh1-i-, nous l'avons vue évoluer, se transformer, se dériver en tellement de mots !
Je pense même, qu'au cours de ses pérégrinations, nous l'avons suivie dans pratiquement tous les groupes de langues indo-européennes ...
Eh oui ...
Comme toujours, il y a comme un petit pincement de coeur, ici, là,
à quitter une petite racine que l'on a appris à connaître...
Nous l'avions découverte un beau dimanche de juin, précisément le 2 juin 2019, en la reconnaissant dans ses dérivés sanskrits, avestiques, perses, hittites, voir carrément arméniens.
“La saison venue, la chenille tisse un cocon autour d’elle-même et elle devient cacahuète.” - Cavanna.
Puis, ce fut au tour de ses dérivés latins de nous faire signe,
- avec le latin vieō, “courber, tresser, lier, attacher...”,
Partir en vrille au-dessus du Viminalis ? Le fait d'un pilote linguiste.
- puis vitta, dérivé de vieō, et à l'origine de notre ... vétille,
fi, ce ne sont là que broutilles, bagatelles, de simples détails !,
- suivi de vīnum,
un Gini plutôt que du vin ?? Vous ne seriez pas Arménien, vous, par hasard ?,
- et de vīndēmia, “vendange”, d'où notre français vendange, et l'anglais vintage,
les vents d’anges ne sont pas qu’affaires de culs bénis.
Ensuite, après un intermède - mais j'insiste, tout à fait correct, tout ce qu'il y a de plus convenable, en tout bien tout honneur - auprès de la charmante *h₂eḱ-, “piquant, acéré”,
nous retrouvâmes *ueh1-i-, dans ses oeuvres ... celtiques ...
de la courbure des saints
toute mon enfance, ça, les tresses de *wēti- brin d'osier.
Puis, nous passâmes un très agréable moment auprès de ses avatars balto-slaves ...
Tu peux m'passer la perche de bois de saule pour attacher le toit de chaume ?,
"*wɁi-, *vìti-, wić" (Jules César, rendant état au Sénat de sa rapide victoire sur Pharnace II, peu avant de désaouler) ,
... T'as voulu voir viēsuls, Et on a vu viēsuls ... ...
Et nous voilà, là, maintenant, en ce froid matin de décembre, sur le point de lui dire adieu.
Toutes ces semaines, nous avons rencontré des dérivés de *ueh1-i-, aux quatre coins du monde indo-européen.
Mais ... il nous reste encore une famille linguistique - et pas des moindres -, à visiter...
La famille ...
germanique !
Je n'y connais qu'un seul étymon issu de *ueh1-i-, même si - oui, je sais - Internet en propose d'autres.
Encore une fois, je me fie à des sources que je qualifie de fiables, et ne préfère pas trop quitter les sentiers battus (ou alors, avec une machette et quelques rations de survie, et surtout
le chapeau d'Indiana Jones).
Pour l'occasion, ma source de choix sera - nihil novi comme disait l'autre - le Etymological Dictionary of Proto-Germanic de Guus Kroonen, l'un des volumes du grandiose et jubilatoire Leiden Indo-European Etymological Dictionary.
Cet étymon
- oui, oh, j'y arrive ! -,c'est le proto-germanique ...
*wajju-.
- Mais ?? Mais enfin, d'abord, c'est quoi ce a ?
Et ce "jj" ??
Allons, allons, ressaisissez-vous, Blondieau ; c'est encore n'importe quoi.
- Oh !! Mais vous êtes là, Monsieur Ucon ! (Fernand Ucon, pour ceux qui ont la chance de ne pas encore le connaître.)
The name is Ucon, Fernand Ucon. Fernand Ucon, Sans la famille de qui le français serait un peu moins incohérent (mais lisez ceci !) |
Oui, remarque judicieuse ; je m'en vais expliquer tout cela.
Tout d'abord, on fait dériver le germanique *wajju- de notre gentille racine verbale *ueh1-i- par une forme indo-européenne de radical en -u- (créée sur son timbre zéro), *uḥ1-ú-.
- Mais enfin, ça n'explique RIEN !
- Je continue.
Cette jolie petite boulette diacritique représentée sous le h de la laryngale *h1- exprime que ladite laryngale s'est vocalisée, et deviendra ce a présent dans cette forme germanique.
Et puis, et puis, il y a la loi de Holtzmann.
Et on ne défie pas la loi de Holtzmann.
(À moins de s'appeler Chuck Norris, évidemment.)Ceux qui s'y sont essayés ne peuvent plus en témoigner.
La loi de Holtzmann est bien entendu une loi de transformation phonétique, au même titre que les lois de Verner, de Grimm...
Elle s'applique spécifiquement au proto-germanique.
Notamment, selon cette loi assez complexe, dite de durcissement
(Verschärfung, mais attendiez-vous autre chose d'une loi spécifiquement germanique ?),les semi-voyelles de l'indo-européen *-y- et *-w- se doubleront, seront géminées (on parle de gémination) en proto-germanique dans certaines positions, pour aboutir, respectivement, à des *-jj- et *-ww-.
Alors, ouiii !
Et le sens (reconstruit, bien sûr) de cet étymon germanique *wajju-, peut-être, mmmh ?
Mur.
- Maisje ?
- oui, mur.
Et vous allez me dire, évidemment, “mais quel est le rapport, n'importe quoi ...”.
Hein, hein ?
- ...
- Ben voyons ! Mais comme je vous connais !
Eh bien, je pense qu'il faut se représenter ce mur non pas comme un bête mur de briques, mais bien comme un mur de clayonnage et torchis, dont les éléments sont tissés, tressés entre eux, tout simplement...
**************
*ueh1-i-, “tisser, tresser...”
⇓
forme de radical en -u- de timbre zéro *uḥ1-ú-
⇓
vocalisation en a de la laryngale *h1-
+
loi de Holtzmann
⇓
proto-germanique *wajju-,“mur”
**************
Alors !
Nous retrouverons, par exemple, notre douce *ueh1-i-, par l'étymon germanique *wajju-, dans ...
- le vieil anglais wǣġ,
d'où
- l'anglais (dialectes du nord) waw / waugh
- le - oui oui ouiiiiiii! - vieux norois veggr, veggruni,
d'où ...
- le féroïen veggur,
- l'islandais veggur,
- le norvégien dialectal veggjerune,
- les norvégiens (Bokmål et Nynorsk) vegg,
- le vieux danois wæg,
d'où ...
- le danois væg, vægge, vegg,
- le vieux suédois væg, vægger,
d'où ...
- le suédois dialectal vägg, vägge,
ou encore ...
- l'elfdalien wegg,
- dans le gotique *𐍅𐌰𐌳𐌳𐌾𐌿𐍃, *waddjus,
TOUS désignant toujours un mur, parfois le mur d'un bâtiment, un mur de séparation, mais en tout cas, toujours, toujours, un mur, une paroi ...
Et voilà, oui, c'est est fini de ces beaux dimanches en compagnie de l'attachante *ueh1-i- ...
Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.
Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !
À ... dimanche prochain,
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
quoi de plus doux, de plus apaisant, que les huit (! !) voix du Magnificat Primi Toni, de Giovanni Pierluigi da Palestrina, qui s'enchevêtrent élégamment, sereinement, tissant sur une trame de temps un des plus beaux Magnificat que je connaisse,
dont le point culminant est celui de l'Adieu, littéralement,
de l'Amen final
Ici, dans une remarquable interprétation, par l'ensemble VOCES8, qui n'ont pas que de beaux costumes, mauvaises langues.
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