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dimanche 2 avril 2023

Le suffixe ou les contes, d’Hoffmann ?

 article précédent : Les Ménapiens pensaient-ils aux Bretons ?




« Mon opinion, sur les contes d’Hoffmann ?
Opéra aussi grandiose que son préfixe »


Frédéric Blondieau, in

Liège La gare de Perpignan est au monde ce que
Rambouillet est à la linguistique comparative, 2023



Gare de Perpignan, Salvador Dalí



Gare de Liège-Guillemins, Santiago Calatrava



Chers lecteurs, bonjour.

Il faut que je vous raconte :
Je rédige ce court billet depuis une chambre d’hôtel, à Rambouillet.

Rambouillet, célèbre pour ses chambres d’hôtel où il fait bon rédiger des billets, pour son office du tourisme, et surtout pour son somptueux château.

Le somptueux château

La Chaumière aux coquillages,
dans le parc du château

Votre serviteur,
dans sa chambre d’hôtel à deux pas de ce même château 


Si je vous parle de Rambouillet, c’est que c’est dans cette charmante petite bourgade, égayée de vrais petits commerces,


qu’il m’est venu à l’esprit une réflexion…

J’accompagne ici ma compagne (forcément), et ce matin nous devions transporter à bout de bras quelques bagages depuis le coffre de la voiture jusqu’à la salle (de la Mairie) où ladite mienne compagne anime un stage.
Ma douce moitié me fait emprunter telle rue, puis telle rue, puis encore telle (charmante) ruelle pour arriver à cette salle.
Et moi, vers 13 heures, en allant me chercher un (délicieux) sandwich dans une de ces (adorables) petites rues rambolitaines, je me rends compte qu’il existe un autre chemin, plus court, entre la voiture et la salle.

Captivant, me direz-vous.



Je sais, je sais, mais je n’aurais jamais su qu’il existait un autre chemin si je n’avais pu prendre du recul, avoir une connaissance un peu plus étendue du sujet, et assembler alors des éléments qui, d’apparence, étaient épars (quelques blocs de maison, une rue, une ruelle…).
Une vision plus générale de ces éléments me permettait de les rapprocher les uns des autres, et d’établir des liens entre eux.

Voilà précisément l’un des bénéfices de la linguistique comparative, bien sûr, qui rapproche devant nos yeux ébahis des mots qui, à première vue, n’ont rien en commun. 

Et aujourd’hui, alors que je préparais le billet dominical, Ranko Matasović m’a fait faire un pas de recul pour contempler des liens que jusqu’ici, j’avais ignorés…


- Rapprochez-vous, les enfants, que je vous raconte…
- Oui papy, une histoire, une histoire !




Nous avions, la semaine dernière, découvert le premier des trois étymons proto-celtiques que Ranko Matasović fait descendre de notre superbe petite racine proto-indo-européenne…

*men-, « penser ».


Me croiriez-vous si je vous disais qu’aujourd’hui, nous allons traiter du deuxième de ces étymons ?

Voici donc, et rien que pour vous…

le nom celtique *mentyon-« pensée, mention ».

Indubitablement, il va vous rappeler le latin mentiō, « appel à la pensée, rappel en mémoire… », dont nous avions parlé ici :

Eh oui, cette troublante ressemblance ne devrait rien au hasard…

RIEN !

Car il s’agirait bien, dans les deux cas, de la même construction grammaticale, reprenant la racine indo-européenne *men-, « penser » et lui adjoignant le suffixe composé *ti-on- (ou *ti-Hon-). 

Ce suffixe, mes enfants, est généralement appelé du nom du linguiste allemand qui l’a mis en évidence, Karl Hoffmann.


Karl Hoffmann,
26 février 1915 – 21 mai 1996


Oui oui, on parle, pour *ti-on- /*ti-Hon-, du suffixe d’Hoffmann

C’est ça oui, comme pour les contes.
 

Vous en avez d’autres comme ça ?


Vous, les petits nouveaux qui vous demandez pourquoi j’ai stupidement laissé une majuscule au h présent dans le suffixe, sachez que ce H prend la place d’une laryngale indéfinie.

(On relit le chapitre voyelles-pivots et théorie des laryngales tiré de https://indoeuropeen.blogspot.com/p/elements-de-linguistique.html.)



Je vais nous épargner la théorie linguistique particulièrement indigeste qui permet d’expliquer le formalisme de ce suffixe, mais sachez surtout que c’est lui, le suffixe d’Hoffmann, qui serait notamment à l’origine du grec ancien -ωνός, -ōnós, du latin -ō…, mais aussi…
- et c’est là que ça devient fichtrement intéressant -
… du latin -iō-,
- pom pom pom… eh oui, comme dans mentiō,
et aussi du proto-celtique *-tiū, comme dans le cas du celtique *mentyon-.

Le chanteur brugeois Alec Mentyon-
(Les Liégeois nous l’ont appris : on ne dit plus le par trop généraliste belge)



- Mais enfin, gros malin, tu viens de nous parler du celtique *mentyon-« pensée, mention », pas d’un quelconque celtique mentiū ! Pauvre taré ! Déjà que tu te complais dans ta vassalité à la langue du maître, que tu affirmes - pauvre monolingue que tu es - que l’orthographe du gallois est incohérente, voire qu’il y a des bébés-phoques dans les îles Féroé ! Pauvre clown ! 

- Oh, Monsieur Ucon, mais quel honneur vous nous faites de revenir parmi nous ! 

Fernand Ucon,
que le français aurait aimé ne pas connaître

(Fernand Ucon est clairement un abruti, mais ce florilège d’attaques que je lui attribue n’est pourtant pas de lui, mais d’idiots inutiles - on parle trop souvent d’idiots utiles -, personnes euh… limitées, différentes ? et/ou qui n’accèdent qu’à l’humour au premier degré : celui qui s’arrête abruptement au-delà des blagues Carambar.)

 


Monsieur Ucon, je vous comprends ! Je n’ai pas encore spécifié que nous devons au proto-celtique *mentyon- le vieil irlandais… toimtiu.


Bon, un mot d’explicat-ion.

L’étymon celtique *mentyon- en tant que tel n’a aucune descendance attestée.

Cependant, on le retrouve dans ce vieil irlandais toimtiu, qui présuppose, selon les lois de mutation phonétique, une précédente forme celtique… *to-mentyon-. 

Eh.



Mais que signifie-t-il, enfin, ce beau toimtiu

Il n’est en réalité que le nom verbal (oui, comme la communication, bravooo !) du verbe do·muinethar, « penser, supposer... » que nous avons cité la semaine dernière. 

Le vieil irlandais toimtiu pourrait donc se traduire donc par… « opinion... ».





À vous tous, un excellent week-end.
Portez-vous bien.

Frédéric






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Et pour nous quitter…

Les grands malades qui me suivent depuis longtemps ont deviné ce que je vous présenterai ici comme viatique : oui bien sûr, un extrait des Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach. 




Mais mais… il ne sera pas question de Barcarolle.

Non, voici plutôt l’aria d’Antonia :

Elle a fui, la tourterelle,

interprétée par la divine soprano russe

Olga Peretyatko.


Olga était prédestinée à chanter les Contes d’Hoffmann, avec ce y du suffixe d’Hoffmann dans la francisation de son patronyme.

(Mais quoi qu’il en soit

- tous avec moi -,

une soprano qui s’appelle Ольга Александровна Перетятько
ne peut pas fondamentalement être mauvaise.)


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