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dimanche 24 juillet 2022

Les langues Arśi et Kuči sont en bateau dans le bassin du Tarim...





tumem c[ai]
brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kame 


Si vous voulez en connaître la traduction, il vous faudra lire quelques lignes.






Chers lecteurs, bonjour.

 Je ne suis pas encore techniquement en vacances, mais c'est tout comme.

De courts articles, qui me permettent de souffler et de vivre ma vie au jardin, c'est ce que je vous prépare pour les semaines à venir.



Nous voilà, ce dimanche, avec une nouvelle racine indo-européenne à étudier, 

c'est bien, mais là, on se calme

que je retranscrirai sous la forme de timbre e et de degré plein (donc, où la racine-pivot est un e),

*ueiḱ-. 


Dans notre voyage à sa rencontre, nous la retrouverons, au fil de ses dérivés, parfois au degré zéro (sans voyelle-pivot) *uiḱ-, ou même au degré plein de son timbre o*uoiḱ-.


Ah oui, le sens qu'on lui attribue : l'endroit où l'on s'installe, d'où, par exemple, maison, village... 


Je vous l'avais mentionné la semaine dernière, je vais commencer par les dérivés des groupes de langues les premiers à s'être séparés du tronc commun indo-européen.

Je n'ai trouvé aucun dérivé de cette brave *ueiḱ- dans les langues anatoliennes.


Oui, je sais.


En revanche, nous en avons bien dans les langues... tokhariennes




Cette appellation, je vous le rappelle, n'est pas très conforme à la vérité historique, mais les sources germaniques l'utilisent encore communément. 
Et puis, moi, j'aime bien le nom.


Les langues tokhariennes, qui se parlaient dans le bassin du Tarim
- l'actuelle région autonome chinoise du Xinjiang -,
au premier millénaire de notre ère, sont attestées par près de 7600 inscriptions dont les plus anciennes remontent à l'an 400 et et les plus récentes à l'an 1200 de notre ère.



Ces langues constituent, dans leurs deux variantes A et B, la langue la plus orientale des langues indo-européennes.

Cette appellation, donc, ne correspond nullement au véritable nom de ces langues, ni à celui des peuples qui les parlaient ; c'est en réalité le philologue et orientaliste allemand Friedrich W. K. Müller (1863  – 1930) qui les baptisa ainsi, se fiant notamment à l'ethnonyme ancien grec dont usait le grand Strabon pour appeler certaines tribus scythes, Τόχαροι, Tókharoi.


Friedrich W. K. Müller

Plutôt que de parler de langues tokhariennes A et B, il conviendrait plutôt de mentionner les langues Arśi et Kuči, ou encore l'agnéen (tokharien A) et le koutchéen (tokharien B).
Tokharien A - Arśi - agnéen 
Tokharien B - Kuči - koutchéen

La plupart des inscriptions tokhariennes retrouvées sont des textes bouddhistes.



Or donc, en tokharien B
- c'est Douglas Q. Adams qui nous l'enseigne -

se retrouve le neutre īke, pour « lieu, endroit ; position ».


Et ma foi, ce īke est joliment attesté.


Comme dans...
snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,

ou alors dans...
sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,

même si je le préfère dans...
sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne ».


Mais là où il brille, c'est ici : 
tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, qui se traduit par « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».
Brahmanes

Ah ça ! Une référence au Roi Aranemin, ça ne se refuse pas.

- Mmmmh ? Quoi ? 

Aaaah, vous ignorez qui est le Roi Aranemin ?

C'est une blague, je suppose.
Vous voulez me tester, hein ?
Ah non ? Bon ben…

Alors, les enfants, je vais vous raconter l'histoire du fameux Roi Aranemin...


- Oh oui, papy !

Le brahmane Samudrarenu, notre bon roi Aranemin et ses mille princes avaient été écouter le sermon du bouddha de l'époque, celui l'on appelait Ratnagarbha (même si ce n'était pas très gentil).

Alors, le bouddha Ratnagarbha leur prodigua, à tous, les vyakaranas selon leurs pranidhanas, ce qui est somme toute très logique. 
S'il y a un bouddhiste dans la salle, qu'il se manifeste. 


 

Je comprends, mais sans en être sûr, que le bouddha Ratnagarbha leur prodigua les enseignements
- vyakaranas, vyakarana désignant aussi la grammaire ! -
correspondant à leurs vœux d'abandon de soi à la puissance supérieure (pranidhanas), par lesquels un éclairé s'engage à aider l'humanité à accéder au nirvāņa en refusant lui-même d'y entrer, en acceptant donc de se réincarner sur terre, alors que sa place l'y attend déjà, là-bas au nirvāņa.

C'est ainsi que le brahmane Samudrarenu, qui fit vœu de compassion, devint Siddhārtha Gautama.
Oui, le Bouddha que nous connaissons tous, que nous appelons même Le Bouddha, ou simplement Bouddha ! 

Pour l'étymologie de Bouddha, lisez ou relisez Le bedeau de la paroisse est toujours de l'avis de Monsieur le curé.

Siddhārtha Gautama, le Bouddha



Quant à notre roi Aranemin, dont le vœu était de renaître sur une terre pure, il devint le Bouddha Amitābha.
On raconte que le vœu d'un autre éveillé fut, non pas de renaître sur une terre pure, mais de remettre sur un sol en carrelage ; dès lors il se réincarna en Bouddha Bartābha. 
Ce qui indiquerait que le Bouddha Ratnagarbha connaissait le belgicisme remettre, pour vomir.


 


Bouddha Amitābha ! Ce n'est pas rien, convenons-en, Amitābha régnant sur la « Terre pure Occidentale de la Béatitude » (en sanskrit, Sukhāvatī), un monde merveilleux, pur, parfait, libre de mal et de souffrance. (Merci Wikipédia)

Cette terre pure, lieu de refuge en dehors du cycle des transmigrations
-  mais qui semble donc n'être pas le nirvāņa  -
est au centre des croyances et pratiques des écoles de la Terre pure. Ça se tient.


Amitābha, ce bouddha qu'on appelle aussi le bouddha des bouddhas, est très populaire chez les mahāyānistes
- ceux qui pratiquent le bouddhisme mahāyāna (en sanskrit, महायान), signifiant « grand véhicule » -,
notamment en Chine, en Corée, au Japon, au Tibet, et au Viêtnam.
(Merci à ce lecteur qui se reconnaîtra !)




le Bouddha Amitābha


le Bouddha Bartābha



Et Lao-Tseu là-d'ssus, je vous propose de clore ici l'article de cette semaine, maintenant que vous savez TOUT sur le tokharien B īke, « lieu, endroit ; position », et sur le roi Aranemin.

Et de toute façon, je ne vais pas non plus vous inventer des dérivés tokhariens de *ueiḱ-.
 





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 


Portez-vous bien.



Frédéric





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

un enregistrement de ce magnifique ensemble choral qu'est

Tenebrae,

ici en pleine répétition.


Nous entendrons (mais moi je l'ai déjà entendu-euh)

Singet dem Herrn ein neues Lied, BWV 225,


un merveilleux motet à huit voix (2 x 4) créé pour un double chœur,
chaque chœur composé de quatre voix,

que Bach a probablement dirigé pour la première fois en 1727, à Leipzig.

On raconte que Mozart, l'ayant entendu en 1789 (deux ans avant sa mort), en fut grandement impressionné.



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