article précédent : La Tour Infernale, c'était du côté du XVème ?
J'ai été fasciné, subjugué par certains commentaires publiés sur Facebook sous l'article de la semaine dernière, remarquablement hors de propos.Visiblement, certains “lecteurs” à l'activité neuronale mal canalisée avaient estimé nettement plus intelligent de commenter la photo de Jean d'Ormesson figurant en exergue (et qui apparaissait sans que l'on doive ouvrir l'article ; ceci expliquant cela) plutôt que de commenter... l'article.Ça fait quand même peur.
Voilà pourquoi je tente le coup cette semaine en commençant l'article avec cette illustration pseudo-mythologique nordique, qui devrait peut-être moins attirer les âneries... (Je vous tiendrai au courant.)
Bonjour à toutes et tous !
En ce premier dimanche d'octobre 2020, nous continuons notre étude commencée il y a deux semaines avec la racine indo-européenne... *ndʰero-, “plus bas...”.
Notre *ndʰero-, pour tout vous dire, est elle-même dérivée d'une autre racine indo-européenne, que Guus Kroonen
- Etymological Dictionary of Proto-Germanic -
retranscrit sour la forme *(H)ndʰ-er-, et à laquelle on donne communément le sens de... “sous, en-dessous...”.
(Pour en savoir plus sur ce proéminent H au début de la racine, voyez le titre voyelles-pivots et théorie des laryngales, dans Éléments de linguistique.)
Passons donc à présent, en compagnie de Guus Kroonen, à...
*(H)ndʰ-er-, “sous, en-dessous...”
Mais... faisons le point d'abord...
enfer
Plutôt l'enfer éternel avec mes morts que le paradis seul. - Pascal Quignard, 20 septembre 2020
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racine proto-indo-européenne *ndʰero-, “plus bas...”
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proto-italique *enþero-, “plus bas...”
⇓
falisque ifra, “dessous, au-dessous...”,
latin inferus, “en bas, en dessous”,
latin dialectal infernus, “du bas, d'un lieu inférieur”
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latin dialectal infernus, “plus bas, inférieur”
⇓
évolution du sens
⇓
latin chrétien infernus, “royaume des damnés”
⇓
ancien français enfern (Xème)
⇓
français enfer
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- issus du latin infernus, une multitude de dérivés dans les langues romanes, dont, par exemple...
l'espagnol infierno, l'italien inferno, le catalan infern, le portugais inferno,
- empruntés cette fois, directement ou indirectement, au latin infernus,
les néerlandais, allemand et anglais inferno, l'albanais ferr, le grec ινφιέρνο, infiérno ou l'irlandais ifreann,
- emprunté au bas latin infernalis, notre
infernal,
- empruntés au latin inferus, à son comparatif īnferior ou superlatif īnfimus, nos...
infère, inférieur, infernal, infime,
La Tour Infernale, c'était du côté du XVème ?, 27 septembre 2020.
Aujourd'hui, amis lecteurs, que diriez-vous d'aller jeter un coup d'oeil du côté des langues... germaniques ?
Car oui, notre douce indo-européenne *(H)ndʰ-er-, “sous, en-dessous...”, y a laissé des...
traces...
C'est par l'étymon germanique (reconstruit) *under- que l'on explique ses différents dérivés germaniques.
Il y a cependant un petit mais.
Oh, rien de grave, non, rien de méchant, pas du tout...
Mais bon... le sens que l'on attribue au germanique *under-
(qui est soit dit en passant tout autant adverbe que préposition)
est... double.
si vous voulez, oui : comme le gras. (Gras-double fondant a la lyonnaise) |
Oui, à côté du sens très logiquement attendu de “au-dessous, sous...”, on prête aussi à *under- celui de... “parmi, entre...”
Ah ça !
Bon, c'est gentil, mais n'exagérez pas non plus |
Mais comment l'expliquer ?
Ah ! Tout simplement par collision.
Télescopage, si vous voulez. Voire amalgame.
Quelque part, il y a eu confusion, mélange.
On peut bien entendu supposer que la branche germanique de la famille Ucon y soit pour quelque chose.
- Mais euh !? Fernand Ucon, dont la famille a tenté de saccager le français. Relisez déjà ceci : Es war einmal mitten im Winter, und die Schneeflocken fielen wie Federn vom Himmel herab... |
Oui, on constate que deux racines indo-européennes, relativement proches par la forme mais pourtant bien différentes par le sens, ont littéralement fusionné en germanique.
Je veux parler de notre *(H)ndʰ-er-, “sous, en-dessous...” et de *h₁(e)n-tér-, “entre, à l'intérieur”.
Nous avions déjà parlé de *h₁(e)n-tér- à l'occasion de ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite, il y a pratiquement 6 ans jour pour jour (!). À cette époque, je l'avais retranscrite sous la forme que Watkins proposait : *en-t(e)ro-.
(Quant à la racine *en- dont cette forme allongée provenait, je la retranscrirais aujourd'hui en *h₁én-, pour respecter les conventions de retranscription plus récentes, mais on parle toujours bien de la même chose !)
Et donc, on ne sait trop comment...
- même si personnellement, j'ai ma petite idée -
mais il y a eu confusion !
Et l'étymon germanique hérité de ce carambolage sémantique, *under-, produira des dérivés qui tantôt reprendront la sémantique de “sous, en-dessous...”, tantôt celle de “entre, à l'intérieur”.
Commençons notre tour des dérivés du germanique *under- par...
- la préposition gotique 𐌿𐌽𐌳𐌰𐍂, undar, “sous, au-dessous de...”.
dessous gothiques |
Dans les langues germaniques occidentales, pointons encore...
- le vieil anglais under, qui donnera le moyen anglais under, duquel découleront l'anglais under et le scots unner,
- le vieux frison under, “sous, au-dessous de...”, dont est issu le frison occidental ûnder,
- le vieux saxon undar, d'où le moyen bas allemand under, ünder, d'où le bas allemand ünner et le plautdietsch (le bas allemand mennonite) unja,
- le vieux néerlandais under, d'où les moyen néerlandais et néerlandais onder,
ou
- le vieux haut allemand untar, undar, under, “sous, entre...”, d'où notamment l'allemand unter, comme dans Unterseeboot, ou U-boot.
Das Boot, Wolfgang Petersen, 1981 |
Et puis, issus du... vieux norois - Mais OUIIIII ! -, du vieux norois undir, “sous, en-dessous...” , citons encore...
- l'islandais undir, comme dans “undir fjögur augu”, littéralement “sous quatre yeux”, pour confidentiellement, rien qu'entre toi et moi,
- le féroïen undir, “sous”, comme dans “le pinnipède dont le crâne se brise joyeusement en deux sous ma hache”,
- le norvégien under,
- le vieux suédois undir, d'où le suédois under,
- le danois under,
ou
- le gutnisk (mais oui, la langue de l'île de Gotland, dans le sud de la Suède) undar, unda, undur.
Gotland |
Enfin...
en Botnie occidentale (Suède), si vous avez pu briser les congères qui vous empêchent d'ouvrir la bouche, vous arriverez peut-être à prononcer, même si à grand peine...
- önner, unnär, undi.
Botnie occidentale, ou västerbotten (source) |
Avant de nous quitter, une dernière gâterie...
Dans la rubrique “incroyable mais vrai”, dans notre cabinet des curiosités à nous,
Oui, il s'agit du galicien ontre, “entre, parmi...”
Le mot est attesté en ancien galicien dans les Cantigas de Santa Maria,
ce recueil de chansons monodiques rédigé pendant le règne du roi de Castille Alphonse X dit Le Sage (1221-1284)
et c'est, en toute transparence, sous la forme unter qu'il apparaît dans le latin médiéval propre à la région, ce qui permet de lever tout doute.
enluminure des Cantigas de Santa Maria |
- Comment se fait-ce ? Comment ce mot a-t-il pu être emprunté au germanique ???
- Oh, c'est vraisemblablement par les Suèves que le mot est arrivé là.
- Les Suèves ? Maisje ??
Les Suèves (en latin, Suevi ou Suebi) étaient un groupe de tribus germaniques qui participèrent aux grandes invasions de la fin de l'Empire romain.
Durant les Invasions barbares, une partie d'entre eux va traverser la Gaule jusqu'en... Espagne et fondera même un royaume dans l'actuelle... Galice.
Ben voyons.
Royaume qui perdura de 410 à 584 avant d'être absorbé dans le Royaume Wisigoth.
Et là-dessus, je vous laisse.
Passez un excellent dimanche, une très belle semaine.
Et surtout, portez-vous bien,
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter en beauté...
Ah, l'Espagne...
Les Suèves m'y ont emmené, par la Gaule.
Voici donc le nostalgique Pavane pour une infante défunte,
d'un compositeur français, Ravel
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