- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 17 janvier 2021

Otros la cantarán con más fortuna...

              



Otros la cantarán con más fortuna,
Con talento mayor; y hasta los astros
Alzar conseguirán su ínclito nombre
En las alas del Genio arrebatados.


traduction sur un coin de table :

“D'autres la chanteront avec plus de succès, 
Et plus de talent ; et jusqu'aux astres
parviendront à hisser son illlustre nom,
Enlevés sur les ailes du Génie.


Extrait du poème Cristina,

chant nuptial (Canción epitalámica)
- j'aurais pu traduire le titre de ce poème par chanson épithalamique, mais on m'aurait certainement reproché mon manque d'esprit de vulgarisation -
que Manuel José Quintana écrivit à l'occasion du mariage de Ferdinand VII d'Espagne et de Marie Christine Ferdinande de Bourbon (Cristina, le franc tombe ?).


Je crois qu'on peut dire que ce poème est à peu près la seule chose valable que l'on puisse tirer du règne mouvementé de ce roi despotique et répressif qui aspirait au pouvoir absolu.

Il semble que Cristina, épousée en quatrièmes noces, plus libérale que lui - ce qui était assez facile, admettons-le -, eut cependant une influence positive sur ce monarque d'un autre temps, et réussit à tempérer ses velléités d'absolutisme.


Manuel José Quintana,
poète espagnol,
11 avril 1772 - 11 mars 1857.

Comme cette Canción epitalámica vous l'atteste,
sa très belle plume pouvait aussi être remarquablement hypocrite.
 Qu'à cela ne tienne, on ne la faisait pas à Ferdinand VII,
qui l'écroua pour plusieurs années.
Simple, propre, efficace.





Bonjour à toutes et tous !


Nous sommes le dimanche 17 janvier 2021, et nous poursuivons, tranquillement, l'étude des dérivés de la racine indo-européenne...

*ḱleu-entendre”.





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Avant tout, le point !



Nous savons déjà que le lud- de Ludwig en est un beau dérivé, par l'étymon germanique *hlūda-, “bruyant, sonore”....
Et aussi que ce *hlūda- est à l'origine de l'anglais loud, “bruyant, sonore”, ou encore du néerlandais luid, de même sens.

Nous avons ensuite appris que par *ḱleus-, une forme allongée de notre *ḱleu-entendre”, nous arrivaient notamment l'allemand lauschen et l'anglais listenécouter”.
The Audience is Listening, 27 décembre 2020

Nous avons découvert, également, que (notamment) le vieux norois hljóðécoute, son, silence”, l'allemand littéraire Leumundréputation...”, ou l'islandais hler, écoute, écoute aux portes”, en provenaient.

Nous savons encore, depuis le 10 janvier 2021, que de notre *ḱleu-entendre”, descendent l'islandais hlýr, joue”, avant d'un navire”, joue d'une hache”, ou même l'anglais (obsolète) leerjoue, visage, complexion...”.
🜛🜛🜛



Aujourd'hui, mes amis, nous allons nous attaquer aux dérivés italiques
- d'où la fonte choisie ; je suis en forme, aujourd'hui, non ? -
de notre si vaillante *ḱleu-entendre”.


Si, pour ses dérivés germaniques,
j'avais pillé le Etymological Dictionary of Proto-Germanic de Guus Kroonen,
pour ses dérivés italiques,
je me rabattrai sur le Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages


de Michiel de Vaan,


tiré de la même prestigieuse série (Leiden Indo-European Etymological Dictionary).



Et OUI, comme vous pouvez le constater
- je m'adresse ici non pas à mes amis Français, mais à certains franchouillards (je connais des Belges qui le sont) -,
tous ces volumes sont en... ... ...anglais !



Vous rappelez-vous
(question purement rhétorique ; évidemment, que vous vous le rappelez)
*(h)lūt, le premier terme du composé germanique *Hlūd-awīg- qui évoluera plus tard en Ludwig ? (dans - Ludwiiiiiig !, pour la nième fois ! - Aber... Was ?)

*(h)lūt pouvait signifier “bruyant, sonore”, mais aussi “célèbre, renommé”, ce qui peut s'expliquer par le simple fait que pour être connu, il faut que l'on ait entendu parler de vous, que l'on ait entendu vos exploits (ou lu votre blog, bien sûr).

Cette sémantique attachée à *ḱleu-entendre”,
que je qualifierais de secondaire puisque la célébrité ne provient que du ouï-dire,
n'est pas cantonnée au domaine germanique.

Oh que non !




Certes, c'est encore elle qui est portée par le germanique *hleumunda-, “réputation, renommée”, dont descendra l'allemand littéraire Leumund, “réputation...”.

Mais nous allons la rencontrer ailleurs, je vous le garantis...




Et dans les étymons italiques issus de notre *ḱleu- , c'est clairement elle qui prédomine. 


Subtilement, de Vaan retranscrit notre
- désormais célèbre, osons le dire -
*ḱleu-entendre”, sous la forme *ḱl(é)u-.

Mais oui : en mettant littéralement entre parenthèses la voyelle-pivot *e-, il sous-entend que ce n'est pas son degré plein *ḱleu-, mais plutôt son degré (ou timbre) zéro
(donc - tous ensemble - SANS VOYELLE-PIVOT euh -)
zéro degré

qui sera à l'origine des étymons italiques que nous lui connaissons. 


En d'autres termes, c'est à partir de *ḱlu-
*ḱleu- sans son e, pour les comprenant bien mais un peu plus lentement et autres Brexiteers -


que de Vaan reconstruit ses dérivés proto-italiques, notamment...

  • le passif *klu-ē-, “être connu”,
et
  • le participe passé *klu-to-, “connu”, issu, lui, de *ḱlu- via une forme *ḱlu-to-
(et c'est là que les franchouillards auxquels je m'adressais précédemment regrettent cruellement que notre racine n'eût pas été *ḱli-, mais passons. Vulgarisation, oui, vulgarité, non).



En sud-picène - oui, carrément -, de Vaan nous livre, issue de *klu-ē-, “être connu”, la forme verbale,
- et attestée, en plus ! -
kduíú, littéralement “je suis appelé” ; à interpréter comme “on m'appelleon me nommeon me connait (comme)”...


OH !, oui, je sais : Quoi ?? Sud-picène ???.

Vous êtes tellement prévisibles...



Le sud-picène
- également appelé picène du sud -,
est une langue italique parlée dans la partie... s... su... sud - oui, bravo ! du Picénum, région de l'Italie antique qui se situait dans la région actuelle des Marches.
À propos des Marches, je ne peux d'ailleurs que vous inviter à relire certaines marques de chaussures sont plutôt faites pour se faire remarquer que pour marcher, premier article d'une série absolument passionnante consacrée à la racine indo-européenne à l'origine du mot.

(je n'écris pas trop vite ?)

Quant au nord du Picénum, on y parlait le... le... n... no... OUI ! le nord-picène.
Ce qui, finalement, arrangeait tout le monde.

(Si ce n'est qu'en un premier temps, les locuteurs du nord-picène résidaient au sud de la région, et les locuteurs du sud-picène, au nord. Après moult palabres, et en pensant aux générations futures de linguistes qui ne s'en sortiraient décidément pas, il fut décidé de déplacer les populations du nord au sud, et vice versa, comme se disaient les Romains, sidérés, qui assistaient à la manoeuvre.)

 

les langues italiques,
avec le nord-picène et le sud-picène


Enfin, sachez que pour ne pas vexer les locutrices picentines dont la tournure de langue était légèrement différente de celle des Picentins, les Romains, toujours très taquins, parlaient, pour englober dans une seule expression tant la langue des Picentins que celle des Picentines, DES picènes.
Des picènes. Voilà dévoilée devant vous l'origine d'épicènedont la forme ne varie pas selon le genre”, si apprécié aujourd'hui par ces immenses comiques que sont les activistes de l'inclusivité.


Bref.


Voilà pour le sud-picène kduíú, “on m'appelle”.


Toujours de l'étymon italique *klu-ē-, “être connu”, l'on fait descendre le latin clueō“être connu”.

Latin clueō dont on compte un dérivé latin, inclitus, au sens de “fameux, renommé”, voire carrément “illustre.

C'est précisément dans ce composé in-clitus que vous pouvez distinguer cet autre étymon italique que je vous avais mentionné, *klu-to-, “connu”, le préfixe in- faisant ici office d'intensificateur.


Alors, pour les grands malades et autres puristes qui me font l'honneur de suivre ce blog, OUI, il nous faut encore mentionner le dérivé latin inclutus, de même sens qu'inclitus.

de Vaan nous raconte que si l'on retrouve tout autant des occurrences d'inclutus et d'inclitus sur les inscriptions latines, inclitus semble plus fréquent auprès des auteurs plus anciens.

L'hypothèse est que, chronologiquement, c'est la forme inclitus qui est apparue en premier.
Et que, dès lors, cet inclutus, vraisemblablement ultérieur, pourrait n'être qu'une restauration du -u- original.

Une mini réfection, en quelque sorte. 
(Réfection ? Sur la version Web de ce blog

 - eh oui, il faut un peu chercher, mais sachez que le blog s'apprécie bien mieux sur un écran d'ordinateur, en mode Web -,

 vous trouverez un menu renvoyant à une page sans cesse - en fait, pas souvent - remise à jour, où je reprends, au fil de l'eau, notions et vocabulaire propres à la linguistique historique et indo-européenne ; je vous en donne le raccourci ici : Éléments de linguistique.)

 

- Bon, et ces latins clueō et inclitus / inclutus, que nous ont-ils donné en français ?
- Excellente question, je dois dire. Mais... la réponse sera... rien.




Non, ils ne nous ont rien donné. En français, du moins.
(On ne peut pas gagner à tous les coups.)

Si ses dérivés sont absents du français, le latin inclitus a cependant été emprunté dans d'autres langues romanes, et non des moindres...

On le retrouve ainsi, et toujours sous le sens original d'“illustre, fameux...
  • en italien, avec inclito,
  • en portugais, avec ínclito
et enfin 
  • en espagnol, avec ínclito.
Ce qui vous permet une nouvelle fois d'apprécier à quel point mes exergues sont bien choisis.


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racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
timbre zéro *ḱlu-
proto-italique *klu-ē-, “être connu
sud-picène kduíú“on m'appelle”,
latin clueō,-ēre“être connu

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
timbre zéro *ḱlu-
forme *ḱlu-to-
proto-italique *klu-to-, “connu
latin in-clitus“fameux, renommé
emprunts
italien inclito, espagnol et portugais ínclito, “illustre, fameux

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- Mais enfin, et le français clie...
- OUI, je sais !

On a pu effectivement, naguère - ou plutôt jadis -, rapprocher notre français client de clueō, -ēre, considérant que le latin cliēns, à l'origine de notre client, pouvait être une altération de cluēns, participe présent de cluēre.

Gaffiot lui-même optait pour cette théorie.

le grand Félix Gaffiot,
27 septembre 1870 – 2 novembre 1937


Mais voilà, à ma connaissance, du moins, plus personne de vivant n'ose encore se risquer à cette étymologie.

À présent, on évoque, sans trop se mouiller, une origine inconnue ; les plus courageux penchant plutôt pour une origine étrusque, ou alors
- la boisson aidant -
pour un rapprochement avec le latin clīnāre (qui donnera incliner).
penchant - incliner ! Wouahaha, décidément, je suis en forme.

Et si jamais certains se posent la question, je préciserai que notre péricliter,
emprunté début du XIVème au latin perīclitārī aux sens de faire l'essai de, risquer de”, “être en danger et “mettre en danger ,
n'a strictement aucun rapport avec notre *ḱleu-entendre”.

En effet, perīclitārī, au sens de essayer, risquer”,
lié sémantiquement et étymologiquement à -perīre/ī, trouver, expérimenter...” mais également étroitement apparenté à pariō, “porter, produire(d'où, par exemple, notre parturiente),
serait issu de la racine indo-européenne *pérh3-i-“fournir”. 



Et donc, au nombre des dérivés de notre jolie multi-millénaire *ḱleu-entendre”, nous pouvons ajouter,
à côté du Lud- de Ludwig, du Clo- de Clovis, des anglais loud et listen... (et plein d'autres encore),
le latin clueō, -ēre, son participe passé inclitus, l'italien inclito, ou encore les espagnol et portugais ínclito, “illustre, fameux”.

C'est fou, non ?
Eh oui, c'est ça, l'indo-européen ; il faudra vous y faire.





Nous continuerons,
dimanche prochain,
notre grrrand tour des dérivés de la ravissante ḱleu-entendre” !

D'ici là, protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric



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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter en beauté...

Tiré des Manuscrits de Tours, recueil de chants de fête du XIIIème (!),

voici

Nicholaus inclitus,

un chant

- un rondellus, pour être précis, "chant circulaire" -

à la gloire de (l'illustre) Saint Nicolas

Nicholaus inclitus 
Laudet omnis spiritus 
Factus est divinitus 
Presul cum leticia 
Laudet omnis spiritus 
Gubernantem omnia
Grex erat sollicitus 
Laudet omnis spiritus 
Quem pastoris obitus 
Leserat mesticius 
Laudet omnis spiritus 
Vox emissa celitus 
Laudet omnis spiritus 
Viam dixit aditus 
Serves vigilancia 
Laudet omnis spiritus 
Qui pectore positus
Laudet omnis spiritus 
Preferret intuitus 
Deferret insignia 
Laudet omnis spiritus 
Vigilare solitus 
Laudet omnis spiritus 
Sic est sacra deditus 
Presul in Lycia
Laudet omnis spiritus 


L'illustre Nicolas
Que tout esprit rende louange 
Est devenu par la volonté divine 
Evêque, avec joie
Que tout esprit rende louange 
A celui qui gouverne tout !
Le peuple était inquiet
Lui que la mort de son pasteur 
Avait blessé très tristement.
Une voix envoyée du ciel
A dit le chemin. L'entrée 
Puisses tu la conserver grâce
À ta vigilance
Celui qui, placé en son coeur,
Portera son regard en avant 
Revelera des choses remarquables
Habitué à veuiller 
Que tout esprit rende louange
Il fut ainsi consacré 
Evêque dans la sainte Lycie 
Que tout esprit rende louange 
A celui qui gouverne tout !

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