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dimanche 15 décembre 2019

retour au pays





Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres.


Charles De Gaulle



Patriotism is your conviction that this country is superior to all others because you were born in it.

(Le patriotisme est votre conviction que ce pays est supérieur à tous les autres puisque que vous y êtes né”)


George Bernard Shaw


George Bernard Shaw,
26 juillet 1856 – 2 novembre 1950,





Bonjour à toutes et tous !




*ueh1-i-, c'est fini, aurait pu dire Hervé Villard.






Passons donc à tout autre chose...




Il y a quelques mois, une lectrice me proposait plein de jolies pistes comme idées d'articles.
Parmi elles, l'étude du français ... pays.

Je vous avoue qu'en un premier temps, j'étais persuadé d'en avoir parlé quelque part.

Forcément ! Pays !



Eh bien, NON ! Après vérification, je n'en ai JAMAIS parlé...



Eh bien, réparons cet oubli, voulez-vous ?


Je dois quand même vous le dire, je crois savoir pourquoi je n'en ai finalement jamais parlé... 

Je vous raconte: 

J'avais bien traité, à un certain moment, de la racine indo-européenne à l'origine de pays 

Mais ! Maaaais !  

Le contexte dans lequel je traitais de ladite racine m'avait pour ainsi dire dirigé, indiqué un chemin précis à emprunter parmi ses nombreux dérivés. 

Par là, j'omettais - oh, intentionnellement - une foule d'autres dérivés, dont le sens s'éloignait trop de là où je voulais arriver, et vous conduire. 

J'ai , à l'époque, me dire qu'il me faudrait, dans un article ultérieur, reprendre l'étude de tous ces dérivés oubliés. 

Ouais...  

Et bon, ma mémoire... Cette mémoire qui n'est vraiment pas mon point fort ; cette pauvre mémoire, a dû une nouvelle fois me faire défaut... 

C'est en tout cas ainsi que je m'explique cet incroyable, cet invraisemblable oubli.


Alors, l'article, de mai 2012 (!!!), où je mentionnais la racine à l'origine de pays, c'était ...



Article que je vous invite, d'ailleurs chaudement, ardemment à lire, ou à relire.
Moi, pour tout vous dire, avec cette si piètre mémoire dont je suis affublé, je l'ai lu comme si je ne l'avais jamais lu (et encore moins écrit) auparavant. Quelle découverte ! 
J'aime bien le style de ce mec, et il me fait découvrir plein de choses !


Je vous invite vraiment à le lire, cet article, car, dans ma flemme naturelle et persistente,


- Eternal Flame, dirait Susanna Hoffs, des Bangles -,

je ne reprendrai pas ici ce que j'avais déjà produit à l'époque ; soyons bien clair.


Et la racine en question ?

Je la retranscrivais à l'époque, selon Watkins, *pag-.

Aujourd'hui, je vous la donnerai comme Michiel de Vaan la reconstruit à présent:

*pehǵ-.


Ce qu'elle devait signifier ?

Oh, bah, elle devait évoquer l'idée d'... “attacher”.


“Attacher” ??? Mais enfin, quel est le rapport ... ? 

Fernand Ucon


- Bonjour, Monsieur Ucon. Vous allez bien ?
Dites, vous allez me faire le coup à chaque foisQuel est le rapport gnagnagna ? 

Pff. Allez, on dira que je n'ai rien entendu.

Les amis, comme d'hab' - vous n'en serez pas surpris -, pour les étymologies italiques, je me fonde essentiellement sur Michiel de Vaan et son Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages (Leiden Indo-European Etymological Dictionary).



En proto-italique, nous retrouverons notre jolie *pehǵ-via une forme nasalisée de timbre zéro *ph-n-ǵ-, dans l'étymon italique *pang-, “attacher”.


C'est toujours *pehǵ- qui apparaît derrière l'étymon italique, le participe passé *pagto-, “attaché”, avatar italique de son participe passé, le degré zéro *phǵ-to-.

Et OUI, c'est encore notre charmante *pehǵ- que l'on peut déceler, cachée derrière le substantif italique *pāgo-, issu lui de sa forme nominale, suffixée de degré plein ... *pehǵ-os.


C'est luiiii, ce *pāgo-, qui va nous intéresser ici.



Car le sens (reconstruit, bien sûr) qu'on lui attribue, c'était celui de ... district.

Oui oui. Il n'y a pas de doute. 
C'est bien la même racine qui est à l'origine tant du verbe *pang-, “attacher”, que du substantif *pāgo-, “district”.


À votre avis, comment peut-on l'expliquer ?

Mmmh ?


Évidemment, puisque vous avez pris le temps de lire Guerre et Paix. Et saucisse,
- ce dont je vous remercie -,
vous percevez que le champ sémantique de notre *pehǵ- ne se résume pas qu'à “attacher”, qui n'est finalement qu'une notion, une idée générique

Mais non ; ce qui peut expliquer que “fixer”, “enfoncer” sont autant de sens que certains de ses dérivés ont pu prendre par la suite...

Et l'italique *pāgo-, que l'on traduit génériquement par “district” correspond à l'idée d'enfoncer. De planter, même.

D'enfoncer une ... borne. Planter une ... borne frontière

borne frontière


Eh ! Tout s'explique ...

*pāgo- représentait, étymologiquement, un territoire ... borné.


Et donc, reprenons :


**************

*pehǵ-“attacher
forme nominale suffixée de degré plein *pehǵ-os
substantif proto-italique *pāgo-, “district

**************

Oui ?


C'est précisément de l'italique *pāgo-, “district” que sera issu le latin ... pāgus, qui signifiait notamment, et en toute logique, “district, province, région, canton...”, mais qui pouvait aussi désigner une zone en-dehors de la ville, la campagne, et même aussi, par métonymie, ceux qui y vivent, entendez une communauté rurale...


**************

*pehǵ-“attacher
forme nominale suffixée de degré plein *pehǵ-os
substantif proto-italique *pāgo-, “district
latin pāgus, “district, province, région, canton...”,“campagne, communauté rurale...

**************



Au Moyen Âge, alors que le latin médiéval utilise toujours le terme pāgus pour désigner le canton, on employera,
créé sur pāgus suivi du suffixe locatif et/ou d'appartenance -anus,
le terme pāgānus pour désigner le campagnard, ce qui est propre à la campagne, rustique.

Mais ... à la même époque, un autre terme est couramment employé, pagensis,
littéralement “du canton”,
pour désigner ... l'habitant de ce même canton.


D'ailleurs, lorsque pāgānus, par altération de sens, revêtira le sens précis de païen
(euh oui, païen est issu de pāgānus, je ne pense pas que ce soit une surprise),
pagensis l'évincera dans cette acception de campagnard, d'habitant du canton.


C'est du côté de 980, par là, que sera attesté notre ancien français pais /païsissu précisément de ce latin médiéval pagensis.

Ancien français pais /païs dont provient, faut-il le préciser, notre français pays.

Et donc, oui, notre pays désigne avant tout l'habitant d'un pagus, d'un canton, un villageois.

À force de parler de territoires divers (comme des agers, ces paroisses médiévales, ...) en les qualifiant de pagensis (ager pagensis...), on finit par confondre le territoire et son habitant.

C'est à ce moment que notre beau pays en vint à désigner un territoire. Enfin.

Pays de Galles


**************

*pehǵ-“attacher
forme nominale suffixée de degré plein *pehǵ-os
substantif proto-italique *pāgo-, “district
latin pāgus“district, province, région, canton...”,“campagne, communauté rurale...
latin médiéval pagensis “(habitant) du canton
ancien français pais /païs (cira 980)
confusion de sens 
sens de territoire
français pays

**************


Bon, on va en rester là.

Mais, pour ce dimanche, seulement, hein.

Car il y a tellement de choses à dire sur *pehǵ-, sur ses dérivés italiques et latins - que nous n'avons fait qu'aborder ici -, sur tous ses cognats indo-européens...

Je vous le dis, on est parti pour une jolie petite série d'articles autour de la charmante *pehǵ-...






Chères
lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !





À ... dimanche prochain,






Frédéric




PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,


du Purcell.

Un très très (trop) court extrait de son opéra Dido and Aeneas,

Shake the cloud from off your brow,

chanté par la superbe soprano Rowan Pierce, magistralement accompagnée par the Academy of Ancient Music


Une sorte de mise en bouche,
qui devrait vous donner envie d'en dévorer la suite,
comme cet article, peut-être...




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article suivant : C'était il y a très, très, très longtemps ...

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour Frédéric.
Merci pour ce "dimanche indo-européen" que je lis souvent en semaine mais toujours avec beaucoup de plaisir.
Je me demandais si cette racine *peh₂ǵ-. n'aurait pas donné "pegar" (coller) en espagnol. C'est tentant!
A dimanche.
Jean-François Olivier

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Jean-François,

Merci de votre commentaire, et de votre appréciation !

Pour l'espagnol pegar, effectivement, c'est tentant... Mais hélas, non, pegar dérive, comme le français "poix", du latin pix, picis, "enduire de goudron...", le latin vulgaire *picāre - merci à Romain Garnier - signifiant "être poisseux".

Bien à vous,
Frédéric