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dimanche 18 octobre 2020

ընդ մահճօք, ənd mahčōk

  




En yoga, Adho Mukha Śvānāsana,
ou posture du chien tête en bas,

en sanskrit, अधोमुखश्वानासन, adhomukhaśvānāsana, composé de 
अधस्, adhas, “vers le bas”
+ मुख, mukha, “tête
+ श्वान, śvāna, “chien
+ आसन, āsana, “asana”.






Bonjour à toutes et tous !


Nous sommes le dimanche 18 octobre 2020, et nous traquons encore et toujours les dérivés de notre cluster (je me devais de le placer) de racines indo-européennes, 

*n̥dhi- et sa variante *n̥dhe-, sous, dessous...,
(H)ndʰ-er-“sous, en-dessous...”, et
*ndʰero-, “plus bas...”.



pont inférieur





Pour rappel, *n̥dhe- et (H)ndʰ-er- se sont construites à partir de la première, *n̥dhi-, et *ndʰero- dérive de (H)ndʰ-er-.

Schématiquement, ça donnerait ceci :

***

*n̥dhi-sous, dessous...
*n̥dhe- (de même sens, ou de sens très proche)  ⇒ gaulois ande-, dessous, en dessous... 
et
(H)ndʰ-er-“sous, en-dessous...” ⇒ germanique *under-

***

(H)ndʰ-er-“sous, en-dessous...”
*ndʰero-, “plus bas...” ⇒ latins inferus, infernus.

***



🜛🜛🜛


Mais avant tout, faisons le le point.





Des dérivés de *ndʰero-, “plus bas...”, nous connaissons (notamment) déjà...

  • issu du latin dialectal infernus, plus bas, inférieur”, 
  • enfer

**********

racine proto-indo-européenne *ndʰero-, plus bas...
proto-italique *enþero-“plus bas...”
falisque ifra“dessous, au-dessous...”,
latin inferus, en bas, en dessous”,
latin dialectal infernus, “du bas, d'un lieu inférieur”

**********

latin dialectal infernus, “plus bas, inférieur”
évolution du sens
latin chrétien infernusroyaume des damnés
ancien français enfern (Xème)
français enfer

**********  

et
  • l'espagnol infierno, l'italien inferno, le catalan infern, le portugais inferno,
Plutôt l'enfer éternel avec mes morts que le paradis seul. - Pascal Quignard, 20 septembre 2020,
 
  • empruntés cette fois, directement ou indirectement, au latin infernus,
  • les néerlandais, allemand et anglais inferno, l'albanais ferr, le grec ινφιέρνο, infiérno ou l'irlandais ifreann,

 

  • emprunté au bas latin infernalis, notre 
  • infernal,

 

  • empruntés au latin inferus, à son comparatif īnferior ou superlatif īnfimus, nos...

  • infère, inférieur, infernal, infime, 

 

Des dérivés de (H)ndʰ-er-“sous, en-dessous...”,  nous avons (notamment) vu, 

  • issus du germanique *under-...
  • la préposition gotique 𐌿𐌽𐌳𐌰𐍂, undarsous, au-dessous de...”,
  • le vieil anglais under, qui donnera le moyen anglais under, duquel découleront l'anglais under et le scots unner, 
  • le vieux frison undersous, au-dessous de...”, dont est issu le frison occidental ûnder, 
  • le vieux saxon undar, d'où le moyen bas allemand under, ünder, d'où le bas allemand ünner et le plautdietsch (le bas allemand mennonite) unja, 
  • le vieux néerlandais under, d'où les moyen néerlandais et néerlandais onder, 
  • le vieux haut allemand untar, undar, under, sous, entre...”, d'où notamment l'allemand unter, comme dans Unterseeboot, ou U-boot, 
  • l'islandais undir, le féroïen undirsous”, le norvégien under, le vieux suédois undir, d'où le suédois under, le danois under

et, 
  • emprunté au germanique,
  • le galicien ontre, entre, parmi...

 

Enfin, nous avons rencontré des dérivés de *n̥dhe- en gaulois, tous composés sur le gaulois ande-, dessous, en dessous...”, comme :
  • andamica, “(de qualité) inférieure”,
  • andedios“inférieur”
  • andernad-, ceux qui sont en bas” ; 
  • anderos“qui est au-dessous, inférieur, infernal”,

🜛🜛🜛


Pas mal, non ?


Allez, aujourd'hui, comme promis, quelques dérivés plus... exotiques...

Ils nous serviront de bouquet final, pour clore ce beau chapitre...







Allons-y !

Notre douce racine *n̥dhi-, sous, dessous...se retrouve en arménien classique !
Avec très précisément la préposition ընդ, ənd,
que l'on pourrait qualifier de mot fourre-tout, mais ce serait vraiment méchant.
Mais c'est comme ça, on peut lui attribuer, à ընդ, ənd , un nombre ahurissant de sens divers, de à la place de” à en direction de, en passant par avecau travers”, à partir de”, par... ... ...

Mais là où la jolie ընդ, ənd nous intéresse particulièrement, c'est dans son emploi à l'instrumental, où elle signifie tout simplement... sous”, comme dans
ընդ մահճօք, ənd mahčōk, “sous le lit”.



Amusant
(enfin... pour des gens comme moi ; pour les gens normaux, je ne sais pas trop),

à l'instar du germanique qui a fait une magistrale tatouille de *(H)ndʰ-er-sous, en-dessous... et de *h₁(e)n-tér-, “entre, à l'intérieur”, 

oh ! mais relisez Hún gengur undir nafninu „engill dauðans“, enfin !,

l'arménien ընդ, ənd a également comme sens “entre”, comme dans ընդ երկինս եւ ընդ երկիր, ənd erkins ew ənd erkir, entre le ciel et la terre”.


entre ciel et terre
(source)




Encore plus à l'est, en proto-indo-iranien , nous reconnaîtrons plutôt la forme *n̥dhe-, sous, dessous...
(qui ne serait peut-être bien que notre *n̥dhi- au génitif singulier, mais je serai prudent)

 dérivée dans l'adverbe (non attesté) *Hadʰás, “en bas, au-dessous, vers le bas...”.


Si l'on postule l'étymon hypothétique *Hadʰás, c'est évidemment parce que l'on peut le reconstruire à partir de ses descendants, comme...

  • le sanskrit अधस्, adhás, préposition signifiant, sans surprise, sous, au-dessous de ...

ou encore

  • l'avestique 𐬀𐬛𐬇‎, adə̄, de même sens.


rien de plus simple que l'alphabet sanskrit




Toujours en proto-indo-iranien,
mais cette fois à partir de la forme indo-européenne (H)ndʰ-er-“sous, en-dessous...”,
nous pouvons reconstruire l'étymon (non attesté, hein) *Hadʰáras, adjectif dont le sens est,
toujours sans surprise,
“bas, inférieur”.


Dans les langues indo-aryennes, il donnera notamment l'adjectif sanskrit अधर, ádhara“bas, qui tend vers le bas, plus bas, inférieur ou même vil.


Et dans les langues iraniennes, mmmh ?

Mais oui ! On retrouvera *Hadʰáras par exemple sous les traits de son descendant l'avestique 𐬀𐬜𐬀𐬭𐬀‎, aδara“bas, inférieur”.


À noter encore que le substantif sanskrit अधर, ádhara, désigne, lui, la... lèvre inférieure, et par extension, la lèvre, tout court.





J'espère que vous vous rappelez ce que nous avions dit des dérivés latins de *ndʰero-, plus bas...?

Car si l'on peut comparer, par la construction formelle et par le sens, le proto-indo-iranien *Hadʰáras au latin īnferusen bas, en dessous”, nous pouvons encore lui trouver un superlatif construit de la même façon que le latin īnfimus, “(qui est placé) le plus bas” :
l'adjectif *Hadʰamás, “(qui est placé) le plus bas”.

Entre nous, c'est surtout grâce à ces rapprochements grammaticaux que l'on peut affirmer qu'il y a bien une langue-mère dont sont issues, en l'occurence, le latin et les langues indo-iraniennes (euh oui, je parle de l'indo-européen). Car même si de simples mots peuvent être empruntés d'une langue à l'autre, il est bien peu probable qu'une langue en vienne à emprunter une construction grammaticale à une autre !
 
Allez ! L'étymon indo-iranien *Hadʰamás, “le plus basse retrouve par exemple...
  • en sanskrit, avec अधम, adhamá“le plus bas”, mais aussi “le plus vil, le pire”,

le plus vil, c'est Satanas


ou, dans les langues iraniennes, 
  • en ormuri
(une langue iranienne hélas sur le point de s'éteindre, qui se parle encore dans le village pakistanais de Kaniguram, district du Waziristan du Sud),
avec jēm“le plus bas”.

 


Kaniguram


(Kaniguram indiqué par le repère rouge)





Mes amis, auriez-vous jamais imaginé que notre français enfer était si proche de l'anglais under, de infime, qu'il avait un cousin gaulois ande-, et que l'on retrouvait des mots qui lui sont apparentés dans des langues aussi lointaines que l'arménien, le sanskrit ou l'ormuri ?




Eh oui, prendre conscience de ce fantastique patrimoine multi-millénaire qui nous appartient à tous, qui nous permet de jeter des ponts entre des mots à première vue totalement étrangers, dont certains proviennent de langues parlées à des milliers de kilomètres de chez nous, n'est-ce pas magnifique, prenant, passionnant ?

Merci qui ? Mais... l'indo-européen, pardi !









Passez un excellent dimanche, une très belle semaine.
Et surtout, surtout, portez-vous bien, 




Frédéric







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ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter en beauté...

du Bach.

Voici, de la Messe en si mineur BWV 232,

Gloria, Et in terra pax,

par

le Choeur de l'Université de Varsovie et
le Beethoven Academia Orchestra,
sous la direction endiablée
de Irina Bogdanovich (en brune, la semaine dernière)
  



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