article précédent : ingens coacta vis navium est lintriumque ad vicinalem usum paratarum
(...)
Un village est essentiellement composé d’un certain nombre de familles qui possèdent les maisons qui le forment et les terres qui en dépendent.
La police ecclésiastique a fait à cet égard des divisions de territoire assez bien entendues. Les paroisses n’ont pas entre elles une inégalité fort notable et le petit nombre de celles qui pourraient être regardées comme trop grandes sont sous-divisées par des annexes ou des succursales. On a été conduit à ces divisions, par la nécessité de ne donner aux paroisses qu’une étendue dans laquelle il ne soit pas au-dessus des forces d’un curé de remplir les fonctions de son ministère. La division par paroisses, ou si l’on veut par succursales, peut donc être et est déjà adoptée de fait pour les villages. Chacune de ces divisions a un territoire connu et déterminé, susceptible d’une administration politique aussi claire que l’administration religieuse que le curé y exerce ; et cette administration relative au territoire doit être on ne peut pas plus facile à remplir par ceux qui sont sur les lieux.
Les objets qui peuvent la concerner sont :
1° De répartir les impositions ;
2° D’aviser aux ouvrages publics, chemins vicinaux et autres spécialement nécessaires au village ;
3° De veiller à la police des pauvres et à leur soulagement ;
4° De savoir quelles sont les relations de la paroisse avec les autres villages voisins et avec les grands travaux publics de l’arrondissement, et de porter à cet égard le vœu de la paroisse à l’autorité supérieure qui peut en décider.
(...)
Extrait des
Œuvres de Turgot, et précisément du
Mémoire sur les municipalités (188), 1775 (en réalité rédigé par Du Pont, mais sur les indications de Turgot)
Chers lecteurs, bonjour.
Inlassablement, nous poursuivons l'étude des dérivés de la jolie indo-européenne
*ueiḱ-, « l'endroit où l'on s'installe… ».
Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ».
Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
- snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
- sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
- sle-tassäntse ikene, « en lieu et place du commandant de la montagne »,
- tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».
Le 31 juillet, nous avons débusqué,
dans les langues germaniques, cette fois,
le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs, « village ».
le 7 août, nous abordions les dérivés de *ueiḱ- dans les langues… italiques :
- l'ombrien, vocu-cum, « maison»,
- le latin vīcus, « rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… »,
- vīcātim, « de rue en rue, de quartier en quartier »,
- vīcīnus, « voisin, voisinage »,
- vīcīnitās, « proximité, voisinage »,
- vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »,
- vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
- vīlica, « femme du fermier ».
Aujourd'hui, vous vous en doutez, nous allons partir de ces bien jolis mots latins pour en épingler la descendance, notamment en français…
- oui, je sais -
au latin vīcīnus, « voisin, voisinage », ou plus exactement à l'adjectif qui, en latin classique, en dérive, vīcīnālis, « de voisin, de voisinage ».
Je pense bien entendu au français vicinal, « voie étroite qui met en communication des villages », attesté à une seule reprise au XVIème (nous parlerons d'un hapax), dans
- oh merci, merci, Alain Rey -
« voye vicinale », mais qui sera repris en 1775
- mais oui (oooh, comme vous êtes perspicaces), dans le Mémoire sur les municipalités de Turgot -
pour poursuivre la carrière qu'on lui connaît toujours.
Notez encore qu'un belgicisme daté fait de vicinal un tramway mettant plusieurs localités rurales en communication.
Merci, merci, ô toi ©Le Grand Robert de la langue française
Vous aurez immanquablement remarqué à quel point le mot vicinal est formellement proche du mot latin vīcīnālis, puisqu'il n'en est qu'un emprunt.
Un copier-coller.
En revanche, dans cette famille de mots, il en est un français bien issu du latin :
- voisin.
Oui, voisin est issu du latin populaire *vecinus, altération de notre brave latin classique vīcīnus, dérivé de vīcus.
Pour être un peu plus précis, la première forme attestée de voisin, en ancien français, était veisin, circa 1138. Mais un rien plus tard, en 1180, veisin s'est déjà modifié en voisin.
Autrement dit, et repartant de l'article de dimanche dernier :
racine indo-européenne *ueiḱ-,
« l'endroit où l'on s'installe… »
⇓
étymon proto-italique *weik-o-, « village, hameau… »
⇓
latin vīcus, « village, hameau… »
⇓
latin vīcīnus, « voisin, voisinage »
⇓
altération
⇓
latin populaire *vecinus
⇓
ancien français veisin (ca 1138)
⇓
ancien français voisin (1180)
C'est bon, on continue ?
Toujours du latin vīcus, « village, hameau… », nous arrive une ch*ée un nombre impressionnant de toponymes.
Comme par exemple...
- le français vic et ses variantes vicq, vicques, vix,
comme dans...
- Morville-lès-Vic,
- Vic-Fezensac,
- Vic-sur-Seille,
- ...
ou encore
- l'espagnol Vigo,
- le catalan Vic,
- ...
Le -vic de Volvic pourrait également en être, sans certitude.
Vous devez connaître le souci : quand un Parisien branché vous parle de Volvic, il est parfois difficile de savoir s'il fait allusion, dans sa branchitude, à Volvic, la commune du Puy-de-Dôme,
ou à Vaux l' vic', que le commun prononcera Vaux le Vicomte.
Quoi qu'il en soit, si vous entendez prononcer [volviqaaaan], vous savez au moins que vous avez affaire à un Parisien branché.
Du latin vīcus, « village, hameau… », est encore issu, reprenant la plupart des acceptions latines,
- l'italien vico, « village, hameau ; district ; allée, chemin, ruelle… ».
Et puis,
Jacques Prévert le disait déjà,
les emprunts au latin vīcus se ramassent à la pelle dans les langues celtiques et germaniques.
Germaniques ? Mais oui, c'est bien ici que nous établissons la jonction
la jonction entre les équipes française et anglaise, tunnel sous la manche |
avec l'article consacré aux dérivés germaniques de notre jolie *ueiḱ-, Tout de Goth, du 31 juillet dernier.
Car, il y a bien longtemps, mes enfants,
le latin vīcus a été gentiment emprunté en proto-germanique, cette proto-langue (forcément reconstruite) à l'origine des langues germaniques, qui devait se parler grosso modo entre -750 et (+)300.
(Si un doute subsiste sur le proto-germanique, relisez OMAR M'A TOUER.)
Cette forme germanique empruntée au latin vīcus peut se reconstruire ainsi : *wīkō.
Notez d'ailleurs l'astérisque initial, qui renvoie au caractère non attesté du mot.
Cette forme germanique *wīkō explique à nouveau une ch... euh, un nombre impressionnant de mots germaniques, comme...
- désolé, je sens que mon côté carpette de l'anglais va me reprendre -
- le vieil anglais wīc, wīċ,
- d'où le moyen anglais wik, wich,
d'où
voire
- l'anglais désuet ou dialectal wike, « maison, logis »,
- le vieux frison wik, « village... »,
là où s'expectore encore le frison |
- le vieux saxon wīk, « village, habitation... », d'où, par exemple, Brunswick, littéralement « le village de Bruno »,
- le toponyme vieux néerlandais *wīk, d'où
- le moyen néerlandais wijc, d'où
- le néerlandais wijk, « voisinage, district », utilisé notamment comme suffixe dans Graswijk ou Noordwijk...,
Pour la dernière fois ! Je ne suis pas possédée, je ne faisais que parler néerlandais ! |
- le vieux haut allemand wīh, « village », d'où
- le moyen haut allemand wīch, qui, repris du (entendez « emprunté au ») moyen bas allemand wîkbelde, donnera wīchbilde, d'où
- l'allemand Weichbild d'emploi littéraire ou daté, « zone urbaine », auquel on préfère maintenant le très germanique Stadtgebiet.
PS : pour savoir pourquoi l'on parle de haut allemand et de bas allemand, on apprend à vulgariser tout seul, en circuit court, en allant lire comme un grand “Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.”, Voltaire.
Citons encore le
- yes yes yesss -
- vieux norois vík, dont le sens est très naturellement passé de « village » à « bras de rivière, crique, fjord », vu que là-bas, il apparaît matériellement impossible d'établir un village qui ne soit situé près d'un bras de rivière, ou d'une crique, ou d'un fjord.
Ah oui, j'avais mentionné des emprunts celtiques au latin vīcus.
Et je n'oublie pas non plus qu'il nous reste encore à passer en revue (plein) d'autres de ses dérivés romans.
Tout ça, mes amis, ce sera pour... plus tard. Patience...
Chers lecteurs,
Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine.
Portez-vous bien.
Mes pensées vont vers Salman Rushdie, lâchement agressé par une SMI (sous-merde islamiste).
Frédéric, en vacances
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter…
- aïe, ça y est, mon côté carpette de l'anglais reprend vigueur -
voici une magnifique version acoustique, épurée, de
The Way You Look Tonight,
composition de Jerome Kern sur des paroles de Dorothy Fields,
interprétée originellement par Fred Astaire dans la comédie musicale Swing Time, 1936.
En voici donc une version toute récente,
par
Stringspace.
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