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dimanche 7 août 2022

ingens coacta vis navium est lintriumque ad vicinalem usum paratarum

 
article précédent : Tout de Goth




 ingens coacta vis navium est lintriumque ad vicinalem usum paratarum 

(« on rassembla une grande quantité de navires et de barques que l'on avait préparés au profit du voisinage »)


Tite-Live, 

court extrait de son Histoire Romaine,
Livre XXI : Les événements de l'année 219/218,
chapitre 26



Titus Livius, dit « Le Padouan »,
né à Padoue en 59 ou 64 av. J.-C. et mort en 17 à Padoue,
historien de la Rome antique


Obi Wan, dit « Le Padawan »,
né sur Stewjon en 50 ABY (50 ans av. la Bataille de Yavin)
et mort en 0 ABY sur l'Étoile de la Mort, système d'Alderaan,
Maître Jedi 





Chers lecteurs, bonjour.

Nous poursuivons l'étude des dérivés de la jolie indo-européenne

*ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».



Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ». 

Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
  • snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
  • sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
  • sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne », 
ou encore
  • tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».

Le 31 juillet, nous avons débusqué,

dans les langues germaniques, cette fois,

le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs, « village ».


Aujourd'hui, mes amis, allons creuser du côté des langues… italiques.


« Les langues italiques, qu'est-ce que c'est ? » auraient très bien pu dire les Talking Heads au siècle dernier, en 1977...




Considérez, dans la grande famille des langues italiques, deux sous-groupes :

Le sous-groupe des langues sabelliques 
(que je vous recommande ardemment d'appeler groupe des langues osco-ombriennes ; ça coûte peu de chose, mais tudieu, qu'est-ce que ça en jette),

avec notamment…

  • l'èque,
  • l'osque,
  • l'ombrien,
  • le samnite,
  • le marse,
  • le marrucin,
  • le sabin,
  • le volsque,
  • le lucanien,
  • le pélignien...
(j'vous jure, je n'invente RIEN)
 
Faites-moi confiance



Et puis, le sous-groupe des langues latino-falisques,

avec
- c'est nettement plus facile à retenir : il ne comprend que DEUX langues -
  • le falisque, parlé au nord de Rome,
et 
- mais non, OH ! pas le latino ; vous êtes lourds aujourd'hui -,


mais bien…
  • le latin, à l'origine parlé dans une petite zone toute mimi du centre-ouest de ce que nous appelons maintenant l'Italie, avant de s'étendre à tout l'Empire romain…


Mentionnons encore deux langues italiques que l'on peine à rattacher à l'un ou l'autre de ces deux sous-groupes :
  • le vénète
et
  • le sicule (non, ne grâce, ne cherchez pas la moindre contrepèterie sur vénète et sicule ; laissez ça aux dames qui, même si elles s'en défendent, préfèrent bien souvent les Pouilles à la Calabre).

(source)


les Pouilles

la Calabre




L'on peut reconstruire deux étymons proto-italiques que nous a légués la douce *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe... ».

Je vous les donne tels que Michiel de Vaan nous les retranscrit :
  • *weik-o-« là où l'on s'installe : village, hameau... »
et
  • *weik-slā-« ferme ».



Schématisons tout ça ?


racine indo-européenne
(de timbre e, au degré plein*ueiḱ-,
« l'endroit où l'on s'installe… »
étymons proto-italiques
*weik-o-« village, hameau… »
et 
*weik-slā-« ferme »



Winfred Philip Lehmann nous propose, en ombrien, le mot vocu-cum« maison», construit sur l'italique *weik-o-« village, hameau… ».


L'ombrien,
langue morte de chez morte,

Tu étudies une langue morte depuis 5000 ans ?

est cependant attesté par une trentaine d'inscriptions datées du VIIème au Ier siècle avant
 Jésus-Christ.

Et ce vocu-cum (également sous la forme vocu-com) figure dans les Tables eugubines, sept plaques de bronze datées du IIIème au Ier siècle avant notre ère, détaillant les rites religieux destinés à accompagner les fêtes régulières qu'étaient les Bimestrielles et les Céréales.


Ces Tables eugubines, que le grand Alfred Ernout lui-même
- oui oui, Ernout comme dans Alfred Ernout et Antoine Meillet, les auteurs du 
Dictionnaire étymologique de la langue latine -, 
Alfred Ernout,
Lille le 30 octobre 1879 - Paris le 16 juin 1973 

ces Tables, disais-je, que le grand Alfred Ernout lui-même avait étudiées, sont à présent conservées au musée du Palais des Consuls de Gubbio, en… Ombrie.


les sept Tables eugubines

un détail d'une de ces Tables


Kubrick adorait l'ombrien



L'ombrien, c'est bien, mais... quid du latin ?

Latin ? Mais le voilà, le mot magique !

- Quel est le mot magique pour obtenir ce que tu veux ?
- Je suis offensé !


En latin, notre bonne *ueiḱ- nous a donné,
via
- via ! haha ça c'est marrant ! Non ? Oh bon… -
l'italique *weik-o-« village, hameau… »,
  • vīcus« rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… ».

De vīcus dérivent notamment les latins…
  • vīcātim« de rue en rue, de quartier en quartier », qui rappelle singulièrement le tokharien B ike-postäm̥, « de lieu en lieu »,

  • vīcīnus« voisin, voisinage »,

  • vīcīnitās« proximité, voisinage »,

et - mais cette fois reprenant la construction de l'italique *weik-slā-« ferme »,
  • vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »,
sur lequel se sont créés...
  • vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
et
  • vīlica, « femme du fermier ».

Reprenons jusqu'ici ?

racine indo-européenne *ueiḱ-,
« l'endroit où l'on s'installe… »
étymon proto-italique *weik-o-« village, hameau… »
ombrien vocu-cum« maison»,
latin vīcus« village, hameau… » 

*******

racine indo-européenne *ueiḱ-,
« l'endroit où l'on s'installe… »
étymon proto-italique *weik-o-« village, hameau… »
latin vīcus« village, hameau… » 
latin vīcātim« de rue en rue, de quartier en quartier »,
latin vīcīnus« voisin, voisinage »

*******

racine indo-européenne *ueiḱ-,
« l'endroit où l'on s'installe… »
étymon proto-italique *weik-slā-« ferme »
latin vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »
latin vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
latin vīlica, « femme du fermier »



PS : ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : le latin vīlla dérive bien du latin vīcus, mais le latin, pour créer ce mot, a fait appel à une construction qui, même si bien latine, était héritée du proto-indo-européen.

S'il fallait rendre toutes les relations entre ces mots, il faudrait au moins deux flèches : la première entre *weik-slā- et vīlla, l'autre entre vīcus et ce même vīlla.


On pourrait obtenir quelque chose comme…

et ça, j'vous jure, je ne le ref'rai pas !





Chers lecteurs, 

Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

Portez-vous bien.



Frédéric





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

Glenn Gould, Bach, et les Variations.

Oui, voici l'inimitable Glenn Gould,
nous interprétant la dernière partie, la 32ème, des célèbres

Variations Goldberg, BWV 988.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'une variation, puisque Bach fait reprendre l'aria du début, sur laquelle vont se construire lesdites variations.

Amateurs, vous reconnaîtrez la version des Variations que Glenn enregistra en 1981,
nettement plus recueillie, plus profonde, plus mesurée que celle qu'il enregistra en 1955, où le jeune Gould brillait de sa folle jeunesse et d'une virtuosité à couper le souffle.

Dans cette deuxième et dernière version qu'il enregistra en 1981,
chaque note, chaque silence est réfléchi, pesé.
Et finalement déposé très précisément à la place qu'il doit occuper.


(Bon d'accord, ya pt'êt un peu de parti pris de ma part.)


Lors de cette reprise de l'Aria du début, dans cette version de 1981,
Gould semble apaisé.
Comme si cette deuxième et ultime exécution de l'Aria
s'était imprégnée et enrichie de toutes les virevoltantes variations sur l'Aria de départ.
Tout a été dit, et vécu.
Reste encore... l'inéluctable... fin.


Gould nous quittera peu de temps après, le 4 octobre 1982.




Voici donc Glenn Gould dans l'Aria Da Capo,
des Variations Goldberg, BWV 988. 


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2 commentaires:

Guy a dit…

Génial. Génial et passionnant.
En passant, le latin du titre, heureusement qu’il était traduit, n’est pas reposant. Le paratarum en particulier. Elles sont loin mes jeunes années.

Frédéric Blondieau a dit…

:-) Merci Guy ! Je suis heureux que cela vous plaise.

(mais vous pouvez franchement dire "nos" jeunes années...) ;-)

Frédéric