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dimanche 5 avril 2020

छुआछूत हमारा समाज का विष है।, chuāchūt hamārā samāj kā viṣ hai, "L'intouchabilité est un poison de notre société"




“- Regrettez-vous votre crime?

- Ca va dépendre de vous.
Si vous me condamnez, je le regretterai.
Si vous m'acquittez, non.


le merveilleux Michel Simon,
dans La Poison, 1951,
écrit et réalisé par Sacha Guitry


















Bonjour à toutes et tous !



En ce dimanche 5 avril de l'an de grâce 2020, où nous sommes pour la plupart confinés, terminons l'étude étymologique de... coronavirus.






Nous avions commencé cette étude avec...
Le Corbeau et le Renard, c'est de Corneille ?, le 15 mars 2020.

Ensuite, nous la poursuivîmes vaillamment, avec... 
-Au nord, c'était les... -NON. -Mais enfin ?-NON. Non non. Non. NON., le 22 mars,
et...
du virus de l'étymologie à l'étymologie de virus, le 29 mars dernier.



Petit rappel des épisodes précédents ?


Du composé coronavirus, le terme corona- nous arrive,

par le latin corōna, guirlande, couronne...”,
du grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...”, issu, lui,
de la racine indo-européenne *kor-u/n-, qui désignait le corbeau.
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racine indo-européenne *kor-u/n-, “corbeau

grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...

emprunt

latin corōna, guirlande, couronne...”

emprunt savant (années 1960)

français corona- dans le composé coronavirus

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Quant à notre français virus, il nous arrive,

par le latin vīrus, visqueux et puant : suc des plantes, semence animale...”,
lui-même issu de l'étymon italique *weis-o-(s-), “poison”,
de la forme nominative indo-européenne *ueis-, “poison”.

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forme indo-européenne nominative *ueis-, “poison

étymon proto-italique *weis-o-(s-)“poison

rhotacisme

latin vīrus, visqueux et puant : suc des plantes, semence animale...”

emprunt (1478)

français virus

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En ce nouveau dimanche de confinement, nous terminerons notre étude par un tour des cognats issus de la racine *ueis-, “poison”, mais que l'on peut trouver cette fois dans d'autres langues indo-européennes que le latin.

Bien d'autres langues...






Pour rappel
(relisez l'article de la semaine dernière si nécessaire),
selon de Vaan, si le latin vīrus est issu, par l'italique *weis-o-(s-)“poison”, d'une forme indo-européenne nominative *ueis-, ses cognats dans les autres langues indo-européennes sont, eux, issus d'une forme *uis-os- de cette même racine, mais propre aux cas obliques.

Tous les mots que nous découvrirons aujourd'hui remontent donc à cette seconde forme, que vous trouverez encore retranscrite *wis-os-, ou, comme c'est le cas chez Beekes, *uiso-.

Mais rassurez-vous, il s'agit toujours bien de la même racine... 


bonnet blanc et blanc bonnet


Allez, on y va.

Commençons donc par le grec ancien... ἰός, iós, “poison”.




Robert Beekes nous explique que nous avons affaire ici à l'ancien mot pour poison, qui fut, dans de nombreuses langues, remplacé par des mots plus récents. 
Ben oui, comme en français, les amis. Et s'il vous vient l'envie de relire ce que vous racontait le dimanche indo-européen à propos de notre français poison, c'est ici que vous devez cliquer :
m-moi, b-bu? M-mais j-je r-reviens d-d'un c-c-col.. colloque!!??



Dans les langues celtiques, cette fois,

notre racine *uis-os- se retrouve notamment,
par l'étymon celtique *wisu-“poison,
  • dans la famille gaélique, avec le moyen irlandais “poison”, attesté surtout dans les oeuvres poétiques,
  • dans la famille des langues brittoniques, avec le gallois gwy, “fluide, eau...,
et
  • dans la famille des langues celtiques continentales, avec le gaulois uisumaros.


Xavier Delamarre,
dans son Dictionnaire de la langue gauloise,
nous apprend que ce composé uisu-maros,
dont le deuxième terme (-maros, pour les moins-bien comprenants) descend en toute vraisemblance du proto-celtique *māro-“grand”,
désignait, curieusement, le... trèfle.

Oui oui, vous lisez bien, le trèfle.



Une explication, peut-être ?

Le gaulois uisu désignait avant tout le suc, le jus. En l'occurrence, la sève.

Et ce *maro- peut se comprendre comme “grand en...”, entendez “riche en...”.


Ce joli uisumaros signifie donc littéralement “riche en suc, en sève...”, ce qu'est bien le trèfle, juteux, plein de sève, et particulièrement apprécié du bétail.


Le bétail n'aime pas que le trèfle, cependant ; preuve en est l'actuelle ruée vers le PQ.



... et comme souvent, tout se tient.











Mais continuons...



En sanskrit, notre douce, mais dangereuse *uis-os- a donné, 
par le proto-indo-iranien *wišás, 
puis le proto-indo-aryen *wiṣás,
विष, viṣa, pour poison, venin...







Sanskrit विष, viṣa, qui a pas mal essaimé...

Outre les emprunts qu'il a inspirés
(oh, de l'hindi विष, viṣ, au thai พิษ, pít, en passant par le khmer ពិស, pɨh, le kannada
(non, ce n'est pas la langue de Trudeau, mais l'une des plus anciennes langues dravidiennes)
ವಿಷ, viṣa...),

Outre donc toute une série d'emprunts, nous pouvons notamment retrouver, issus de विष, viṣa...
  • par l'étymon proto-darde *biṣá-, le kalasha biṣ,
  • le pali - la langue dans laquelle ont été rédigés les textes du canon bouddhique - visa,
  • le  prâkrit saurashtra - simple forme de gujarati transplantée en Inde du Sud ; ne vous tracassez pas - 𑀯𑀺𑀲, visa,
ou encore...
  • l'hindi बिस, bis.



Notons aussi les très beaux avestiques
  • vīša-“venin, poison” et
  • š, “poison, jus empoisonné”.





Ah oui !

Les langues dardes (ou dardiques) constituent une sous-famille du rameau indo-aryen des langues indo-iraniennes.


les langues dardes au sein des langues indo-européennes
(source)


Quant au kalasha, il s'agit précisément d'une de ces langues dardes ; il se parle dans le district de Chitral (province de Khyber Pakhtunkhwa) au Pakistan, et ce par quelques milliers de personnes.




Swat, Khyber Pakhtunkhwa


Psss ! Nous avions déjà parlé des langues parlées dans la province pakistanaise du Khyber Pakhtunkhwa... Profitez, vous êtes confinés !
A la vue des Nippons, c'est la Chine qui se lève, ou le Tadjikistan?



Enfin, enfin...

Notre adorable mais perfide *uis-os- est allée se perdre aux confins extrême-orientaux du domaine indo-européen...

Jusque dans le bassin du Tarim !




Car on en retrouve des dérivés dans les langues dites tokhariennes
(en fait, en agnéen, dit tokharien A, et en koutchéen, dit tokharien B),
via l'étymon (non-attesté, hein) *wä́së-,

avec 
  • le tokharien B wase, “poison, venin”, et 
  • le tokharien A de même sens, wäs.







Au moins, vous comme moi, avec cette lointaine petite racine, nous avons pu nous échapper.


La Grande Évasion




Remarquez également ce juste retour des choses :

En retraçant l'étymologie de coronavirus, nous sommes revenus en Chine.

Bon, entre le bassin du Tarim et la ville de Wuhan, il y a un peu plus de 3500 kilomètres, mais on ne va quand même pas chicaner.

Je ne vous ferai en tout cas pas remarquer que les glorieux locuteurs de l'agnéen et du koutchéen arrivèrent arrivés à pied par la Chine.
Ce serait proprement indigne du niveau intellectuel et culturel de ce blog.



Ah oui, j'oubliais ! छुआछूत हमारा समाज का विष है।, c'est de l'hindi, où vous aurez bien entendu reconnu विष, viṣ, emprunté au sanskrit विष, viṣa.



Chères lectrices, chers lecteurs,
surtout, surtout,

protégez-vous bien.


Portez-vous bien.
Et tenez bon !




Frédéric




PS : dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.

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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,


du Bach.

Un morceau d'une infinie tristesse, mais tellement beau.

D'un Jean-Seb qui aurait presque oublié de mettre la mélodie au service de l'harmonie,
comme il aimait tant le faire,

qui s'exprime ici, sur une double mélodie (quand même ; on n'se r'fait pas),
une mélancolie si tangible...

Voici le largo ma non tanto
du
Double concerto pour violon en ré mineur BWV 1043,

ici dans une remarquable version confinée, par l'orchestre de Covent Garden
(je sais, on dit plus ça, et alors ?).



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